Des petits-fours même pas bio
Au « verre de l’amitié durable »
Après avoir failli s’endormir pendant l’inauguration de la biennale de l’habitat durable, un envoyé spécial du Postillon nous raconte l’ennui durablement rencontré ce jour-ci et se permet quelques digressions autour des acteurs de cette Biennale.
Le 18 mars à Alpexpo, c’est la soirée d’inauguration de la troisième biennale de l’habitat durable de Grenoble. Elle durera 10 jours, pendant lesquels nos décideurs locaux, élus et entrepreneurs, vont déverser leur propagande en faveur du développement durable afin de faire oublier les véritables conséquences de leurs choix et actions tout le reste de l’année.
Michel Destot se lève. La petite centaine de personnes qui est venue écouter son discours n’a pas pu s’asseoir, et il tient à exprimer ainsi sa solidarité : « C’est aussi ça le développement durable ». Ça fait chaud au coeur.
Le discours de Destot est un peu long, d’autant plus que c’est toujours le même : Grenoble est une ville pionnière du développement durable et au cas où vous ne l’auriez pas compris, on en est très fier. Le maire nous refait le cours sur les trois piliers du développement durable : la protection de l’environnement, le pilier social, et le pilier économique. à ceux-là, il se devait d’ajouter le « pilier citoyen ». C’est que Grenoble se veut La ville de la démocratie locale. Il ne faut pas louper une occasion de faire croire que les Grenoblois ont leur mot à dire dans les décisions de leurs élites.
Autour de nous, costard cravate de rigueur pour les hommes, talons, tailleur et fond de teint pour les femmes. Sur ses plaquettes, la biennale se veut une manifestation grand public. C’est visiblement raté. A part quelques badauds, le « grand public » n’est composé que de journalistes, dirigeants, et responsables d’entreprises. Leur manque d’écoute au bla bla ronronnant de Destot transparaît clairement.
**F.H. Jourda, une conception particulière du développement durable...
A côté du maire, on reconnaît, entre autres, Françoise Hélène Jourda. Elle est la commissaire générale, ou « marraine » de la biennale 2010. Un portrait s’impose. Bourgeoise en tailleur rouge, cheveux blancs platine coupés au carré, Françoise-Hélène Jourda est une architecte de renom. Elle se targue d’avoir intégré très tôt la notion de développement durable dans son travail, et a produit un rapport sur l’habitat durable dans le cadre du Grenelle de l’environnement.
À croire que le développement durable est un concept fourre-tout, qui s’accommode de beaucoup de choses, tant qu’il y a de l’argent à gagner. Françoise Hélène Jourda est en effet la responsable (devrait-on dire la coupable ?) de la construction « d’ouvrages d’art » (ponts et tunnels) de l’autoroute A 51 entre Grenoble et Monestier de Clermont.
Permettre aux Trièvois d’aller travailler en voiture tous les jours à Grenoble : on saisit tout de suite la pertinence en termes de protection de l’environnement. Et que dire des milliers de mètres cubes de béton, et de goudron utilisés ? Sa plaquette sur l’A 51 semble indiquer qu’elle n’a jamais mis les pieds sur l’asphalte de l’autoroute qu’elle a elle même conçu [1]. Il y est question de « mise en valeur du paysage », et d’une « intégration forte dans le paysage de tous les éléments annexes qui accompagnent la bande de roulement sans la constituer (équipements et raccords à l’autoroute). » Pont en béton de 350 mètres de long et plusieurs dizaines de mètres de hauteur, panneaux d’autoroutes, barrières métallisées, entrées de tunnel comme autant de bouches d’égout géantes... comment pouvait-on espérer les intégrer dans un paysage fait de montagnes et de forêts sans le saccager ?
