Ces dernières semaines, il y a eu une nouvelle poussée. À la Porte de France, boulevard Gambetta, avenue Marcellin Berthelot, etc., en levant un peu la tête, on peut observer de nouvelles caméras de vidéosurveillance. Toutes belles, toutes modernes, des dômes qui tournent dans tous les sens et peuvent filmer à 360°.
On croyait pourtant vivre dans une ville dirigée depuis 2014 par une municipalité opposée au développement de ces joujous sécuritaires. On se souvenait de la fameuse boutade de Piolle au lendemain de sa victoire de 2014, annonçant qu’il allait revendre les caméras installées à Estrosi, le maire LR de Nice. Une boutade qui l’avait obligé à courageusement rétropédaler devant le tollé médiatique suscité en prétendant que c’était « une blague ». En voyant, les années suivantes, que les caméras restaient bien en place, on avait compris qu’on avait pas le même sens de l’humour. Alors on avait observé les joutes médiatiques entre Piolle et ses opposants qui, à presque chaque fait divers, remettaient ce sujet de la vidéosurveillance sur le tapis en prétendant qu’il n’y aurait plus aucune violence si les caméras quadrillaient la rue. Le maire n’est pas drôle, mais il fait face à une sacrée tripotée d’excités sécuritaires, qu’on se disait. Il les a pas démontées, mais au moins il rajoute pas de caméras dans les rues grenobloises, c’est déjà ça.
Un manque d’ardeur sécuritaire tout relatif : si la vidéosurveillance en « milieu ouvert » ne se développait pas à Grenoble pendant le premier mandat de Piolle, le maire militait par contre pour son usage en « milieu fermé » et répéta plusieurs fois que des milliers de caméras surveillaient les transports en commun, les halls d’immeubles de logements sociaux et les bâtiments publics de la ville.
Et puis est arrivée la campagne municipale de 2020, où Piolle est allé jusqu’à revendiquer d’avoir fait poser 30 % de caméras de plus dans l’espace public : « On les a pas démontées, on en a même rajouté une vingtaine [sur quatre-vingt] » a-t-il assuré sur TéléGrenoble (10/03/2020). Avait-il changé d’avis sur l’utilité de la vidéosurveillance en milieu ouvert ? Mystère car cette augmentation n’a pas été plus défendue que ça par le maire ou ses soutiens.
Jusqu’à cet hiver, donc, où on a remarqué plusieurs installations récentes. Alors on a questionné le service presse de la mairie, qui nous a organisé un rendez-vous avec Maud Tavel, adjointe à la « tranquillité publique et au temps de la ville ». Et elle nous en a appris des choses, madame Tavel. Déjà qu’il y avait non pas quatre-vingt, mais cent-une caméras dans les rues grenobloises. Que bientôt il y en aura 118. Que sur ces 118, 51 seront gérées par la Ville et 67 par la Métropole, en accord avec la Ville – enfin un sujet où les deux entités ne semblent pas en désaccord. Que ces caméras sont surtout présentes sur des grands axes de circulation, à des carrefours importants, à l’entrée de zones réservées (chronovélos, espaces piétons, voies réservées aux bus et aux taxis, zones à faibles émissions). Que la municipalité considère que les caméras peuvent avoir une utilité pour « lutter contre les incivilités routières ». « On n’a pas la possibilité de mettre des agents tout le temps pour s’assurer du respect des voies réservées. Si on envoie des équipages de police municipale dans ces endroits, on ne peut pas les mettre ailleurs, à proximité des écoles par exemple. » Maud Tavel nous a donc assuré que ces caméras permettront de verbaliser les contrevenants. « On a besoin de sécuriser ces espaces-là. On a beaucoup sensibilisé et communiqué et on va toujours le faire. Mais dans l’objectif de réduire les incivilités routières, il faut également verbaliser. Derrière les écrans projetant les images des caméras, il y a des agents assermentés qui vérifient l’infraction. C’est de la verbalisation assistée par ordinateur. » Madame Tavel nous a également confirmé que l’installation de ces nouvelles caméras n’a jamais été votée ou débattue en conseil municipal – il n’y a aucune obligation légale. Les mouchards poussent donc sans aucune « concertation » ni même annonce publique.
Madame Tavel a aussi tenu à nous rassurer : à part pour les « incivilités routières », la municipalité n’a pas changé de doctrine à propos de la vidéosurveillance : « Pour les questions de trafic par exemple, soit les caméras sont dégradées au bout de quelques heures ou jours, soit elles ne servent qu’à déplacer les trafics. Nous ne sommes donc pas dans une démarche de généraliser partout les caméras. » Avoir doublé le nombre de caméras (de 60 en 2014 à 118 prochainement) est quand même un bon début vers la généralisation.
On avait déjà remarqué que les élus verts-rouges n’avaient pas de problème avec le développement de la vidéosurveillance pour fliquer les automobilistes : ils avaient milité ardemment – et avec succès – pour que la voie réservée au covoiturage sur l’autoroute A480 longeant Grenoble soit surveillée par vidéo-verbalisation. Pour eux, la vidéosurveillance pour contrôler les incivilités routières est efficace donc ils militent pour. S’ils ne sont pas pour en ce qui concerne les autres délits, ce n’est pas par « idéologie » comme le prétendent leurs adversaires, mais parce que les caméras seraient inefficaces et ne serviraient à résoudre qu’un nombre marginal de délits.
Pendant la campagne de 2014, Piolle s’était engagé à « rompre avec la démagogie et le discours sécuritaire » et réorienter « les moyens affectés par la majorité actuelle à la vidéosurveillance et l’armement de la police municipale afin d’assurer une présence humaine dans les quartiers (éducateurs, médiateurs de jour et de nuit selon les quartiers) » (engagement n° 95). Six ans plus tard, la majorité municipale affecte de plus en plus de moyens pour la vidéosurveillance, participant à construire une smart city vidéosurveillant de plus en plus de lieux et de personnes. Pour leur cause prioritaire de changement des mobilités, les caméras sont juste considérées comme un outil permettant de « faire évoluer les mentalités », sans jamais questionner leur potentiel totalitaire. Au passage, l’industrie du sécuritaire trouve là un nouveau business pouvant passer pour « écolo ».
Au Postillon, on est des ayatollahs du vélo, farouchement opposés aux politiques pro-bagnoles. Mais notre opposition à la smart city et au flicage nous pousse à le refuser, même pour les automobilistes. Les politiques menées par la municipalité grenobloise font croire qu’il pourrait y avoir un « bon » flicage. Encore un mirage de plus.