Battle de robots sur le campus
Et à la fin, c’est les robots qui gagnent
Les Zlatan Ibrahimovic et Alberto Contador de demain seront-ils des robots ? Comme presque tous les autres domaines, le sport est petit à petit colonisé par les robots. Le 19 mai dernier, une « battle de robots » était organisée dans un gymnase du campus. Voici un compte rendu de cette joyeuse après-midi, écrit par un véritable humain garanti sans aucun algorithme.
Au micro, un des speakers balance des banalités de speaker : « s’il vous plaît public, un peu d’encouragement (…). On peut saluer le très beau parcours de cette équipe (…). Il y a un véritable challenge aujourd’hui (…) La concentration dans les équipes est absolue (…) Il faudrait élever un peu la voix s’il vous plaît (…) On va faire un point sur les scores (…) Il faut les applaudir parce qu’ils ont beaucoup travaillé ».
Tout est dit avec cette intonation ridicule quoiqu’habituelle chez les speakers. À l’écouter, on détecte facilement la jouissance interne qu’il éprouve à être pour quelques heures une espèce de Jean-Michel Larqué de Saint-Martin-d’Hères. Sa voix résonnant dans le gymnase universitaire rappelle le brouhaha pénible des compétitions sportives inter-lycéennes. Pourtant iwci, aucun cœur ne s’emballe, personne ne souffle, personne ne transpire.
Il s’agit bien d’une compétition, mais ce ne sont pas des humains qui s’affrontent : les concurrents en lice sont des robots. Il est vrai que certains sportifs de haut niveau peuvent être de plus en plus comparables à des robots – par exemple les cyclistes aux yeux rivés sur leur cardio-fréquencemètre et obéissant aux ordres que leur directeur sportif leur délivre par oreillette. Mais dans ce gymnase du campus, les concurrents sont garantis sans aucune cellule humaine. Il s’agit d’une « battle de robots », comme le proclame fièrement l’affiche, qui suggère : « venez soutenir votre équipe ».
Il y a trois épreuves différentes, au cours desquelles les robots doivent être entièrement « autonomes », c’est-à-dire ne pas être télécommandés par des humains. Les règles du jeu n’ont à peu près aucun intérêt : une épreuve impose aux robots de suivre une ligne et de marquer des buts avec des balles de ping-pong, une autre de ramener un maximum de palets derrière une ligne. L’épreuve la plus dure est la « ligue Do It Yourself », où les robots doivent pêcher à la ligne, construire des châteaux de sable, ramasser des coquillages, fermer des cabines et ouvrir des parasols.
Cette épreuve est celle qui a également animé la coupe de France. Oui, car il y a une coupe de France de robotique, qui existe depuis 1994 : avant elle était diffusée à la télévision dans l’émission E=M6. Il y a même des rencontres européennes dénommées Eurobot. On n’arrête pas le progrès, m’sieurs-dames, et pourquoi ne pas imaginer que la robotique devienne sport olympique dans quelques années ? Il faut bien être de son temps : le 4 septembre prochain, une « course de drones » est organisée sur les Champs-Élysées, et ce n’est pas une blague.
Pour les commentateurs, il reste un problème à résoudre : dans le genre de compétition comme celle de ce jeudi après-midi, les robots ne parlent pas. Notre Nelson Monfort local ne peut donc pas aller les interroger à la fin de la rencontre pour recueillir à chaud leurs impressions. Il ne devrait cependant pas être trop compliqué de programmer la dizaine de phrases-types que répètent les sportifs (« c’est le plus beau jour de ma non-vie », « je tiens avant tout à féliciter mon adversaire qui a des supers algorithmes », « je dédicace cette victoire aux robots de STMicroelectronics qui ont fabriqué mes plaques de silicium », etc.), pour que les épreuves de robotique ressemblent à n’importe quelle autre compétition sportive.
Pour l’instant, ce sont donc de véritables humains qui doivent encore faire l’effort de parler au présentateur, comme l’a fait ce jeune étudiant suite à la victoire de son robot à l’épreuve avec les palets : « Je remercie surtout le programmateur. Sans lui, on n’en serait pas là ». Il y a eu aussi cette très belle réponse à la question du commentateur : « Ça te fait quoi, professeur, de voir un robot qui va s’élancer ? ». Réponse du prof : « Je suis très ému ».
On pourrait croire qu’avec des robots, il n’y a aucun imprévu, aucun suspense ; bref qu’une « battle » n’a donc aucun intérêt. « Pas du tout, me répond un participant, on ne sait pas exactement ce qui va se passer à cause des interactions avec les autres robots, qui émettent des ultrasons qui peuvent perturber les programmations. » Les ultrasons, voilà la glorieuse incertitude du sport robotique.
