« Mais qu’est-ce que j’ai à y gagner à faire ça ? »
Cette remarque m’avait scotché.
Ça faisait une demi-heure que j’essayais de manœuvrer pour le faire parler un peu.
J’y avais cru.
On s’était rencontrés par nos chiens qui jouaient ensemble.
Il avait commencé à faire le malin, à me parler du trafic, de son frère qui était le patron de ce « turf » (point de vente), des centaines de billets qui tombaient tout le temps, des balles qui pleuvaient parfois.
Il était déjà bourré et moi, vicieux, j’étais allé acheter des bières à l’épicerie en espérant que sa langue allait continuer à se délier.
Je voyais bien qu’il était foireux, que c’était peut-être un gros mythomane, mais j’espérais.
Et patati, regarde la gadji, là, son mec est en taule, c’est moi qui lui donne de l’argent pour vivre et élever son gosse.
Et patata, tout le monde me respecte ici, tu peux demander à qui tu veux, je suis le frère du boss.
Alors j’avais finalement abattu mes cartes.
« Je bosse dans un p’tit journal, tu voudrais pas qu’on raconte ton histoire, bien entendu ce serait anonyme on te reconnaîtrait pas, ni ton frère, ni personne, ni le quartier, tu pourrais tout relire, valider ou pas, et comme ça nos lecteurs en sortiraient un peu moins cons, à avoir une autre version que celle des flics sur tout ce merdier. »
Il n’avait pas tout de suite dit non.
Il avait réfléchi un peu, tout à coup, il n’avait plus l’air si bourré.
Et puis la sentence était tombé.
« Mais qu’est-ce que j’ai à y gagner à faire ça ? »
J’ai pas l’habitude de ce genre de réponse.
Normalement ceux qui refusent de me parler, c’est qu’ils n’aiment pas notre journal, ou qu’ils ont peur, ou qu’ils pensent que c’est trop tôt, trop tard, ou plein d’autres débinages comme ça plus ou moins pertinents.
On m’avait jamais fait le coup de savoir ce qu’il y avait à gagner.
J’ai rapidement réfléchi, songé à envoyer valdinguer tous mes principes en sortant 200 balles de la caisse noire du Postillon pour le convaincre de se livrer, et puis j’ai tout de suite abandonné l’idée : 200 balles il en aurait rien à foutre, lui ou son frère gagnent bien plus en une seule journée.
De toute façon mon chien commençait à être vraiment relou avec sa chienne alors on s’est quittés là-dessus.
Sur les questions de trafic, de guerre des gangs, de géopolitique des turfs (lieux de vente) de l’agglomération, il n’y a qu’une seule version publique : celle des flics. Tous les matins, la com’ de l’hôtel de police envoie aux médias (les sérieux, pas nous) un résumé des évènements de la nuit. Les journalistes sélectionnent les plus croustillants, ceux susceptibles de faire plus de clics, et rappellent les flics pour faire un article. Une ou deux pages du Daubé sont remplies comme ça tous les jours. Au mieux, la valeur ajoutée des journalistes est d’aller faire un micro-trottoir et une photo sur les lieux du fait-divers. Après il y a les réactions politiciennes, qui rivalisent de postures et de grandes déclarations d’intention. Mais qui ne remettent jamais en cause, comme les journalistes, la version des flics.
Cette version n’est pas forcément fausse. Pas tout le temps en tous cas. Mais elle est par contre toujours incomplète. Il n’y a jamais de récits depuis l’intérieur du deal, que ce soit le point de vue des petites mains ou des gérants de turfs. Il n’y a jamais le regard des familles des dealers et des chouffeurs, des grands frères, petites sœurs, mamans, etc. Si les témoignages poignant d’habitants subissant les trafics sont très présents dans les médias, il y a peu de reportages qui documentent la vie (et la mort) à l’intérieur du trafic. Ce genre de récits a été fait à Marseille. Le journaliste s’appelle Philippe Pujol et a sorti plusieurs livres humains, sensibles, instructifs autour de ces sujets sordides : La fabrique du Monstre, La chute du Monstre et Les enfants du Monstre. J’adorerais tenter de faire pareil sur le « Monstre » de Grenoble mais je ne prends pas le temps nécessaire et il y a toujours un journal à boucler avec des articles sur le pillage de l’eau par l’industrie. Alors si on a publié quelques papiers sur ces questions, je reporte sans arrêt le gros travail de fond.
