Les logements vides servent à spéculer
On a appris dernièrement que Grenoble est « classée parmi les 10 villes où il est conseillé d’investir dans l’immobilier », selon le site Explorimmoneuf. La majorité des logements vides sont la propriété de gros propriétaires privés, qui n’ont pas d’autre but que de se faire de l’argent – et tant pis si des gens dorment dehors. Illustration avec trois propriétaires de squats grenoblois.
Dans une interview à Place Gre’net (11/05/2017), la vice-présidente du logement à la Métropole parle de « 6 000 logements privés vacants et de 600 logements sociaux vacants sur l’ensemble du territoire de la Métropole ». Un peu plus loin, Christine Garnier explique certaines raisons de cette vacance : « il y a probablement des successions qui prennent du temps, des propriétaires âgés partant en Ehpad [Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ndlr] et laissant leur logement vide ». Pas un mot sur les gros propriétaires privés et les joies de la spéculation immobilière. À la croire, les logements inoccupés seraient simplement le fait de difficultés familiales, et n’auraient rien à voir avec des volontés d’enrichissement personnel.
S’il est bien difficile de faire un panorama exact des raisons expliquant la vacance, il est certain que beaucoup de logements sont vides à cause de la spéculation immobilière. Nous nous sommes ainsi intéressés aux propriétaires de trois squats (bien entendu, cette liste n’est pas exhaustive. Pour le numéro 39, nous avions évoqué le cas du fameux Crovella et ses arrangements financiers avec la ville de Grenoble).
- Début avril, des militants ont tenté d’occuper l’ancien hôtel du Moucherotte, au 1, rue Auguste Gaché en plein centre-ville de Grenoble. Cet immeuble ayant appartenu à la ville pendant longtemps (voir encart) est maintenant la propriété de la SCPI (Société civile de placement immobilier) Renovalys, liée à la société Prestige immobilier. Les SCPI ont l’air d’être ce qui se fait de mieux en matière immobilière : elles fonctionnent sous le « régime du déficit foncier » s’adressant avant tout « aux foyers fiscaux disposant de revenus fonciers soumis à une tranche d’imposition élevée ». Cela permet à des riches « d’investir notamment dans des bureaux ou des commerces difficilement accessibles en direct pour un particulier », en profitant des dispositifs fonciers incitatifs pour la rénovation d’anciens bâtiments. Concrètement, il n’y a aucun grenoblois dans les investisseurs de la SCPI Renovalys : la vingtaine d’actionnaires sont tous de riches Parisiens. Impossible donc de savoir si cette volonté de gagner de l’argent de chez eux est due à des problèmes d’héritage....
- Au 10, rue Lavoisier, un squat ouvert depuis plusieurs mois a été assigné en justice par son propriétaire, un certain Jacques Andrevon. Pourquoi a-t-il laissé vides deux maisons pendant plusieurs mois ? Un problème d’héritage ? Pas le genre de la maison. En fait, Andrevon est un gros propriétaire. En son nom propre il possède déjà plusieurs biens rue Lesdiguières. Mais surtout, selon le site societe.com, il est gérant de 24 sociétés immobilières. Ces sociétés (les plus importantes s’appellent Edifim immobilier, Eurl Chama ou la Financière du centaure) possèdent des dizaines de « lots » immobiliers un peu partout dans Grenoble : rue Edgar Quinet, rue Hébert, rue Bouchayer, chemin du Couvent, rue Mangin, rue Lavoisier, rue Claude Genin, rue Condorcet, rue Stalingrad, rue Thiers, etc. Le pauvre ! Non seulement il doit s’occuper de tous ces biens, mais en plus des méchants squatteurs osent se servir des « lots » inutilisés pour avoir un toit.
- Au 9, route de Lyon, on observe un peu la même situation. Un squat, un procès, et un gros propriétaire privé, François Barbier. Et là aussi des dizaines d’appartements, essentiellement en son nom propre. Route de Lyon, boulevard Edouard Rey, place Vaucanson, boulevard de l’esplanade, rue Renauldon, quai de France, rue Jean-Jacques Rousseau, etc... Encore un qui a plein de problèmes d’héritage, et qui se retrouve donc obligé d’expulser des squatteurs !
Chronique d’un gachis immobilier…
Quel est le passé de l’immeuble squatté et immédiatement expulsé du 1, rue Auguste Gaché ? Avril 1977. La Ville achète l’immeuble (des commerces, un hôtel, des appartements) à une particulière et confie sa gestion à la Régie Foncière. Fin 2004. La Ville vend environ 500 000 € l’immeuble à la SDH (Société dauphinoise de l’habitat) pour qu’elle en fasse une opération de logements sociaux. Début 2008. La SDH, qui n’a toujours pas commencé les travaux de réhabilitation, « s’aperçoit » que deux des logements de l’immeuble présentent un fort intérêt patrimonial et sont difficilement aménageables dans le cadre d’une opération locative sociale (surface trop grande, disposition des pièces, contraintes techniques, coûts de travaux exorbitants). Elle se fait voter par la Ville l’autorisation de vendre ces deux grands appartements à condition que la plus-value dégagée serve à racheter le foyer 30, galerie de l’Arlequin et le transformer en logements sociaux familiaux. Hiver 2012. Quatre ans plus tard, les deux appartements ne sont toujours pas vendus (qu’est devenu le foyer du 30, galerie de l’Arlequin, lui ?). Ils sont à nouveau rachetés par la Ville en même temps que l’immeuble entier pour la somme de 638 839 €, soit 100 000 € de plus que ce qu’elle l’avait vendu huit ans auparavant à la SDH. Eté 2014. Deux ans s’écoulent avant que la Ville ne revende finalement l’ensemble de l’immeuble, logements et commerces pour 706 500 € à Prestige immobilier et à la SCPI Renovalys.
Tout bénéf’ pour la Ville diront certains, elle n’a rien perdu… Erreur ! Pour permettre la vente, la Ville a dû indemniser la gérante de l’hôtel (140 000 €) et deux commerçants (52 000 € et 19 000 €), soit au total plus de 211 000 € c’est-à-dire presque le tiers du montant de la vente. En 13 ans, l’immeuble a changé 3 fois de mains. Tout ça pour enrichir des Parisiens fortunés....