Accueil > Décembre 2011 / N°13

Le buraliste de la place des Géants harcelé par la police

« Deux Arabes qui discutent ensemble, c’est un trafic pour certains »

Sur la place des Géants, dans le quartier de la Villeneuve, il ne reste plus beaucoup de commerces ni de lieux de vie. La boulangerie a fermé depuis peu, la pharmacie va certainement faire de même bientôt. Parmi les rares lieux encore ouverts, il y a un tabac-presse, tenu par Mehdi. Il y vend Le Postillon et plein d’autres choses. Toute la journée, la population du quartier s’y croise pour se procurer un journal, un paquet de clopes, des jeux, des bonbons ou pour venir chercher un colis visé par le facteur.
Mais les journées ne sont pas de longs fleuves tranquilles pour Mehdi qui doit faire face à la fois à certains «  gamins   » qui prennent pour cible son commerce, mais aussi à la police qui semble décidée à le faire partir du quartier. Suite à une descente massive de flics début juillet ayant entraîné un procès, il risque de ne plus pouvoir exercer son métier.

Il nous donne sa version des faits :

«  J’ai repris ce commerce depuis un an et demi et je me suis fait pas mal emmerder : j’ai eu des tentatives de cambriolage, des cambriolages, des menaces de mort, des tentatives de braquage. J’habite ici depuis 30 ans et je connais pas mal de monde de ma génération mais avec les petits ça s’est vraiment dégradé : ils veulent tout, tout de suite, maintenant, quitte à attaquer la boulangère. Il y a un mauvais climat  : nous, minots, on ne pensait qu’à se barrer ailleurs, eux ils veulent juste de la thune. Je subis un peu la délinquance au quotidien : les injures, les dégradations, les scooters : je reste toute la journée ici, et avec le bruit des moteurs, j’ai la tête comme ça, et des fois je n’en peux plus. Bref, je suis le premier à subir tout ça...
Mais j’ai le cul entre deux chaises : je me fais emmerder par les gamins mais de l’autre côté j’ai l’État et la police qui me traitent comme de la merde. Même les animaux, on les traite mieux. Il y a la SPA pour les animaux, mais pour nous il n’y a personne. Et même si je suis commerçant, ils en ont strictement rien à foutre parce que pour eux, dès que t’es bronzé, t’es suspect... Deux Arabes qui discutent ensemble, c’est un trafic pour certains.
Des gens du quartier disent que je suis un trafiquant, soit disant que c’est moi qui fournit tout, que je fais ci, que je fais ça… On va dire que je viole des gamins, si ça continue... Ils ont même fait tourner une pétition sur ma gueule, très discrètement... Ils disent ça sûrement juste parce qu’ils voient des gens qui discutent devant mon commerce. Certains voisins font tourner des ragots, de la délation basée sur des rumeurs. J’ai eu des échos qu’il y a eu des réunions qui se sont fait sur moi avec le préfet et compagnie. Je crois qu’ils veulent me faire partir. Pourquoi ? Sans doute parce que je suis jeune, Arabe...
En tout cas, à cause de tout ça, début juillet j’ai eu une grosse descente de police avec des dizaines de CRS, les douanes, les stups… Ils sont restés trois heures dans le magasin et n’ont rien trouvé, à part un fusil. […] Suite au cambriolage et tentatives de braquage, j’avais un fusil. L’hiver dernier, je dormais là parce que pendant deux mois, ma vitrine n’a pas été réparée. Donc le fusil c’était pour ça. Et quand ça s’est su que j’avais un fusil, ça s’est tout de suite calmé, j’ai eu beaucoup moins de problèmes. Quand il y a eu le contrôle des douanes en juillet, le fusil était encore là : je l’avais oublié mais je l’avais démonté. Forcément, vu qu’ils n’avait rien trouvé d’autres, ils m’ont fait chier là-dessus parce que je n’avais pas de permis de chasse. Presque tous les buralistes de Grenoble sont armés et généralement, il n’y a pas de problèmes. Moi, comme ils n’avaient pas trouvé de drogue alors qu’ils en cherchaient, ils m’ont amené au tribunal à cause de ce fusil.
C’est un chef de la police judiciaire qui chaperonnait [1] . Quand les autres lui ont dit qu’ils avaient seulement chopé un fusil mais pas de cartouche, il a dit «  C’est tout ?  ». Ils pensaient qu’ils allaient faire la saisie du siècle parce qu’ils ont retourné le magasin. Il avaient vu les choses en grand, il y avait des flics partout dans le quartier et donc forcément ils étaient déçus de ne trouver qu’un fusil.
Pour me mettre la pression, ils m’ont clairement conseillé de marcher dans leur sens en me disant que les douaniers rétribuaient les balances. La chef de la crim’ m’a proposé genre «  nous on fait tout, les braquages, les trafics... et on a besoin d’un coup de main...  ». Mais moi je ne les appelle pas à l’aide pour faire mon boulot, pourquoi je devrais les aider ? J’en ai nullement envie. Et puis moi aussi je fais tout, les bonbons, les clopes, les journaux. Est-ce que je leur demande un coup de main ? Bref, comme je n’ai pas voulu, ça n’a pas fait leur bonheur.
Suite à la découverte du fusil, j’ai été mis sur écoute, photographié, il y avait des mecs qui planquaient en face, pour finir par me perquisitionner chez moi. À quinze avec les gilets pare-balles, un chien, et là encore ils n’ont rien trouvé. Ils ont aussi perquisitionné chez mes parents. Comme si mon père, qui a bossé toute sa vie, allait se mettre à dealer à 60 ans. Ils nous prennent pour des caves ou quoi ? Il n’y a quasiment personne qu’ils emmerdent autant. Ils me traitent comme un criminel. Pour eux si j’ai pas de casier, c’est que je vais en avoir un.
Pour le fusil, je suis passé en procès début octobre et j’ai eu trois mois de prison avec sursis. J’ai fait appel de la décision et je vais repasser sûrement en janvier. Si j’ai un casier, je ne peux plus exercer, parce que je perds l’accréditation pour le tabac, le Pmu, La Poste...  »

Notes

[1NDR : Il s’agissait de Gilles Guillotin, un de ceux qui ont depuis été mis en examen avec Michel Neyret