Mais au fait qu’est-ce que j’aurais à y gagner à faire ce genre de papier ? Je prends pas de drogues, en tous cas illégales. Les pétards ne m’ont jamais réussi, et la cohabitation avec les poudrés en fin de soirée me donne surtout envie de garder le nez propre. Avec la drogue, j’ai le même rapport qu’avec les smartphones : j’en ai pas mais ça m’intéresse quand même de comprendre tout ce qu’implique leur fabrication, leur commerce, les addictions créées. Comme pour les smartphones, l’essentiel des nuisances de l’expansion de la consommation de drogues se situe à l’autre bout du monde, dans les pays de production subissant l’emprise des cartels, et leur déchaînement de violence arbitraire. Mais comme pour les smartphones, au Postillon, on ne peut parler réellement que de ce qui se passe ici.
Il y a onze ans, dans notre numéro 20, j’avais fait un long reportage sur l’omerta régnant au quartier Mistral accompagné d’un article plus satirique présentant le « distributeur automa-shit » qui ambiançait le quartier comme une innovation digne du modèle grenoblois et du modèle anthropologique défendu par le start-uppers : être un vrai chacal. Ça n’avait pas fait marrer tout le monde : le local de l’association Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville) réalisant le petit journal du quartier s’était fait incendier par méprise (c’était nous qui étions visés, nous avaient dit les membres de l’Afev) et deux des habitants qui avaient témoigné dans notre article s’étaient fait crever les pneus de leur bagnole. L’épilogue fut assez cocasse : l’un d’eux réussit à négocier avec les dealers un droit de réponse dans notre journal (pour dire que « Mistral est un quartier chaud, certes, mais surtout chaleureux ») en échange de se faire repayer des pneus par les dealers. Voilà le genre de choses qu’on a à « gagner » en plongeant dans ces sujets.
Suite à ces réjouissances, on n’a pas beaucoup remis notre plume dedans, préférant critiquer – c’est beaucoup moins risqué – les machins connectés et les bouffonneries de Piolle. Si on a réalisé quelques papiers sur les trafiquants, c’était surtout pour documenter leur adaptation constante aux nouvelles techniques commerciales, notamment numériques. C’est que comme le disait le dealer interrogé dans le numéro 42 : « Je reconnais que c’est une contradiction mais je ne peux pas me voiler la face : en tant que dealer, je suis un capitaliste et même un macroniste en puissance ! C’est la France qui m’a appris à être comme ça, maintenant je lui rends la monnaie de sa pièce. » À la fin des années 2010, les dealers grenoblois ont débarqué sur les réseaux, multipliant les coups marketings par exemple sur Snapchat (Le Postillon n°51), en annonçant l’inauguration en grande pompe d’un nouveau point de vente, ou en promouvant des tickets de tombola pour gagner des Playstation. Le réseau de Mistral assurait avoir même un « directeur commercial »… Le dynamique marché de la drogue grenoblois s’intègre très bien dans « modèle grenoblois », même si lui n’est pas subventionné à coups de millions d’euros. Dans sa com’ numérique, il vend une image sympathique innovante, qui ne dit rien de l’envers du décor. Dans la vraie vie, le spectacle du trafic s’offre quotidiennement aux habitants, avec quantité de mystères. Les points de vente apparaissent, disparaissent, se déplacent, les chouffeurs gueulent « Ça passe ! » ou « Ara ! », les trottinettes électriques foncent dans un sens puis l’autre. Et puis les armes parlent. Embrouille interne ? Guerre entre clans ? Bien dur à savoir… Tout ce qui nous est donné à lire, c’est la version des flics, des fois volontairement incomplète.
Qu’est-ce que les flics ont à gagner en dissimulant une partie de la vérité ? Là-dessus, j’ai compris beaucoup de choses suite à la rencontre d’Alain, un flic « fou ». Enfin, « fou » selon sa direction qui l’avait réformé. Nous on avait trouvé qu’il racontait plein de choses intéressantes, sur les relations troubles entres flics et indics, parasitant quantité de dossiers locaux. Dans notre numéro 46 (« Indics : la charge d’un flic »), il racontait comment nombre de fait-divers des années 2010 (le go fast Bessame, le braquage de la bijouterie Delatour ou le braquage du casino d’Uriage) étaient « pourris » par la présence d’indics, viciant quantité de procédures et déformant le récit médiatique sur ces faits divers.
