Accueil > été 2024 / N°73

Les potins du patin

Pour rafraîchir ce numéro estival, quoi de mieux qu’un petit tour à la patinoire ? Cet hiver, Le Postillon est allé traîner ses patins à glace à Pôle Sud, à la rencontre des habituées et visiteurs occasionnels de ce lieu de mixité et de sociabilité rare. Voilà-t-y pas que notre journal se met au publireportage...

Accroché à la barrière de protection qui sépare la piste de glace du bord, on aperçoit un homme âgé avec des gants en polaire, une veste large et une casquette, toutes deux à l’effigie des Brûleurs de Loups, le club de hockey sur glace local. Il donne des conseils à celles et ceux qui passent à côté de lui : «  T’es à Grenoble et t’as un pied en Savoie et un pied dans la Drôme ! Rapproche-les !  » Ici, tout le monde l’appelle « Papy ». Il raconte : « Aujourd’hui j’ai 80 ans. J’ai commencé à patiner en septembre 1963. J’ai été arbitre et assistant de Pete Laliberté, un joueur canadien qui a créé le premier club de hockey de Grenoble avant de devenir entraîneur de l’équipe de France.  » Il nous raconte avoir fait un AVC il n’y a pas longtemps, ce qui l’oblige à rester cramponné à la rambarde. «  Il y a un jeune à qui j’ai tout appris qui vient souvent. Il me prend par la main et m’emmène faire des tours. » Tous les habitués le connaissent ici. Des jeunes viennent le voir. «  – Salam aleykoum Papy ! – Salam aleykoum ! – Lui il nous a tout appris, les croisés avant, les croisés arrière, etc. – Sauf à tomber ça c’est pas moi  » s’amuse Papy. « La première chose que je leur apprends c’est à se relever. Il y a des gens de tous âges et de tous horizons ici. Ils me payent deux fois, avec leur sourire et avec leurs progrès. Une fois, j’ai posé ma main sur l’épaule d’un gamin pour lui donner un conseil. Une main se pose alors sur la mienne, c’était celle de son grand-père. Il lui a dit “écoute bien ce que dit le monsieur, c’est lui qui m’a appris à patiner.”  »

La première fois qu’on y est allé, c’était pour les vacances de février. Peu avant l’ouverture à 14 heures, une bonne centaine de personnes se place en file indienne devant l’imposant site. C’est les vacances d’hiver. À cette période, 1 250 personnes viennent en moyenne chaque jour ici nous dit Hakim, le responsable de l’accueil. La musique résonne, les gens tournent en sens antihoraire à la manière d’un roller dancing. Certains se tiennent la main par peur de tomber, par amour ou bien les deux à la fois. D’autres se retrouvent étalés au sol, filmés par leurs potes en train de se marrer.

Soudain, tout le monde est sommé de quitter la piste. Une surfaceuse, un gros engin roulant, fait alors son entrée pour refaire la glace abîmée par les patineurs. Une fois la surface à nouveau lisse, plusieurs personnes dispersent des plots aux quatre coins de la piste. Une dizaine de jeunes s’alignent et se préparent à faire la course. Le vainqueur c’est Alexis, un grand gaillard que l’on retrouve en sueur sur le banc. « Moi je suis du Sappey-en-Chartreuse. Ça fait un an et demi que je viens ici, la première fois c’était avec un ami à moi. Pendant les vacances je viens tous les jours, on se montre, il y a de la compétition entre nous mais c’est toujours bienveillant. » Il est accompagné de Coralie, 18 ans également, qui n’a même pas de patins aux pieds « C’est mon meilleur ami, on s’est rencontrés ici. Le patinage c’est un prétexte pour discuter, c’est un endroit qui permet de communiquer et puis c’est un peu Tinder ici. Des fois on se pose devant la patinoire après.  »

