Accueil > Février / Mars 2013 / N°19
« Ce n’est pas parce qu’on reçoit de l’argent d’une institution qu’on y est inféodé »
Il paraît que Grenoble est la « ville de la jeunesse ». Le service communication de la ville travaille en tous cas activement à imposer cette idée. En deux mois, pas moins de trois « grands » événements, tous organisés à la MC2, ont tenté de transformer cette dénomination médiatique en une évidence : les assises régionales de la jeunesse, les vœux de François Hollande à la jeunesse, et le Forum Libération organisé sur le thème : « Jeunes, débattez-vous ! ».
Au passage, la municipalité tenta évidemment de vendre sa « politique jeunesse » avec vigueur. Une « politique jeunesse » qui ne fait pas l’unanimité, notamment du côte des Maisons des jeunes et de la culture (MJC), dont plusieurs sont en difficulté depuis de nombreuses années.
Guy Tuscher était minot quand il a commencé à s’investir dans les MJC dans la région parisienne. Après une coupure de trente ans, il a replongé quand ses enfants se sont mis à fréquenter celle de son quartier Berriat : la MJC Parmentier. Il est rentré au conseil d’administration, puis en est devenu président, avant de passer la main. Il est aujourd’hui président de l’union locale des MJC de Grenoble, qui fédère les huit MJC de la ville. « Mon activité est bénévole, je ne risque pas de perdre mon boulot, ce qui me donne une liberté agréable : celle de pouvoir dire ce que je pense ». Néanmoins, il s’exprime ici en son seul nom, ce qui n’enlève rien à l’intérêt de son témoignage.
Qu’est-ce qui t’a poussé à t’investir dans une MJC ?
C’est l’état d’esprit de la MJC Parmentier. Ses membres ne voulaient pas juste faire un centre de loisirs mais que la MJC serve aussi à faire bouger les choses dans le quartier. Le problème aujourd’hui c’est que nous constatons que l’objectif municipal est de focaliser l’aide aux MJC uniquement sur l’aspect « centre de loisirs ».
Pourquoi ?
Il y a trois ans, la mairie a mis en place le projet éducatif grenoblois. Elle l’a présenté comme une grande révolution, comme si avant il n’y avait rien. En fait, c’est beaucoup de communication. Le projet éducatif est réducteur par rapport aux activités des MJC et d’autres organisations socioculturelles. Ce qui les intéresse, c’est qu’a travers ces associations la municipalité puisse proposer une « offre de loisirs » à sa population par des activités diverses dans ces centres de loisirs et accueillir des enfants sur les temps périscolaires. Il y a une incitation financière à faire un maximum de « journées-enfants ». Surtout en ce moment, avec la question de repasser à la semaine de quatre jours et demi, qui est d’ailleurs une des grandes marottes de Paul Bron, l’adjoint à l’éducation. C’est une politique d’offre, de chiffre où la question du contenu pédagogique, même si elle est présente dans le discours, importe beaucoup moins dans les faits et les préoccupations. La mairie demande aux MJC d’appliquer le projet municipal, c’est à dire de devenir des prestataires de service. Peut-être que bientôt, ils vont lancer des appels d’offre du style « Qui veut s’occuper des 8-12 ans sur Saint Bruno ? La MJC vous êtes preneur à combien ? Et cette association ? » Et pourquoi pas un truc commercial, Mac Do qui s’occuperait des jeunes ? Oui, pourquoi pas en effet si leur offre est « meilleure » ? On sent qu’on se dirige vers ça. C’est une logique comptable. Les directeurs de service à Grenoble sont sous la contrainte budgétaire et ils ont pris beaucoup de pouvoir. On n’est plus sur un discours politique mais économique. Bien entendu l’argent est une réalité mais on ne peut pas être que là-dessus.
Vous dépendez financièrement de la mairie ?
Oui, on fonctionne avec 60 % de subventions de la mairie et on est très satisfait qu’une partie du budget municipal, donc de nos impôts, aille sur ce secteur. Mais on revendique absolument et constamment notre indépendance en tant qu’association. Ce n’est pas parce qu’on reçoit de l’argent d’une institution qu’on y est inféodé. Si on joue le jeu de la démocratie associative ce sont bien les CA (conseil d’administration) et les AG (assemblée générale) qui sont souverains. Recevoir de l’argent de la ville ne doit pas remettre en cause cela. Il peut y avoir des désaccords qu’il faut accepter car ils font partie du jeu démocratique. Beaucoup d’associations à force d’être subventionnées ont oublié qu’elles pouvaient critiquer les choix de la mairie.
