Tchao Minou
À chaque fois qu’on se croisait, il me conseillait : « Minou ! Tes Postillons, là, tu devrais les mettre à Bourgoin-Jallieu ! Et à la Tour-du-Pin aussi ! Donnes-m’en, j’en amène ! » Claude appelait tout le monde « Minou » et avait beaucoup d’idées – plus ou moins pertinentes. Sur ce coup, il avait raison : bien entendu qu’on devrait distribuer Le Postillon à Bourgoin et à La Tour-du-Pin mais, que voulez-vous, on manque à la fois d’ambition, d’argent et d’énergie. Des fois, il m’arrivait de lui filer des anciens numéros et je sais pas ce qu’il en faisait : peut-être les posait-il sur le premier muret venu, peut-être les donnait-il à quelqu’un, peut-être les oubliait-il quelque part. Ce que je sais, c’est qu’il sillonnait le département en train, sans payer je crois – de ce que j’avais compris les contrôleurs le connaissaient à force et le laissaient faire. Ses voyages l’amenaient à Pontcharra, Voiron, Lyon ou Bourgoin pour faire un p’tit tour, taper la manche ou dormir à l’hôpital... À un moment j’avais imaginé le suivre dans ses déambulations ferroviaires, pour découvrir son rapport au territoire si particulier. Mais Claude Bécigo est mort ce mois d’avril, après 62 ans de vie plus ou moins à la rue, de taxages en tous genres et de poésies burlesques. De la cérémonie d’hommage me restera cette phrase : « C’était un zinzin, oui, mais un zinzin magnifique. »