Accueil > Oct / Nov 2012 / N°17

Coup de vent sur mistral

Imposante et massive, du haut de ses 10 étages, elle dominait le parc Bachelard et l’A480 et faisait face au massif du Vercors. Au mois de septembre 2012, la dernière des quatre barres d’immeuble «  Strauss  » du quartier Mistral a disparu dans les gravas.
Le quartier, d’à peine 3000 habitants, est enclavé entre l’autoroute, sa bretelle d’accès et l’avenue Rhin et Danube. En se baladant à l’intérieur il n’est pas si facile de rencontrer des gens prets à parler de leur quartier.
Mistral vit au rythme des démolitions et des constructions depuis des dizaines d’années dans le cadre de «  réhabilitations   », terme technique cher aux politiques.
Avec la destruction des tours Strauss, c’est un pan de l’histoire du quartier qui se tourne. On a voulu savoir comment avaient été relogés les derniers habitants de la barre.

Construite en 1924, la cité jardin Mistral a longtemps accueilli les populations ouvrières et immigrées, notamment italiennes. Au début des années 60, avec l’augmentation de la population à Grenoble, quatre immenses immeubles voient le jour : ce sont les barres de la rue Paul Strauss situées au sud du quartier Mistral. Dans un premier temps ces HLM sont prévus pour accueillir les rapatriés de l’Afrique du Nord. Puis le quartier subit de multiples «  réhabilitations   » et voit sa population changer, concentrant des classes sociales de plus en plus pauvres. En 2001 la mairie de Grenoble lance «  le renouvellement urbain et social du quartier » [1]. La destruction de ces quatre emblématiques barres fait partie du projet. Problème : avant de détruire, il faut bien virer des dizaines de familles et leur trouver de nouveaux appartements. C’est le bailleur social Actis qui s’en occupe et s’en félicite même : «  l’ensemble des locataires ont été relogés  » précise t-il (Grenews 31/08/12). Pas faux. Mais ce qu’oublie de signaler Actis c’est que certains habitants gardent encore un goût amer de ces «  relogements   ».

En mars dernier, nous avions rencontré Halima [2] qui nous avait accueillis avec des pâtisseries orientales arrosées de café dans son nouvel appartement, dans le quartier des Eaux Claires. Halima a habité 30 ans à Mistral dont une vingtaine d’années dans la barre rue Paul Strauss, celle là même qui vient d’être rasée. «  Ça m’a fait mal de les voir détruites [NDLR : les trois premières] parce que j’ai laissé tellement de souvenirs là-bas. J’ai marié mes enfants dans ces barres. C’était vraiment bien. Mais l’ambiance du quartier a changé. Les gens ne sont plus pareils, c’est beaucoup plus chacun chez soi maintenant   ».
Dans les années 80 «  Il y avait le ‘‘club des mamans’’, on était de toutes les races, il y avait des Italiens, des Espagnols, des Portugais. C’était un mélange. On faisait plein de sorties aux lacs, au parc de la Tête d’or par exemple. Il y avait aussi une autre association qui s’appelait ‘‘femmes du monde’’, on faisait de la cuisine et plein d’autres choses. Et après j’ai commencé à travailler, 9 heures par jour et je n’ai plus eu le temps. Aujourd’hui ils ont instauré la ‘‘fête des voisins’’ mais à l’époque dans le quartier c’était tout le temps la fête, maintenant il faut une date  !   »
Elle se souvient de ses voisins prolos qui «  travaillaient souvent dans les usines à Allibert, à la Viscose, à Raymond Bouton, à Caterpillar et d’autres pour la mairie comme éboueurs  » et de l’image que les gens se faisaient de son quartier : «  quand je disais que j’habitais à Mistral, ça faisait peur. Les gens me disaient  : ‘‘Même gratuitement je viendrais pas habiter dans ce quartier  !’’. Moi j’étais contente de mon quartier. C’est comme moi si on me disait ‘‘va habiter gratuitement à Villeneuve’’ moi non plus j’irais pas ! Quand on connait pas, ça fait peur   ». Pour la reloger, Actis propose à Halima des appartements trop petits ou mal situés : «  Ils nous proposaient des logements et au bout du troisième on était obligé d’accepter. Ils ont pris beaucoup de retard à reloger les gens  ; moi j’étais parmi les dernières à partir.   » Elle consent à déménager non loin du quartier, de l’autre côté de l’avenue Rhin et Danube dans un des petits immeubles flambants neufs pour un loyer 150 euros plus cher et plus petit : «  Ici c’est vraiment trop cher et puis mon salaire n’a pas suivi évidemment. On n’avait pas de vis-à vis à Mistral. Ici j’ouvre la fenêtre, mon voisin me voit  ! Pour gagner de la superficie ici ils ont entassé les immeubles les uns à côté des autres, c’est vraiment pas une bonne idée. » Comme Halima, d’autres habitants ne se sont pas fait à leurs nouveaux lieux de vie : «  Il y a des gens qui ont gueulé et certains sont vraiment pas contents. Je connais des personnes âgées qui habitaient à Strauss au 7ème étage maintenant ils sont au rez-de-chaussé et ils ont beaucoup plus de bruit qu’avant, maintenant ils ont peur et ne sortent plus trop.  »
Aujourd’hui Halima continue de se rendre dans le quartier pour aller à la pharmacie et au centre de santé. Elle garde malgré la déception l’espoir de retourner vivre à Mistral : «  si demain, ils construisent des nouveaux logements sur les quatre barres détruites de Paul Strauss, je fais ma demande pour retourner habiter là-bas !  »

Mohamed, 60 ans, lui, fut le tout dernier habitant, avec sa femme, à quitter la barre détruite au mois de septembre. Ils y vivaient depuis 1983 : «  On a habité dans la tour seuls pendant cinq mois. Le dernier mois, ils avaient coupé l’eau, on se promenait avec des jerricanes. Ils ont fermé les montées de l’immeuble, sauf la nôtre et quand des amis nous rendaient visite, ils devaient monter par les escaliers jusqu’au cinquième étage, l’ascenseur ne fonctionnait plus. La Ville nous a tout de même donné un logement d’urgence en attendant qu’on déménage fin mars, pour qu’on puisse prendre des douches   ». Le bailleur social leur propose des appartements qui ne leur conviennent pas : «  ils nous baladaient de droite à gauche  ». Finalement, tout comme Halima ils acceptent un nouveau logement pour un loyer de 730 euros, soit 200 euros plus cher que l’appartement qu’ils louaient avant. «  On n’a pas eu le choix   » explique Mohamed, «  on était bien à Mistral, sincèrement. Les gens ils disent ‘‘les quartiers sensibles’’ mais c’est pas vrai. En 30 ans, j’ai jamais eu de problème. C’est une question d’adaptation. Il y a des petits problèmes, il faut être à la hauteur. Si le voisin est un voyou, il faut aller lui parler doucement. Il y a des soirs où j’oubliais de fermer à clé ma voiture et bien j’ai jamais eu de souci, elle était toujours là le lendemain   ». Mohamed et sa femme partis, les engins de démolition ont poursuivi leur travail et la dernière barre de la rue Paul Strauss s’est effondrée fin septembre.

Notes

[1Un «  renouvellement urbain  » qui ne concerne pas uniquement la destruction des barres Strauss, mais là n’est pas le sujet et vous pouvez toujours vous renseigner auprès de la mairie (dont nous ne sommes pas encore les portes-paroles) pour vous faire une idée des autres projets ou encore vous balader dans le quartier.

[2Le prénom a été changé à sa demande.