La mairie voudrait prendre le contrôle des MJC ?
Le problème, c’est que la mairie de Grenoble avance cachée en ce moment. On ne sait pas s’ils veulent municipaliser les centres de loisirs ou pas. À Paris il n’y a plus d’association, tout ce secteur est municipalisé. Pourquoi pas ? Mais à Grenoble on ne sait jamais sur quel pied danser. Ils disent qu’ils veulent garder le tissu associatif car il est riche mais ils veulent imposer leur politique à tout prix puisqu’ils le financent. C’est vrai aussi que les MJC ont une certaine histoire à Grenoble, à un moment on l’évoquait comme une certaine avant-garde de l’éducation populaire. À l’époque les élus municipaux étaient dans le CA, débattaient et échangeaient. Aujourd’hui la séparation est de plus en plus forte. Presque plus personne de la mairie ne vient au CA alors qu’une place leur est attribuée. Donc on n’a plus de vrais débats avec eux.
Je pense qu’ils ne municipalisent pas car ça leur coûterait beaucoup plus cher : en effet, dans les MJC et autres associations socioculturelles, il y a énormément de bénévoles, notamment dans les conseils d’administration.
Donc ils veulent garder les associations mais imposer leurs orientations. Ils veulent qu’on leur soit subordonné alors que nous on veut coopérer parce qu’on est indépendants. À Parmentier on défend ça mordicus. Pour cette position, ils se questionnent, on passe pour des révolutionnaires, ils ne savent pas comment nous qualifier, PC, anars ou je ne sais pas quoi. On aimerait bien avoir un vrai débat sur les choix politiques réalisés. Au lieu de ça, on nous impose des décisions. Dès qu’une MJC est fragilisée dans son fonctionnement, la mairie en profite pour remettre en cause son existence. C’est ce qui s’est passé à la Maison des habitants (MDH) des Baladins.
Le maire nous a écrit il y a trois ans pour dire qu’il y avait trop « d’équipements socioculturels » à Grenoble. Le terme « équipement » utilisé est très symptomatique de la manière dont nous sommes perçus, nommer les choses c’est les définir !
Pourquoi la MDH des Baladins a-t-elle disparu il y a deux mois ?
C’est l’association – non fédérée aux MJC – qui avait le titre Maison des habitants (MDH) depuis trente ans. Olivier Noblecourt [NDR : adjoint à l’action sociale, président du CCAS] a eu l’idée de donner ce nom au renouvellement des structures de centres sociaux et ils ont accepté, ce qui rend leur disparition d’autant plus cruelle, paradoxale et symbolique. En fait son idée c’est de fusionner les centres sociaux et les MJC. Pourquoi pas ? Mais nous on freine des quatre fers, parce qu’on n’a pas du tout la même manière de faire et puis parce que c’est une municipalisation rampante. Ce sont deux structures qui n’ont pas la même culture. Tout est différent : les centres sociaux sont très hiérarchisés, les MJC associatives. Ça paraît logique de l’extérieur de rassembler des gens qui travaillent dans le même domaine mais dans les faits ça fonctionne de façon très différente.
La MDH des Baladins, ça les intéressait. Dans un contexte du quartier très difficile, ça a été très mal fait, dans la précipitation. Il y a eu de fortes pressions aux membres du personnel qui ne savaient plus trop quelles étaient leur mission. Il y a eu des mises en danger du personnel, des promesses de travaux indispensables jamais tenues par la Mairie et puis, sous la forte pression d’habitants, une injonction de la mairie à la MDH d’organiser des voyages pour des jeunes. Comme c’était une demande d’habitants, ils ont dit oui et monté un projet à toute vitesse très foireux au Maroc. La MDH a perdu énormément d’argent et a demandé une aide de la mairie. Elle n’a même pas répondu à leur demande et les a laissé crever. Ce qui me choque profondément est qu’elle n’a pas demandé à tirer un enseignement collectif de cet échec. C’est perçu comme un vrai mépris et depuis des dizaines de milliers d’euros vont être investis dans les travaux de ce local. Donc cet abandon de l’association n’est pas un problème de gros sous, c’est un choix délibéré.