Selon le concept futuriste de Françoise Hélène Jourda, cette autoroute est « traitée comme un “tube virtuel”, espace de circulation rapide irrigant la montagne ». Virtuelles, les nuisances qu’elle charrie dans la montagne ne le sont pas. Mais qu’importe. Pour que le développement durable soit sauf, on construira des logements HQE [2] à Monestier de Clermont afin d’héberger les gens qui iront travailler en voiture chaque matin à Grenoble.
**Des partenaires sans scrupules
Destot cesse enfin de s’écouter parler, mais ce n’est que pour laisser la parole à Bernard Soulage, douzième vice-président au conseil régional, puis à Marc Baïetto, le multi-récidiviste : président de la Métro, maire d’Eybens, conseiller général... Après ces prises de paroles pour dire grosso modo la même chose, Destot convie l’assistance à prendre « le verre de l’amitié durable ».
Applaudissement de convenance, puis tout le monde se dirige vers le buffet pour se rassasier. Avant cela, un petit tour de la salle s’impose, entre maquettes de bâtiments du futur et immenses panneaux en bois (développement durable exige) où s’affichent les entreprises partenaires de la biennale. Pas moins de 72 partenaires ont apposé leur logo sur la plaquette de présentation de la biennale. Parmi eux, une dizaine de médias, parmi lesquels on retrouve le Daubé et Ushuaïa Tv... [3]
Le développement durable a cela de pratique qu’il permet de se faire de la pub indépendamment de tout ce qu’on développe par ailleurs. On est par exemple ravi de découvrir que Bouygues, constructeur de prisons et de centres de rétention, s’intéresse au développement durable. Une prison pour sans-papiers alimentée en panneaux solaires, c’est tellement plus humain.
**De l’habitat durable à l’habitat intelligent
Parmi les partenaires, on retrouve Schneider Electric et GEG, deux boîtes pour qui « habitat durable » signifie « habitat intelligent ».
L’habitat intelligent, (de intelligence, qui signifie renseignement en anglais ) c’est le fait d’insérer des puces électroniques, des micro-capteurs, dans tous les objets du quotidien afin de récolter des informations comme la température, la luminosité, l’humidité, la présence de personnes, les sons, la fréquence de telle ou telle action…. Toutes ces données sont ensuite centralisées et traitées par informatique afin que tout dans votre maison soit géré automatiquement.
Les lumières s’allument et s’éteignent toutes seules, le chauffage se règle sans avoir à intervenir. Les panneaux solaires sur votre toit, ou votre maison tout entière, s’orientent pour capter le soleil idéalement. Vos plantes sont arrosées automatiquement quand le capteur d’humidité signale qu’elles ont soif. La chatière s’ouvre quand votre animal se présente devant la porte. Mais attention, cela fonctionne uniquement si c’est votre chat, identifié par une puce RFID sous cutanée, qui essaye de rentrer [4].
Imaginez une maison parfaite. Si parfaite, qu’elle n’a plus besoin de vous. Schneider Electric tente aujourd’hui de réaliser une telle maison. La vitrine de ce projet nous est présentée dans son dernier rapport sur le développement durable [5]. Il s’agit du « Hive (Hall de l’Innovation et Vitrine de l’Energie), le siège de Schneider Electric, situé en France. Dans ce bâtiment HQE*, nous maximisons la performance énergétique à l’aide de nos propres solutions. Nous avons opté pour l’intégration des produits et technologies les plus avancés dans une architecture unique et simple gérée par un logiciel global. » Et il est clairement spécifié dans la suite du rapport : « En l’absence de contrôles [électroniques] adéquats, ces mesures perdent leur efficacité dans le temps, souvent du fait des comportements humains. »
Tout est dit : l’humain est de trop dans ce monde machine, puisque c’est de lui que proviennent toutes les erreurs et dysfonctionnements.
