« La police française protège la police »
Interview de la mère d’un des interpellés de la Villeneuve
Il y a deux France. Celle de Neuilly-sur-Seine, de Corenc et des beaux quartiers. Celle de Liliane Bettencourt, plus riche femme de France mouillée dans une histoire de conflit d’intérêts, « affreusement choquée » après la perquisition ayant eu lieu à son domicile le premier septembre dernier, alors que celle-ci s’est déroulée en toute courtoisie : « La brigade financière m’a demandé ce matin par téléphone si j’acceptais une perquisition de mon domicile. » (Le Monde, 1/09/2010)
Et puis il y a la France de la Villeneuve, de Villiers-le-Bel et de tous ces grands ensembles honnis. Là ou les perquisitions ne se déroulent pas après une demande téléphonique, mais avec portes défoncées, violences, mépris, humiliations verbales.
Suite aux nuits d’émeutes qu’a connu la Villeneuve en juillet, la police s’est sentie obligée de faire illusion sur son efficacité. Et a donc lancé plusieurs opérations médiatiques afin d’interpeller des « fauteurs de trouble ». Opérations qui – malgré la présence de dizaines de médias – se sont révélées absurdes, la plupart des interpellés ayant été relâchés par la suite. La mère d’un des interpellés raconte l’envers du décors de ces opérations de communication, et digresse sur son quartier, le racisme et la police.
**Peux-tu nous raconter comment s’est passée la perquisition et comment tu l’a vécue ?
C’était un dimanche matin vers 6h30, ils étaient six ou sept policiers. Quand j’ai ouvert la porte, ils ont dit que c’était une perquisition par rapport à mon plus grand fils et ce qui s’était passé à Villeneuve. Ils m’ont demandé si je savais de quoi ils parlaient. J’ai dit que j’avais appris ça par les médias. Un des policiers a tout de suite dit que je mentais alors que c’est vrai, j’ai appris le braquage par les médias. En fait quand j’ai vu les hélicoptères à la Villeneuve et le déploiement de la police dans le quartier, j’ai tout de suite regardé les informations à la télé.
Ils nous ont alignés dans le couloir comme des prisonniers, moi et mes enfants. Mes deux garçons de dix-huit et quatorze ans ont été menottés. Ils ne voulaient même pas que je m’habille, j’étais indisposée, ma serviette est tombée, je n’ai pas eu le droit de la ramasser.
Ils ont tout fouillé même les chambres des enfants, même celle de mes filles tout en disant qu’ils n’avaient pas le droit de faire ça, de fouiller dans les chambres des mineurs et dans toute la maison parce que le mandat concernait seulement une seule personne, mon fils. Mais ils ont quand même fouillé partout, même dans mon congélateur. J’ai demandé à voir le mandat mais ils m’ont dit : « Ce sont des mesures exceptionnelles prises par le gouvernement », et ils ne m’ont rien montré du tout. Et là il n’y avait personne pour m’informer de mes droits. Personne n’est passé après pour me dire s’ils avaient le droit de faire ça ou pas.
A un moment, j’ai posé une question à un policier qui m’a répondu : « Je m’en bats les couilles » Comment des policiers peuvent dire ça devant des femmes et des enfants : « Je m’en bats les couilles » ? Déjà moi je ne me suis pas sentie respectée, et en plus une personne sensée doit tenir un discours correct, surtout une grande personne qui se présente devant des enfants. Et le lendemain ils voudraient qu’on les respecte ? Et ça la presse ne l’a pas raconté ça, que nous avons subi des perquisitions sauvages avec des insultes et sans mandats.
Ce qui m’a énervé c’est leur comportement, ils arrivent chez vous, ils fouillent, ils parlent mal, ils ont un langage déplacé, vulgaire. Quand la police arrive chez les gens et les insulte, les gens ont aussi envie à leur tour de l’insulter. Est-ce que quand on est policier ça veut dire qu’on est au-dessus des lois ? à mon avis non, mais un des policiers m’a quand même dit aussi : « On peut faire ce qu’on veut de vous ».