Est-ce que ça a choqué les autres MJC ?
J’ai voulu organiser une réunion après la fin de la MDH mais personne n’est venu. J’interprète cela, peut-être à tort, comme une trouille. Ils ne veulent pas se présenter à une réunion où on peut mettre en cause la mairie parce qu’ils sont fragilisés financièrement. Mais par en dessous ils veulent des infos parce qu’ils ont peur de disparaître.
À Prémol, la mairie leur a imposé de rentrer dans la MDH : « vous voulez continuer à exister donc vous vous associez ». Depuis les élus ont de grandes inquiétudes et m’appellent pour dire que ça ne va pas. Par exemple, le directeur de ce CCAS veut imposer un accueil commun uniquement administratif. Alors que dans une MJC cet accueil n’est pas qu’un lieu d’enregistrement : il présente le projet associatif, la manière de s’impliquer, etc. Ce n’est pas du tout le même langage. Si plus personne ne parle de l’association, elle ne va plus exister car comment la faire connaître, comment inciter les gens à s’investir ?
Dans les MDH les habitants ne s’investissent pas ?
Je n’en ai pas vraiment pas l‘impression. D’ailleurs il y a quelque chose de marrant : Noblecourt vient de demander aux MDH de mettre en place des comités d’usagers. Encore une fois, l’injonction vient d’en haut car la ville veut montrer que les habitants s’impliquent. Donc d’abord ils éliminent les associations, c’est-à-dire le côté démocratique et après ils tentent de le réintroduire en créant des comités d’usagers pour montrer qu’il y a de la participation.
Dans le quartier Saint-Bruno, l’association du centre social Nicolas Chorier est devenue une MDH, mais je constate qu’elle a perdu son identité. Avant on travaillait ensemble, on essayait d’avoir un vrai partenariat éducatif avec eux. Maintenant on ne peut plus. Le directeur applique juste les décisions de la mairie : il devient un espèce de super PDG qui s’occupe de tout. On ne peut plus rien faire avec eux. Deux logiques se confrontent. Mais Noblecourt est un vrai rouleau compresseur qui se comporte de façon perverse avec nous : il dit partout que les MJC sont tout à fait d’accord avec le regroupement des associations dans la MDH. Il dit même que moi, président de l’union locale des MJC, je serais d’accord ! Ce qui est faux.
La mairie n’aime pas ce que vous faites à Parmentier ?
Si ! Mais ils n’aiment pas la manière dont on le fait. Par exemple, les « jeudis de Marliave » [1] : c’est la MJC qui a crée cette manifestation, la mairie adore, les habitants apprécient. Le problème, c’est qu’elle veut communiquer là-dessus, et nous on ne veut pas. On ne veut pas en faire un événement municipal parce que ce n’est pas ça, point barre. Encore une fois, ce n’est pas parce qu’ils nous donnent des sous qu’on devrait leur être inféodé. Ça n’empêche pas Mme Crifo, conseillère générale du canton, de vouloir à tout prix faire un discours à chaque fois, même si elle n’a rien à dire d’intéressant. Ce qui est rigolo c’est qu’ils nous envoient le service du protocole pour le premier jeudi de Marliave alors qu’on n‘a rien demandé. Ils nous envoient les petits fours, le champagne, etc. Ils aimeraient faire un événement comme ils aiment, eux, avec le buffet offert, le discours, etc. Pour nous c’est un événement de type éducation populaire ; ils ont leur place, on est très content qu’ils viennent, c’est très bien mais pas comme cela, à chaque fois ça crée un moment flou et pas intéressant.
Un mot pour finir ?
J’aime bien les choses qui se passent dans mon quartier et je m’implique en fonction de cela. Ce qu’on pourrait peut-être reprocher à certains milieux socioculturels, ce serait de ne considérer que l’aspect professionnel de l’animation. Faire une vraie place à la participation bénévole, c’est important car c’est aux habitants de se prendre en charge et - par l’intermédiaire ou non de subventions - d’animer leur quartier. Bien sûr, dans ces conditions il y aura de belles réussites et parfois des flops, des déceptions, mais il faut accepter cette part de fragilité.
Notes
[1] Événement organisé par la MJC Parmentier les jeudis soir de juin et juillet au parc Marliave, en plein cœur du quartier Saint-Bruno.