Les serviteurs du dieu innovation
Mélange des mondes : dans le quartier Saint-Bruno, un incubateur de start-up accueille une messe hebdomadaire. Pour mieux évangéliser le marché ?
Une lectrice nous a envoyé une requête : « Après avoir visionné la série documentaire sur les évangéliques sur Arte, j’ai regardé où il y avait des églises évangéliques à Grenoble. J’ai découvert qu’une nouvelle église était domiciliée chez l’hébergeur de start-up MoonShot Labs, cours Berriat, et y organisait des messes tous les dimanches matin à 10H30. Quel drôle de mélange des genres ! Je serais très intéressée si vous avez plus d’informations sur ce phénomène. »
On connaissait déjà Moonshot Labs, un incubateur de start-up (voir Le Postillon n° 56) dont le but n’est rien de moins que de « viser la lune et faire des projets ambitieux ». Comme inventer une vie après la mort ?
On est donc parti en quête des liens entre les start-uppers et les évangélistes, en l’occurrence l’église Sole Gratia. Pour créer de nouveaux business, faut-il s’inspirer de la religion pour convaincre des païens ? À la sortie de la messe, un dimanche matin, une pratiquante nous a assuré qu’il s’agissait de sermons « normaux », sans aucun lien avec le monde high-tech. A priori aucune réponse n’est apportée sur notre cheminement spirituel pour trouver les liens entre start-up nation et Bible.
À l’accueil des locaux, la réponse est en fait décevante. Une personne nous assure qu’il s’agit juste d’une relation commerciale. La nouvelle église Sole Gratia a cherché pendant longtemps des locaux, sans succès. Moonshot Labs est simplement le premier lieu à avoir accepté la présence d’une messe hebdomadaire. « Il a juste fallu l’accord des fondateurs, nous en avions trois sur quatre et comme le dernier traînait à répondre, les trois autres ont accepté. » Auraient-ils aussi accepté si ça avait été une messe d’Amish ? Mystère…
Chez les start-uppers, beaucoup ne sont pas au courant qu’il y a une messe ici le dimanche. Ils auraient certainement beaucoup à échanger avec le pasteur, qui a un parcours assez compatible avec le Moonshot Labs. Après avoir validé deux masters en systèmes d’information et en management industriel à l’IAE de Grenoble (Institut d’administration des entreprises), il a occupé un poste de manager au sein de l’entreprise Volvo. Et puis il a vu la lumière et repris des études avec un master en théologie à l’université de Chicago, débouchant donc sur sa fonction de pasteur. Depuis, il développe son église, en manageant spirituellement les croyants.
En s’éloignant du Moonshot Labs, on en trouve même d’autres plus explicites. Ainsi plusieurs start-up possèdent, en plus de Chief Happiness Officers (ceux qui doivent installer des baby-foot et organiser des escape games pour créer un « esprit d’équipe »), des « Chief Evangelist Officer ». Sur leur profil LinkedIn, ils présentent leur job : « Je suis celui qui va évangéliser le marché de la formation digitale (ou digital learning) en devenant la figure publique qui portera l’image et le discours de la marque. […] Ma mission principale sera donc d’accompagner et conseiller nos clients sur la voie de la digitalisation. » À Grenoble, un certain Franck Rageade se présente comme « agile evangelist » ou « creative disrupter ». La boîte où il bosse s’appelle Bee Buziness, mais rien à voir avec les abeilles, car le but est aussi de vendre toujours plus de « digitalisation ». On vous a déjà dit que le numérique était l’opium du peuple ?