Je ne me suis pas sentie respectée. Ils m’ont aussi demandé d’où je venais, de quel pays et un policier a dit : « Mais dans votre pays ça ne se passerait pas comme ça, ça aurait été pire », comme si je devais être contente que ça ne soit pas pire. Mais est-ce qu’il a déjà été dans mon pays celui-là ? Il ne sait pas comment ça se passe dans mon pays. Je doute qu’un policier là-bas dise devant un enfant : « Je m’en bats les couilles ! », c’est vulgaire et puis je m’en fiche de ses couilles. Est-ce que d’habiter à Villeneuve ça veut dire qu’on est des sous-hommes ? Si on est tous des mauvais, qu’on nous emmène tous en prison ! Pourquoi nous sommes encore dehors ?
C’est dur ! J’ai senti du racisme.
Ils ont aussi fait des réflexions par rapport à mes ressources financières. Par exemple, ils ont dit que j’avais beaucoup d’enfants, sous-entendu que je profitais des allocations familiales. Ils ont aussi dit que j’avais des beaux sacs, sur un ton accusateur.
Ils ont tout dérangé mon linge, les habits que je passe mes journées à plier et ranger. Ils ont cassé la commode de mon petit garçon. Parce que quand ils fouillent c’est comme à la télé, ils sont violents, ils jettent tout par terre. J’ai remplacé la commode, ça m’a engendré des dépenses qui n’étaient pas prévues. Et ça sur le budget de qui ?
A la fin, ils ont emmené en garde-à-vue mon fils de dix-huit ans présent ce matin là, il est parti en caleçon de nuit, il n’a pas pu enfiler son pantalon. Et si je ne l’avais pas rejoint avec ses affaires au commissariat ? Il serait rentré comme ça en caleçon ? A l’entrée de la garde-à-vue, il n’a signé aucun papier et à la sortie non plus. En dramatisant, on peut se dire que lorsqu’il est là-bas il peut lui arriver quelque chose, un décès, une maladie. Est-ce que la vie d’un policier est plus chère que la vie d’un civil ? Ça aussi la presse ne l’a pas dit, qu’il y a eu des gardes-à-vue où on t’emmène et tu ressors sans aucun papier, c’est ce qu’on a subi à Villeneuve.
Mon fils de vingt ans connaissait le gamin qui est mort dans le braquage, c’est des gens qui ont grandi ensemble, moi aussi je connaissais le gamin. Est-ce que connaître un voleur veut dire que je vole ? Aucun rapport. Quand il y a eu la perquisition, mon fils était parti en vacances. Le policier a cru que c’était parce qu’il était mêlé à l’affaire du casino qu’il serait parti précipitamment en vacances. Et pourtant vous et moi on sait très bien que quand on part en vacances, dans un camp de vacances, on a au moins quinze jours de réservation. Il a du revenir de vacances pour aller en garde à vue.
**Ca se traduit comment au quotidien cette violence gratuite, ce racisme, ces humiliations que vous subissez ?
Déjà, c’est clair que la police fait une différence de traitement entre les personnes d’origine française et un petit maghrébin ou un petit noir, les comportements sont différents. D’ailleurs les personnes qui vont en garde-à-vue le disent.
Même la justice, les enfants le savent bien aussi que l’on traite pas de la même façon l’erreur d’un jeune immigré et celle d’un jeune blanc. C’est du vécu.
Il y a aussi la question de l’image de notre quartier, des préjugés. Il y a déjà un truc qui se dit en France c’est que dans les quartiers populaires, c’est pas bien. C’est cette image-là que la presse est en train de véhiculer. Je pense que casser les magasins, brûler les voitures c’est pas bien mais un exemple : lorsque c’est de la fête de Noël à Villeneuve et que des enfants de Villeneuve cassent des voitures ou des magasins tout de suite on dit : « c’est un quartier sensible, au secours ! ». Mais quand c’est la fête du Beaujolais nouveau en centre-ville et que les étudiants cassent des magasins là-bas, les commentaires ne sont pas les mêmes. Pourquoi à la fête du Beaujolais en centre-ville, les enfants peuvent déborder de joie et casser leurs magasins et pourquoi à la fête de Noël à la Villeneuve, les enfants ne peuvent pas déborder de joie et casser les magasins ? Quand on habite dans un quartier sensible, et d’ailleurs ça veut dire quoi un ‘‘quartier sensible’’ ? Ben, on n’est pas moins humain que quelqu’un qui habite en centre-ville.