Ces révélations arrivaient peu de temps après « l’affaire Neyret », du nom de l’ancien « superflic » lyonnais condamné à quatre ans de prison pour - entre autres - « association de malfaiteurs » et « corruption et trafic d’influence par personne dépositaire de l’autorité publique ». Dans sa chute, il avait entraîné les deux responsables de la police grenobloise Christophe Gavat et Gilles Guillotin, ce dernier – ancien directeur adjoint de la police judiciaire de Grenoble – étant condamné à huit mois de prison avec sursis pour « détournement de scellés de stupéfiants ». Pour se défendre il assurait notamment : « Les informateurs sont indispensables à notre métier, ils interviennent dans 60 % ou 70 % des gros dossiers, notamment dans les affaires de stups. » (Libération, 01/05/2016) Cette « intervention » n’est jamais mentionnée dans les articles relatant les faits divers, d’où ma sensation d’assister à un spectacle où le seul narrateur ne nous donne pas toutes les clefs.
Huit ans plus tard, il n’y a aucune raison que le recours aux indics se soit amoindri. Au niveau national, l’ancien patron des « stups » François Thierry enchaîne les procès à cause de ses relations troubles avec les indics. Alors il nous manque quelques éléments pour comprendre le sinistre « spectacle » des faits-divers grenoblois - particulièrement sordide cet été (17 fusillades recensées par Le Daubé entre le 6 juillet et le 21 septembre). L’intervention des indics peut permettre des « coups de filets », pouvant potentiellement entraîner des réactions en chaînes ultra-violentes (vengeance, lutte entre clans pour profiter de la désorganisation d’une « équipe » ou entre lieutenants pour prendre la place du boss emprisonné, etc.) Il y a fort à parier que nombre des dernières fusillades estivales soient la conséquence d’interventions d’indics, mais comment savoir ? Qui aurait à gagner à « balancer » ça dans les médias ? Personne.
Il y a deux ans, j’avais essayé de creuser un des faits divers grenoblois les plus « louches » : l’histoire de Robert Maldera, un des principaux « parrains » du milieu grenoblois. Vous connaissez ? Condamné à de multiples reprises dans les années 1980 pour « proxénétisme aggravé », « racket » ou « associations de malfaiteurs », il s’était retrouvé dans les années 2000 au centre d’un vaste dossier judiciaire, poursuivi avec une vingtaine d’autres personnes pour « association de malfaiteurs », « extorsion de fonds en bande organisée » et « blanchiment d’argent ». Mais les années de procédures se sont écroulées en 2004 suite à… un vice de procédure déniché par l’avocat de Maldera, ce qui avait fait scandale à l’époque et déclenché une polémique nationale sur le laxisme de la justice. Autre potentielle explication : Alain, le flic « fou », a de bonnes raisons de croire que Maldera était aussi un indic… Toujours est-il qu’en 2015 il disparaît mystérieusement et son corps ne sera jamais retrouvé. L’année d’avant, en octobre 2014, un de ses lieutenants avait disparu dans les mêmes circonstances. Ces disparitions ont-elles à voir avec la « vaste opération de perquisitions et d’interpellations » de juin 2014 ayant empêché le projet de « casse du siècle » d’une imprimerie de billets par une équipe composé notamment de trafiquants grenoblois ? Impossible à savoir, même si on sait que cette équipe avait été « balancée »...
Les enquêtes sur ces disparitions n’ont en tous cas jamais abouti. En 2017, trois hommes sont écroués et mis en examen pour « meurtre en bande organisée » et « association de malfaiteurs » à propos de la disparition de Robert Maldera. Mais bizarrement, malgré ces accusations lourdes, ils avaient été relâchés une dizaine de jours plus tard tout en étant toujours mis en examen. Des accusations qui ont notamment valu au frère d’un des accusés d’être assassiné au cimetière de Fontaine après avoir été confondu avec l’accusé. Sept ans plus tard, les accusés sont toujours mis en examen sans date de procès, le procureur m’ayant répondu en 2022 que « des instructions sont en cours sur ces deux affaires et je ne peux rien en dire de plus ».
Ces histoires vont-elles être élucidées un jour ? La justice a-t-elle intérêt à faire vivre des procédures mettant potentiellement au grand jour les pratiques des flics avec les indics ? Ou vaut-il mieux ne pas trop chercher à élucider ces règlements de compte ? Mystère… En 2022, j’avais interrogé l’ancien procureur général de Grenoble Jacques Dallest, aujourd’hui spécialiste des « cold cases », les affaires non élucidées. Il m’avait assuré que la disparition de Maldera « c’est de la voyoucratie ça, du banditisme. Par principe, les affaires qui relèvent de la délinquance organisée, où les auteurs peuvent également être tués plus tard, on ne les considère pas comme des cold cases ». À quoi bon résoudre les affaires de « voyoucratie » ? À part la famille proche, à part les amateurs de vérité, qui y aurait un intérêt, quelque chose « à gagner » ?