Devant l’affluence de cette fin février, une deuxième halle est ouverte, plus grande, avec une glace paraît-t-il meilleure. Elle dispose de plusieurs rangées de gradins, c’est là que se déroulent les matchs des Brûleurs de Loups. Sur le côté on fait la connaissance de Fares qui arbore un ensemble Lacoste vert pâle. « J’habite Place des géants à la Villeneuve. J’ai commencé à patiner à 7 ans, la patinoire était à la halle Clemenceau au parc Paul Mistral à l’époque. Aujourd’hui j’ai 29 ans, je suis allé cinq fois à l’hôpital depuis » s’amuse-t-il en montrant une photo de son avant bras avec une plaie béante. « Moi ma meuf je l’ai rencontrée ici, c’est un site de rencontre. Il y a des gens qui viennent de Vizille, de Vif.  » C’est le cas de Deva, 13 ans, qui se tient à côté de lui : «  Une copine m’a fait découvrir le patinage artistique et j’en fais depuis plus de trois ans maintenant. Des gens viennent me voir pour me demander mes réseaux, certains forcent des fois, c’est un peu chiant. Moi je viens pour m’amuser.  » Yanis, 23 ans, patine extrêmement bien : «  Moi je suis de Teisseire, ça fait neuf ans que je viens ici. Au début je faisais du roller hockey puis j’ai kiffé la glace, aller vite, faire des figures. C’est mon grand frère qui m’a appris. Tout le monde est très gentil ici, quand quelqu’un tombe ou se blesse, tout le monde vient l’aider. On vit tous ensemble, on est pareils. » Yannis s’amuse en s’adressant à Youma : «  Toi quand t’as commencé t’étais une merguez. » La lycéenne de 17 ans ne le prend pas mal : « Moi je viens depuis que j’ai 16 ans. Le soir mes seules sorties c’est soit je peux aller chez mes copines soit venir à la patinoire. On se sent bien ici, je patine avec le jilbab  [une longue robe prolongée d’une capuche NDLR] et tout le monde s’en fout alors qu’à l’extérieur j’ai beaucoup plus de remarques... » Yannis poursuit : « On est du même quartier avec Youmna, là-bas je savais même pas qui c’était. C’est ici que la relation a commencé, beaucoup de gens font connaissance. Que ce soit Villeneuve, Teisseire, le Village Olympique, à l’extérieur il n’y a pas d’entraide alors qu’ici on partage autour du patin.  »

De retour dans la première halle, on croise un couple avec deux enfants. Tous portent des casques et des gants de ski. « – Moi je suis agriculteur, je fais de l’élevage et je produis du lait – Et moi je suis principale adjointe dans un collège. » Le couple habite à Paladru. «  On vient juste passer un moment en famille, c’est très occasionnel. La dernière fois ça devait être il y a six ans. » Un peu plus loin, deux étudiants à Grenoble École de Management mettent à l’épreuve leurs stéréotypes en venant à la patinoire : «  Ça va peut-être vous paraître cru mais c’est rigolo de voir ici des Lacoste-TN se transformer en danseuses. »

On discute ensuite avec Olivier et Sandrine, respectivement webdesigner et cheffe de projet en informatique, avec leurs enfants : «  On habite à Bourg-en-Bresse, on s’est rencontrés à Grenoble pendant nos études donc on pèlerine ici. Nos enfants demandent souvent à venir ici. C’est un bon compromis vu qu’il n’y a plus de neige en station. » Loann, lui, vient de Saint‑Martin-d’Hères : «  Je suis là tous les deux jours pendant les vacances sinon je viens après les cours que je finis tôt, raconte le lycéen de 17 ans. Avec ma carte de bus ça coûte que cinq euros. À force de venir je connais beaucoup de gens. Ça permet d’avoir d’autres amis que ceux de mon quartier. »

Pas mal de MJC du coin organisent des sorties ici. On a aussi croisé une quinzaine de mineurs non accompagnés ainsi que des travailleurs en Esat (Établissement et service d’aide par le travail). Plusieurs habitués nous ont parlé de bagarres qui se déroulaient à l’intérieur ou devant la patinoire il y a quelques années de cela, plutôt lors des nocturnes. Les jours où on est venu, aucune embrouille à signaler dans ce lieu de sociabilité accessible et populaire, où l’on passe autant de temps en dehors que sur la glace.

(1) Pour le reportage à la piscine Jean Bron, il faudra donc attendre le numéro hivernal.