Et puis d’ailleurs, c’est pas parce qu’on habite dans un H.L.M. qu’on est forcément pauvre et quand on habite en centre ville qu’on est forcément riche, c’est mon opinion. C’est l’image qu’on colle à un quartier qui est mauvaise. J’habite à Villeneuve depuis 1994, et je peux vous dire qu’en dehors des problèmes de voisinage parce que j’ai des enfants, j’ai pas de problèmes avec les gens d’en bas, ni avec qui que ce soit. Les engueulades que j’ai eu c’était à la sortie de l’école parce que nos enfants s’étaient battus. La majorité des jeunes en bas même si je n’excuse pas ce qu’ils font parfois, ils sont gentils ces gars.
Moi si je vois un petit dans l’ascenseur qui jette un papier par terre, je lui dis : « Eh, tu habites là, c’est la maman de ta copine qui nettoie ». Les jeunes disent qu’ils emmerdent le système, moi je leur réponds qu’ils s’emmerdent eux-mêmes. Le système n’habite pas là, c’est nous qui habitons ici. Je leur dis aussi : « C’est moi la maman de ton copain qui suis embêtée quand l’ascenseur est dégoûtant. C’est toi qui auras un casier judiciaire, qui seras embêté, pas le système, lui il s’en fout ».
J’ai été braquée, on m’a arraché mon sac une fois, j’étais en rendez-vous et ce n’était pas à Villeneuve. Quand il m’est arrivé de rentrer d’une soirée à trois heures du matin, on ne m’a jamais tapé dessus et pourtant, sans vouloir me vanter, j’ai des beaux sacs.
La presse fait comme s’il n’y avait rien de beau à Villeneuve. Moi jusqu’ici je m’y sens bien dans ce quartier. J’ai pas à me plaindre.
**Et la présence musclée de la police cet été, comment tu l’as vécue ?
La police quelque part n’est pas sécuritaire, ça chauffe par contre les esprits. Il y a des peurs quand la police est là. Il paraît qu’on leur jette des choses dessus, pourquoi ? Quand elle n’est pas là est-ce qu’on est moins en sécurité ? Dans mon pays, la police protège les biens et les personnes, la police française, elle, protège la police.
Déjà un policier rien que de le croiser dans la rue ça peut énerver parce que c’est un public qui ne vous dit pas bonjour et quand ils se mettent sur la place du marché alors que le braqueur est décédé, c’est de la provocation, c’est mon avis. Ils font quoi sur la place du marché ? Vous croyez vraiment que si je dois aller voler quelque chose, j’irai le faire sur la place du marché alors qu’il y a plein de policiers ?
On en parle entre habitants à la Villeneuve, on ne comprend pas ce qu’ils font. La présence policière ça énerve, honnêtement. Sur dix personnes de Villeneuve ça en énerve au moins huit. Le problème c’est pas nous, ce sont les pouvoirs publics et aussi le chômage, les suppressions d’emplois. Quand on va braquer un casino, c’est aussi qu’on n’a plus rien a perdre, c’est vrai, même si je ne l’excuse pas le braqueur.
C’est pas pour notre sécurité que la police est à Villeneuve, c’est pour nous provoquer.
Ce qui s’est passé cet été à la Villeneuve, c’était la police d’Hitler, prête à tirer sur les immigrés qui étaient là, excusez-moi, pas celle d’un pays démocratique. Comme on dit que la France est la plus grande démocratie du monde, on se pose des questions.
En France, dès qu’il y a un petit problème, c’est récupéré de façon politique parce que la question du racisme, ce qu’on appelle le « problème de l’immigration » est soulevé par les politiques. Du coup, la personne qui en parle le plus gagne les élections. C’est comme si être immigré veut dire qu’on est un sac à problèmes.
Est-ce qu’il faut attendre que ça brûle pour que les pouvoirs publics réagissent ?
On dit souvent, quand il y a un problème, il y a une solution. Alors pourquoi on ne trouve pas de solutions pour Villeneuve ? C’est eux qui ont un problème, ce n’est pas nous. Et en plus c’est une personne qui a commis une gaffe, est-ce que ça veut dire qu’on doit nous mettre en état de siège, qu’on doit nous contrôler ? Les autorités publiques ne font rien pour arranger les choses, par contre pour exciter la population ils sont très forts.