Comme nous l’enseigne Françoise Hélène Jourda, « Les convictions écologistes n’ont rien à voir avec les réflexions passéistes voire réactionnaires. L’écologie, même si elle relève souvent du simple bon sens, peut être aussi technologique. » [6] Au moins un point sur lequel nous sommes d’accord. L’écologie est, avec la médecine, le principal argument du progrès technologique à tout prix. C’est sous prétexte d’écologie qu’ils essaient de nous faire gober leurs nanotechnologies. C’est au nom des réductions d’énergie, que nous devrons nous résoudre à confier la gestion de nos vies à des systèmes informatiques. L’impératif écologique ne nous laisse plus le choix. « C’est pourquoi nous devons inaugurer une nouvelle ère : celle de l’efficacité. Si nous échouons, nous tomberons l’ère [sic] de l’angoisse énergétique, marqué par des troubles politiques et des investissements qui ne feront qu’atténuer le réchauffement climatique plutôt que de l’éviter » assène le paragraphe sur l’énergie intelligente du rapport Schneider [7]. En d’autres termes : l’énergie intelligente ou le chaos...
Derrière cette propagande, on sait que l’argent est le seul des fameux piliers du développement durable qui intéresse les partenaires de la biennale. Schneider l’assume ouvertement : « Le développement durable est une opportunité réelle et essentielle pour la mobilisation, la croissance et la différentiation » [8], ou encore : « Schneider Electric cherche aujourd’hui à saisir ce qui est peut-être la plus grande opportunité de business qui ne lui a jamais été offerte : l’Energie Intelligente » [9]. Exit les considérations écologiques. On remarquera notamment qu’il n’est jamais question de s’intéresser au coût pour l’environnement de la fabrication des millions de puces électroniques que l’on veut implanter partout.
Que le lecteur se rassure quand même quant à l’état de la robotisation chez Schneider. Vu le nombre de fautes de langue et d’orthographe (plus de sept erreurs sur certaines pages) dans son rapport officiel, on est sûrs que chez eux, il y au moins un être humain derrière l’ordinateur.
**Même pas faim
Côté buffet, nous découvrons ce qui fait la spécificité d’un verre de l’amitié durable : à côté des petits-fours industriels, on sert du sirop issu de l’agriculture biologique. Les bouteilles sont placées bien en évidence sur la table. Comme nous le rappellent les spot TV du ministère du développement durable, « il n’y a pas de petits gestes quand on est 60 millions à les faire »... Niveau ambiance, c’est très mondain ; tout le gratin politicien grenoblois est là. Tout le monde se connaît. Les poignées de main s’échangent, ça fait semblant de rire, et passe d’un convive à un autre. On imagine que la plupart des personnes présentes ici n’en sont pas à leur premier gueuleton de petits fours de la semaine.
Des gens commencent à s’éclipser, alors même que doit suivre un discours de Françoise Hélène Jourda. On ne s’attarde pas non plus, on a eu notre dose de baratin politicien durable. Un homme d’une soixantaine d’années croisé à la sortie, résume la soirée ainsi : « Et ben, on a bien mangé et bien bu, voilà tout ! »
Notes
[2] Haute Qualité Environnementale
[3] Frédéric Taddeï, journaliste de renom animera un débat pendant la biennale. C’est qu’il faut du beau monde, de préférence connu, pour attirer le chaland. On ne sait pas s’il a été rémunéré pour descendre de Paris mais dans le milieu journalistique, ce genre de travail s’appelle « un ménage ». La charte des devoirs professionnels des journalistes stipule pourtant : « un journaliste digne de ce nom ne touche pas d’argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ».
[4] Ce n’est pas une blague, la société Sureflap en commercialise déjà. Bientôt le même système pour vos enfants ?
[5] Schneider Electric, Make the most of your energyTM, rapport d’activité et de développement durable 2008-2009, p15
[6] Schneider Electric, Make the most of your energyTM, rapport d’activité et de développement durable 2008-2009, p15
[7] F.H. Jourda, « architecture écologique et respect des autres », disponible sur son site internet.
[8] Site internet, page « notre stratégie de développement durable »
[9] Schneider Electric, op. cit. P11.