Quelles conséquences a eu la disparition de Maldera sur la guerre des gangs grenoblois ? Quelles conséquences a eu l’assassinat, en mai dernier, de Mehdi Boulenouane, présenté comme l’ancien « patron » du quartier Mistral, sur les règlements de compte actuels ? Dans cet article, j’ai beaucoup de questions, peu de réponses. Quand j’avais essayé de creuser cette « affaire Maldera » il y a deux ans, j’avais abandonné, ne trouvant que des portes fermées. Ce qui est compliqué dans ces histoires, c’est que personne ne veut parler parce que personne n’a rien à y « gagner ». Ni les flics, ni les trafiquants, ni leurs proches. Il y a un entrelacs d’intérêts et de peurs croisés, qui fait que tout le monde préfère que certains faits ou pratiques ne se sachent pas. Alors j’aurais aimé raconter une autre version de cette histoire et puis me suis rallié au fatalisme ambiant : à quoi bon plonger dans ce marigot tant que les règlements de comptes ne concernent que les personnes impliquées ?
Mais ces derniers mois, les balles se perdent de plus en plus. En août, l’ami Bertrand a eu une grosse frayeur sur le pont du tram entre Fontaine et Grenoble. Alors qu’il rentrait à vélo vers minuit, il a entendu des coups de feu et senti les balles passer juste à côté de lui. Il lui a fallu quelques jours pour s’en remettre. Quelques semaines plus tard, alors qu’il rentrait à Fontaine, il a évité exprès ce pont du tram pour prendre celui de Catane. Bien lui en a pris : s’il avait suivi le chemin le plus rapide, il serait arrivé place Louis Maisonnat en même temps qu’une nouvelle fusillade, ayant causé la mort d’un consommateur de 31 ans le 14 septembre. En mars, une fusillade à 18 heures à l’arrêt de tram Saint-Bruno a fait deux blessés, dont un grave, a priori « victime collatérale ». Si les premières victimes des règlements de compte restent le prolétariat du trafic, celles n’ayant rien à voir commencent à se multiplier.
Si ça fait vingt ans que la droite locale saute sur le moindre fait-divers pour s’indigner de la transformation de Grenoble en « Chicago-sur-Isère » (en oubliant que les faits divers étaient déjà très nombreux et violents quand Carignon était maire de Grenoble), force est de constater qu’il y a eu une intensification des violences ces derniers mois, le summum de la gangrène de quartier étant symbolisé par le départ forcé des habitants d’un immeuble entier, Le Carrare, en plein centre d’Échirolles fin septembre.
De quoi questionner la stratégie des autorités pour lutter contre ce « fléau ». Arrivé en 2019, le procureur de la République Éric Vaillant avait fait de la « lutte contre le trafic de stupéfiants » une de ses priorités. Il a depuis répété sa volonté d’ « harceler les trafiquants » et a mis en place un « plan stups ». L’année dernière, dans une réunion publique à Saint-Bruno suite à des fusillades, il répondait à la question d’un acteur du Codase portant sur la prévention : « Ma passion, c’est la répression ». Cinq ans après la mise en place du plan stups, les résultats de ce « harcèlement » et de cette « répression » sont – au mieux – ambigus. « Je n’avais pas vu une telle guerre des gangs depuis mon arrivée » concède Éric Vaillant cet été (Le Parisien, 20/08/2024), avant de quand même défendre toutes les actions entreprises : « Les professionnels, policiers, gendarmes et magistrats ‘‘peuvent être fiers du travail accompli’’, lance le magistrat. ‘‘Certes, on n’éradique pas le trafic, reconnaît le procureur. Mais heureusement qu’on fait tout ce qu’on fait. Parce qu’on laisserait sinon la rue, la ville aux mains des délinquants’’ » (Sud Ouest, 22/08/2024). Si la situation est pire qu’avant, elle aurait pu être encore bien pire, assure-t-il dans Le Daubé (14/08/2024) : « Je n’ose imaginer la situation dans l’agglomération grenobloise si nous n’avions pas ce plan que tous les services compétents appliquent de manière engagée, concertée et constante. Policiers, gendarmes, douaniers, services de la préfecture et de la justice : nous luttons tous contre ces trafiquants et, je le répète, nous continuerons sans relâche. » Pour le procureur, on ne change pas une méthode qui perd : il faut la continuer « sans relâche ». Et sans remise en question ?
