Accueil > Été 2013 / N°21

Hébergement d’urgence discount

Situés rue Verlaine à Grenoble, les anciens locaux de la Direction départementale de la jeunesse et des sports ont trouvé une nouvelle vocation. En décembre dernier, sous le joli nom fleuri de « Mimosa », le bâtiment a ré-ouvert comme structure d’hébergement d’urgence, selon la logique saisonnière de l’hébergement qui veut que le nombre de places proposées augmente durant la période hivernale. À la fin de la trêve hivernale, le centre est resté ouvert afin de répondre à la demande croissante d’hébergements sur le département.

On pourrait penser qu’il s’agit de deux bonnes nouvelles :
d’abord parce que les bâtiments publics vides sont enfin utilisés pour héberger des personnes à la rue et ensuite parce que l’État aurait décidé de respecter la loi sur la continuité de l’hébergement, en arrêtant de remettre les gens à la rue avec l’arrivée du printemps.
Mais lorsqu’on demande aux personnes hébergées dans ce bâtiment ce qu’elles pensent de leurs conditions de vie, on déchante. Il y a une famille par pièce d’une douzaine de mètres carrés. Comme il n’y a pas assez de lits pour tous, certains ont été obligés de dormir pendant des mois sur une moquette tachée et infestée de parasites avant que du lino ne soit posé. Dans les douches, l’eau coule au sol, des moucherons tapissent les murs et les portes ferment mal. Si bien que les femmes ne s’y sentent guère à l’aise. «  Il n’y a jamais eu assez d’eau chaude pour que tout le monde puisse se doucher ! » lance un homme. Certaines familles préfèrent aller à l’accueil de jour Point d’eau, à l’autre bout de la ville, à l’Île verte, pour se laver. Une mère en train de laver les vêtements de la famille dans une petite bassine raconte : «  Il n’y a pas de machine à laver, comment envoyer nos enfants à l’école quand ils ne sentent pas bon ? Les autres se moquent d’eux ». Dans la cuisine, au rez-de-chaussée, il y a une gazinière qu’une famille a apportée pour tout le monde, dont deux plaques seulement fonctionnent. Le frigo n’est pas utilisé : les personnes préfèrent garder la nourriture dans les chambres pour éviter de se la faire voler. « Mais regardez, on n’a pas de serrure, alors comme clef, on utilise la poignée de la porte... » Difficile d’avoir un lieu à soi avec un peu d’intimité, quand on sait que toutes les poignées sont identiques.
Au-delà de ces conditions de vie, la faiblesse du suivi social suscite la colère des habitants. Il n’y a en effet qu’un travailleur social, au mieux deux, présent dans la structure pour l’ensemble des hébergés, soit près d’une centaine de personnes.
Le code de l’action sociale et des familles stipule pourtant que l’hébergement d’urgence doit permettre à la personne d’être hébergée « dans des conditions d’accueil conformes à la dignité de la personne humaine, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l’hygiène, d’une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d’hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d’être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptible de lui apporter l’aide justifiée par son état » (article 345-2-2 du CASF).
Alors, qui est responsable ? L’État, chargé de l’hébergement d’urgence, qui au lieu de se contenter de gonfler les chiffres du nombre de places d’hébergement, devrait s’assurer que les conditions d’accueil sont décentes et, le cas échéant, mettre en œuvre les travaux nécessaires ? L’association gestionnaire du lieu, l’Arépi-l’Etape, qui a accepté d’héberger des personnes dans de telles conditions ?
Des travailleurs sociaux d’autres structures, interrogés sur la question des conditions d’hébergement et de suivi social, pensent que « si les associations n’acceptent pas les commandes de l’État à cause du manque de moyens alloués, d’autres le feront ». Mais comment légitimer la politique du moins pire ?
Des familles ont déjà quitté la structure, d’autres en parlent. Comment ne pas comprendre que les personnes se détournent des soi-disant solutions qui leur sont proposées, quand il s’agit de concentrer autant de personnes dans des conditions déplorables ?
Enfin, on est en droit de se demander si des familles françaises auraient été traitées de la même manière que ces familles migrantes.
Au moment de boucler ce numéro, nous apprenons que la Préfecture compte fermer dans les semaines à venir les 500 à 600 places d’hébergement restées ouvertes au-delà de la fin de la trêve hivernale, dont le centre « Mimosa ». Ce qui signifie, outre le licenciement probable des travailleurs sociaux des structures, la remise à la rue des personnes hébergées.