La majorité des équipes présentes sont des équipes de l’IUT ou d’écoles d’ingénieurs. Mais il y a également quelques associations, comme Igrebot, qui regroupe des « passionnés de robotique ». Seb en fait partie : « Notre association promeut la robotique au sens large, on participe à des compétitions comme ça, on va dans des salons, des écoles et on fait même des prestations pour des start-ups. Ce qui nous motive, c’est le plaisir de faire de la technique, en dehors des activités professionnelles. » Certains collectionnent des timbres, d’autres font du trail, eux font des robots le soir et le week-end. « Pour faire un robot comme celui-là [NDR : qui était dans l’épreuve la plus dure et qui a fini deuxième], on y passe facilement entre mille et mille cinq cents heures. Chacun bosse chez soi sur des parties spécifiques, moi je fais que de la mécanique par exemple, et après on met tout en commun. On se fait plaisir en testant les derniers composants électroniques ».
Du bricolage. C’est sympathique. Non, vraiment j’aime bien le bricolage. J’aime bien l’idée que des passionnés passent des milliers d’heures à bidouiller un truc pour pas un rond. Le problème avec la robotique, c’est qu’il y a d’autres enjeux.
Financiers, bien entendu. Seb nous apprend ainsi que presque tout le matériel qui compose leur robot est donné par des fournisseurs, en guise de sponsoring. C’est un peu comme pour les coureurs cyclistes, sauf que sur les robots il n’est pas marqué AG2R La Mondiale, FDJ ou Movistar, mais Solydric, Thalès, Sotic ou STMicroelectronics.
Mais il y a surtout des enjeux sociétaux. « La robotique, par rapport à l’informatique classique, c’est ludique, ça bouge, ça attire les gamins. Le but de cet événement est de faire parler de la robotique à Grenoble, que ça devienne une référence. Il y a une dimension politique : on veut montrer aux responsables universitaires que ça a un gros impact », assure un des organisateurs, ingénieur d’études de métier. Dans les usines ou dans l’économie de service, des machines artificielles remplacent de plus en plus les humains, et ça ne fait que commencer : c’est le Grand Remplacement. Si cette invasion peut faire un peu peur, ce genre d’événements est fait pour la rendre désirable.
Cet événement était organisé par Persylval, un « labex », c’est-à-dire un laboratoire virtuel qui pompe plus de douze millions d’euros d’argent public par an pour des projets inter-laboratoires (du Commissariat à l’énergie atomique, de l’Inria, du CNRS, etc.) autour de la robotique ou de l’Internet des objets.
Et l’université a l’air de vraiment bien aimer les robots : pour ce grand événement, regroupant au mieux deux cents personnes (dont 95 % d’hommes), elle a mis à disposition une équipe de six personnes et tout le matériel nécessaire pour assurer la « retransmission en direct » de ce grand événement. On apprendra ainsi à la fin de journée qu’il y a eu « plus de 7 000 vues sur Youtube partout dans le monde, donc Grenoble est visible ». Youpi !
Alors, à côté des compétitions de robotique aux règles inoffensives, il y a aussi des stands dans ce gymnase. On peut par exemple assister à une démonstration de vol d’un drone développé par le Gipas-lab (un labo de l’Université de Grenoble et du CNRS), dont « le but est confidentiel », comme s’en est même étonné le speaker. On peut aussi faire connaissance avec RobAIR, un robot développé par l’INPG, qui se déplace tout seul, avec son écran et sa caméra et qui pourra servir à « rompre la solitude des enfants malades en les faisant assister virtuellement à leurs cours en classe, ou pour permettre aux personnes âgées une immersion à distance dans leur famille ». Et peut-être même bientôt, on fera des compétitions pour savoir quel est le robot qui donne le mieux aux vieilles l’illusion d’être chez leurs enfants qui n’ont pas le temps de venir les voir.
Car oui il y a de la « robotique sociale », comme c’est marqué sur un stand. Y sont présentées des innovations développées par Amiqual4Home, encore une structure qui pompe des millions d’argent public pour inventer un futur radieux. Par exemple, cette innovation qui nous permet d’ouvrir les portes ou d’allumer les lampes depuis notre smartphone. De façon générale, « l’enjeu, c’est de connecter les objets. Tout objet a vocation à être connecté. Samsung a annoncé que toute leur gamme sera connectée d’ici 2020 ». Après les objets, il faudra bien « connecter » les humains, et petit à petit les transformer en robots, à moins que cela ne soit l’inverse.
Juste à côté, il y a une sorte de grosse peluche bleue avec un écran. En fait il s’agit d’un robot et il a un joli nom : « Happy ». Celui-là est vraiment en cours de développement mais a un but simple : faire des études sur l’accueil de la robotique auprès des jeunes enfants. Car vous imaginez qu’il y a un énorme marché en jeu : si jamais les robots pouvaient garder les gosses, changer les couches ou lire des histoires, l’humanité ferait encore un grand pas en avant.
En attendant, la « battle » se termine enfin, et les prix sont remis par de vrais humains. Konstantin Protassof, le vice-président de la toute nouvelle Université de Grenoble-Alpes, assure : « Nous, on soutient tout type de sport et donc le sport robotique ». Alors que le gymnase est déjà bien vide, les gagnants de chaque compétition repartent avec des petits robots à programmer. Si jamais ils réussissaient à les programmer pour qu’ils imitent des spectateurs passionnés l’année prochaine, ça permettrait de rendre leur « battle de robots » encore plus bankable...