Postillon versus lecteurs : et 1, et 2, et 3 zéro
« Franchement c’est dommage parce qu’il y avait des choses bien plus intéressantes à raconter ». C’est un retour qu’on a eu plusieurs fois : après un article pondu sur un sujet, des personnes bien informées nous expliquent gentiment qu’on est passé à côté de l’essentiel. Dans le numéro 18, publié en décembre 2012, on avait tiré le portrait du sénateur ivre de pouvoir André Vallini. Rencontrée quelques mois plus tard sur un marché, une de ses anciennes collaboratrices nous avait assuré : « Ce que vous avez écrit tout le monde le sait déjà. Il y avait bien pire à dire ». Mais quoi ? Pas froissés par son air mystérieux, on lui avait proposé de nous raconter tout ce qu’on avait raté, quitte à faire une suite à notre article. On l’avait même relancée plusieurs fois, au fil des mois - puis des années. Mais que dalle, walou, nada : elle n’a rien lâché du tout, même en off, et nos lecteurs sont restés bêtement aussi ignorants que nous.
Dans le numéro 39 (février-mars 2017), deux pages sont consacrées à Sciences-Po Grenoble, usine à formatage des élites locales. On est tombés dernièrement sur plusieurs connaissances travaillant pour ce noble institut. Et là, rebelote : « Vous m’avez déçu. Vous ne racontez que des vieilles histoires alors qu’il y a plein de choses actuelles à dénoncer. J’attendais beaucoup mieux du Postillon ». Nous on est ouverts, et toujours prêts à perfectionner notre boulot. Alors on a chauffé nos interlocuteurs, en ces termes choisis : « vas-y balance ! ». Mais là non plus, on n’a eu droit à aucune information supplémentaire. Les futurs étudiants de Sciences-Po devront se contenter de notre article lacunaire.
Lacunaire, mais humble : nous sommes bien conscients du manque de prestige de notre publication. On comprendrait que ces chercheurs fassent don de leur science et de leur analyse aiguë aux 54 lecteurs d’une revue universitaire reconnue, plutôt qu’à notre modeste « torchon de luxe », comportant à peine quelques petites notes de bas de page. Mais non : rien d’autre de critique n’a été écrit sur Sciences-Po Grenoble ; à moins qu’on ne soit là encore, passé à côté ? Quant à l’ancienne collaboratrice de Vallini, elle n’a balancé nulle part ailleurs ces informations « bien pires » que les nôtres. L’ex-sous-ministre peut compter sur le silence de ses victimes.
On le sait : c’est pas toujours évident de critiquer ce qui nous fait croûter. Certains s’épanouissent même dans leur boulot, et grand bien leur fasse. Notre intelligence limitée nous empêche certainement de comprendre, par exemple, en quoi Science-Po ne sert pas avant tout à l’entre-soi des élites : si certains veulent nous expliquer, nos oreilles sont grandes ouvertes, mais qu’ils ne se cachent pas derrière des questions de forme pour masquer des divergences de fond. Et qu’ils sachent faire preuve d’un minimum de savoir-vivre : évoquer des informations inédites sans donner plus de détails, c’est à peu près aussi intelligent que promettre à un enfant un goûter qui n’arrivera jamais. Nous, on a la dalle !