À chaque faits divers, j’observe les joutes politiciennes, la droite sautant sur chaque acte de violence pour s’indigner du non-armement de la police municipale et du faible nombre de caméras de vidéosurveillance à Grenoble (en 2021, il y en avait quand même 118). À Fontaine, les policiers sont armés et la mairie de droite multiplie les installations de caméras de vidéosurveillance… qui ont l’air de faire preuve d’une efficacité limitée pour arrêter les balles, comme le montre la fusillade du 14 septembre, qui a entraîné la mort d’un consommateur.
En-dehors des politiques répressives, les mairies tentent aussi souvent – de manière non-officielle – « d’acheter la paix sociale » avec les dealers. En juillet dernier, un procès revenait sur les relations troubles entre la municipalité (de droite) de Voiron et certains acteurs du trafic de drogue dans la ville. L’homme mis en cause, condamné pour « complicité de trafic de drogue » à quatre ans de prison dont deux avec sursis, a affirmé au tribunal qu’il avait été employé par la Ville « pour acheter la paix sociale ». En 2020, Libération avait consacré un long article à ces pratiques douteuses, notamment impulsées par Chokri Badreddine, l’adjoint à la jeunesse à la Ville de Voiron. En 2021, ce monsieur est devenu « chargé de mission » à Viltaïs, à qui la Ville de Fontaine avait confié la gestion de l’Espace Mandela après l’avoir retiré à la maison des jeunes et de la culture. Badreddine a-t-il également essayé « d’acheter la paix sociale » à Fontaine ? A priori ça n’a pas complètement marché… La convention entre la ville et Viltaïs n’a en tous cas pas été renouvelée l’année dernière.
Comme pour les indics, personne n’a à gagner à révéler ces pratiques. Une petite main du trafic, ayant « charbonné » sur plusieurs points de vente, m’explique que sur l’un d’eux, il y avait vraiment la consigne, de la part des patrons, de dire bonjour aux habitants, de ramasser les déchets et de déranger le moins possible. Que ça découlait d’un deal avec les autorités, qui, en échange ne les emmerdaient pas trop. Une « technique » peut-être plus efficace que les opérations « Place nette », mais inavouable des deux côtés. Le trafic de drogue est un spectacle dont personne n’a intérêt à révéler les dessous.
Et moi, qu’est-ce que j’ai gagné dans cette dérive bancale zigzaguant entre certaines problématiques du trafic de drogue local ? J’observe, je vois les angles morts, les pratiques inavouables et les coups de menton sans résultats, mais qu’est-ce que j’ai à proposer ? Rien. Au journal, il nous arrive de recevoir des mails délirants de lecteurs nous intimant d’arrêter de « soutenir ces terroristes de proximité gavés à l’utraliberalisme, à la paraffine aux kebabs et à la haine » et appelant à faire intervenir l’armée dans les quartiers pour se débarrasser de ces « dealers qui prendront le pouvoir comme à Haïti et à Villeneuve et nous tueront un par un ».
De l’autre côté, beaucoup, et notamment des membres du journal – ou le maire de Grenoble -, pensent que la dépénalisation règlerait les problèmes de violence. Bien entendu, on ne peut que constater l’échec des politiques répressives au pouvoir depuis des décennies. Si Chicago – auquel on compare sans arrêt Grenoble – a cette réputation, c’est à cause de la guerre des gangs des années 1920 due à la prohibition de l’alcool. Mais j’avoue que la solution magique de la dépénalisation me laisse dubitatif. Sur cette question complexe, j’avais bien aimé la réponse du dealer interrogé dans le n°42 : la légalisation « pour moi, c’est prendre le débat à l’envers. La priorité, c’est d’abord de réhabiliter l’école et l’éducation, remettre des éducateurs dans les quartiers, des profs dans les écoles, rouvrir des lieux pour les jeunes... C’est la disparition des services éducatifs, sociaux et culturels dans les quartiers populaires qui a engendré toute cette violence. Penser que légaliser les drogues va l’enrayer, c’est essayer de soigner un problème avec la maladie. La violence n’est pas née avec le trafic de drogue, elle est liée à la concurrence. » Bon mais c’est vrai que lui et les autres dealers n’ont pas grand-chose à gagner à la dépénalisation...