Grand procès de l’IA
Juges et parties. Quasiment tous les acteurs de ce « grand procès de l’IA », qu’ils bossent au MIAI (en français ça donne « institut interdisciplinaire pour l’intelligence artificielle », puissant institut de promotion de l’IA situé sur le campus de Saint-Martin-d’Hères), au CNRS, ou à l’UGA, ont fait du développement de l’IA leur gagne-pain. Alors leur prétention à juger impartialement cet ouragan technologique sonne aussi faux que si des barmans faisaient le procès de l’alcoolisme. Sans surprise, ce procès est donc très orienté, présentant globalement les critiques de l’IA comme des fantasmes peu fondés et évitant soigneusement de s’épancher sur les impacts matériels de l’IA comme l’exploitation des enfants dans les mines du Congo, ou la gloutonnerie énergétique de tous les supercalculateurs nécessaires au développement de l’IA.
Les différents argumentaires développés étaient dominés par « la pensée ingénieur », présentant tous les problèmes sous le prisme coût/bénéfice. Ainsi on a appris que pour générer 150 images, l’IA n’émet qu’environ 50 kg de CO2, alors que si ce même travail était fait par un humain, ça lui prendrait cinq semaines, soit environ 800 kg de CO2. D’ailleurs à ce propos, les robots n’émettent pas de méthane quand ils pètent, eux… alors autant s’auto-grandremplacer. La perspective ne semble pas effrayer les trois quarts des 200 personnes présentes (dont une énorme majorité ont déclaré utiliser l’IA dans le cadre personnel ou professionnel), qui ont voté en fin de soirée « contre » la culpabilité de l’IA. En inculpant une IA présentée comme « irresponsable » et « fruit de son apprentissage », les organisateurs de cette soirée ont surtout voulu éviter un procès autrement plus intéressant : celui des intellectuels se démenant pour présenter le développement de l’IA comme inéluctable.
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Une IA objective ou neutre est-elle possible ?
Ce rendez-vous et le suivant font partie d’un cycle organisé par la société alpine de philosophie et dénommé « la société au défi de l’IA ». Aux manettes, on retrouve le bellâtre Thierry Ménissier, philosophe d’opérette et directeur scientifique de la chaire « éthique & IA » du MIAI. Entre mars et juin, six « cours », assurés par Ménissier ou un-e de ses sbires, ont pour objectif d’« expliquer pourquoi l’intelligence artificielle a besoin d’une philosophie ou de la philosophie » – soit plus trivialement pourquoi on a besoin d’eux et pourquoi ils méritent leurs salaires d’universitaires. La vraie question fondamentale serait de se demander pourquoi on aurait besoin de l’intelligence artificielle tout court, mais ça serait sans doute malvenu pour ces intellos de questionner l’existence de leur propre champ d’études – donc de leur gagne-pain. Ce soir c’est Ambre Davant, « chercheuse post-doctorante en éthique de l’IA », qui intervient brillamment pour baratiner sur « l’éthique située » qui répondrait à nos choix et valeurs décidés collectivement. C’est quand même dingue qu’avec ce niveau d’études, on puisse toujours être à ce point (faussement) naïve pour laisser entendre qu’on pourrait insuffler des « valeurs » à des machines développées pour les intérêts d’ultrariches, loin de tout semblant de processus de décision collective. Ensuite, les questions tourneront toutes autour d’un tableau très apocalyptique du futur qui nous attend. Quoi d’étonnant ? Ce sont les propres promoteurs de l’IA qui l’alimentent. Il y a deux ans, les patrons des principales boîtes d’IA alertaient : « limiter les risques d’extinction posés par l’IA devrait être une priorité globale » (Courrier international, 30/05/2023). Ce soir, Ambre Davant, en répondant à une question, affirme : « La trajectoire actuelle dans le domaine de l’IA est vraiment catastrophique » alors que Ménissier avait asséné en début de soirée : « Non pas que la situation ne soit pas grave. La situation est très grave. » Qu’ils soient philosophes, patrons ou ingénieurs, les promoteurs de l’IA utilisent les mêmes vieilles techniques des vendeurs d’assurances à savoir : répandre la peur pour mieux vendre leurs fausses solutions.
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L’IA et le travail, une transformation radicale ou une évolution sans surprises
La nouvelle forme d’automatisation des tâches permise par l’IA provoque deux discours déjà traditionnels. D’un côté celui de la peur du remplacement forcé de l’homme par la machine et de la perte involontaire de notre gagne pain. D’un autre celui de la libération de la pénibilité et de la contrainte du travail grâce aux machines pour le plus grand épanouissement de tout le monde.
Mais les possibilités d’automatisation totale sont largement fantasmées. Historiquement, l’introduction de l’automatisation s’est faite grâce au morcellement de l’activité humaine en tâches répétées, en œuvre depuis l’essor du monde industriel et qui a entraîné le chapelet de nuisances individuelles et collectives qu’on connaît. Pire encore, l’industrie de l’IA elle-même est le meilleur exemple de travail organisé d’une manière standardisée et précaire, notamment grâce aux pauvres « travailleurs du clic », sous-payés pour générer des données, noter des images, vérifier des prédictions, modérer des contenus… Bref, l’automatisation grâce au calcul et l’informatique n’est que l’amélioration d’un système d’exploitation centenaire.
Voilà en gros le propos de l’exposé des deux doctorants du soir, Chloé Bonifas et Louis Devillaine, au demeurant fort perspicaces et assez drôles. Le tableau, assez lucide, montre aussi que l’automatisation est généralement voulue par les patrons et subie par les travailleurs… Reste la question : que faire ? C’est là qu’on passe de la perspicacité à la myopie. Les deux intervenants plaident pour une « grande réflexion collective » afin de décider tous ensemble tous ensemble ouais ouais quelle IA et quelle automatisation serait la plus bénéfique. Le déferlement de l’IA ne serait, donc, qu’une bonne occasion pour réfléchir à la façon dont les travailleurs pourraient participer à une organisation collective du travail. Comme si de telles occasions ne s’étaient jamais présentées depuis deux siècles et comme si les chemins vers une émancipation des travailleurs n’avaient pas été barrés par des intérêts économiques, dont la puissance est aujourd’hui renforcée par l’IA.
Le développement de cette nouvelle industrie ne va-t-il pas encore rendre plus impossible une potentielle réappropriation collective du travail ? Quand la question a été posée, il y a eu un temps de silence puis cette affirmation : « Je crois que la réponse est dans la question. » Mais énoncer clairement cette évidence impliquerait de militer activement pour l’arrêt du développement de l’IA et empêcherait de se faire payer pour l’accompagner.
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