Retour de maton
À la suite de l’article Varces attaque dans notre précédent numéro, la cheffe d’établissement du centre pénitentiaire Grenoble-Varces, Valérie Mousseef, nous a envoyé un droit de réponse afin de « proposer une véritable transparence à [notre] lectorat ». Voici quelques extraits commentés de cette lettre dans laquelle elle s’efforce de défendre son administration.
La cheffe d’établissement n’a décidément pas apprécié que nous soyons allés gratter derrière la propagande habituelle de son administration : « Il apparaît que cet article est sous tendu par une idéologie marquée, à savoir que la prison serait un haut lieu de pénitence dépourvue d’humanité. (…) Le centre pénitentiaire n’est pas un lieu opaque derrière de hauts murs étanches (...) car l’établissement fait l’objet de visites de contrôle fréquentes. » Et de lister, pour se protéger, les « élus municipaux, étudiants médecins étrangers, députés et sénateurs », gradés judiciaires ou « médias reconnus » ayant été accueillis « au cœur même de la détention ». À ce propos justement, précisons que le sénateur Guillaume Gontard est allé y faire un tour en août 2019. La conclusion de son rapport était accablante : « Le constat est sans appel : le centre pénitentiaire ne répond plus aux normes fixées par le Code de procédure pénale, en particulier en matière d’hygiène. C’est aujourd’hui un bâtiment extrêmement vétuste qui rend les conditions de détention indignes et contraires aux droits humains. »
La directrice poursuit sur « l’humain ». « Loin d’être dénigrée, toute violence fait l’objet d’un suivi, d’un signalement au parquet et à la Disp [Direction inter-régionale des services pénitentiaires] de Lyon et d’un Retex [Retour d’expérience ?] avec arbre de causes. (...) Les violences quotidiennes sont d’abord celles exercées par les personnes détenues et celles exercées contre le personnel pénitentiaire. » Concernant notre évocation d’un tabassage auquel avaient pris part une douzaine de membres du personnel, elle note : « Depuis quatre ans, aucune procédure de violence n’a impliqué un personnel. (...) Notre seul objectif est une détention juste où chacun respecte la mission qui lui a été confiée par la Justice. »
Nous avons du mal à croire que Mme Mousseeff puisse réellement penser qu’en dehors des « procédures », il n’y aurait pas de violences. Dans un lieu où la parole des prisonniers n’a aucun poids, les surveillants ont toute latitude pour monter des dépositions à charge et exercer des vengeances en tout genre. Notre article ne mentionnait ni l’ensemble des violences physiques et psychologiques subies par nos interlocuteurs détenus (la liste serait bien trop longue), ni les personnes ayant renoncé à témoigner, par crainte de représailles. Dans sa lettre, Mme Mousseeff semble presque s’étonner qu’aucun détenu ne soit venu aborder le sujet avec elle. Mettra-t-elle ce point à l’ordre du jour du prochain « article 29 » (réunion entre des délégués « représentants de la population pénale [les détenus] » et la direction) dont elle se félicite tant dans les médias ?
En ce qui concerne les droits des prisonniers, les personnes exerçant un contrôle sur la prison, y compris celles qui sont peu ou pas familières de la taule, restent sceptiques. Le sénateur Gontard affirme : « Au-delà des conditions matérielles de détention, se pose (…) la question du respect des droits des personnes détenues et les moyens de contrôle des établissements pénitentiaires. » En 2016, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) notait également à propos de la prison de Grenoble-Varces qu’« en ne respectant pas les normes qu’elle a édictées en termes d’effectifs, l’administration pénitentiaire place l’établissement tout entier, personnels et population pénale, dans des conditions de travail ou de vie particulièrement dégradées ». Avec un seul surveillant en présence constante à chaque étage pour 66 prisonniers, qui pour contrôler son travail ou s’assurer que les droits des personnes détenues sont bien respectés ?
Mme Mousseeff se targue que « des référents à la prévention des violences » aient été formés dans toutes les équipes en 2019, en les initiant à la communication non violente. Tout laisse pourtant penser que l’on reste assez loin des « exigences fortes en termes de dignité et de déontologie, malgré la rudesse et la difficulté du milieu dans lequel les personnels officient, (…) accompagnées d’un cadre disciplinaire strict protégeant les personnels dans leurs missions [qu’elle porte] ».
La presse locale n’a publié aucun article citant d’autres personnes que les syndicats de surveillants ou la direction. D’où peut-être le « choc » produit sur Mme Mousseeff par notre article ? « Je n’ai reconnu, dans une seule ligne de cet article, [ni] mon établissement, ni les personnes détenues dans les propos tenus par leur porte-parole improvisé exempt de toute légitimité [Rémi], ni les équipes. » Et de citer, pour se dédouaner, toutes les réformes faites depuis quelques mois, comme le rallongement de la durée des parloirs, des ateliers « de grande qualité intellectuelle (…) dispensés par des enseignants-chercheurs » ou la « pérennisation d’une cantine hallal ». « Améliorer le quotidien des personnes détenues n’est pas le refuge gardé des avocats » : CQFD.
Bien qu’ayant interrogé la directrice-adjointe et le directeur inter-régional des services pénitentiaires, elle nous accuse de délivrer une information biaisée. « La personne détenue libérée nommée “Rémi”, que vous citez abondamment comme la source de votre article, multirécidiviste et ayant comparu à de nombreuses reprises devant la commission de discipline, a effectivement dû supporter le cadre strict imposé à ceux qui insultent et méprisent les fonctionnaires de l’État qui assurent leur garde. Et il est toujours apparemment animé d’un sentiment de vengeance non dissimulé qui permet de comprendre l’état d’esprit de cet article à charge. (…) Les allégations et accusations portées par la rédaction du Postillon sont la preuve d’une méconnaissance totale de l’institution et de l’engagement et du dévouement de ceux qui ont choisi ce métier. » Qui de mieux placé que des « multi-récidivistes », qui y ont passé suffisamment de temps, pour parler de cette prison justement ? Dénigrer quelqu’un au nom de son casier judiciaire est un grand classique de l’administration pénitentiaire... donner la parole à Rémi (qui n’a jamais prétendu être le porte-parole de qui que ce soit) sur ce qu’il a vécu, est-ce vraiment « être animé d’un sentiment de vengeance non dissimulé » ?
Mme Mousseeff termine : « Il n’y a aucune carte du Mont-Blanc dans mon bureau (…). J’aurais apprécié que la parole d’un ancien détenu et de certains avocats peu scrupuleux soit passée au crible de l’analyse et du doute. La vengeance n’est pas une source fiable ni une valeur que nous partageons. » Nous reconnaissons effectivement ne pas avoir vérifié que la pièce dans laquelle elle s’exprimait pour l’émission de LCP (10/04/2020) était son bureau. Toujours est-il qu’il y a bel et bien une carte en relief du Mont-Blanc derrière elle, prétexte à une longue digression sur la montagne, la détention et les agents pénitentiaires qui « accompagnent doucement [les détenus] vers [le] sommet ». Quand ils ne s’enrichissent pas sur leur dos en leur vendant des téléphones portables, comme le décrit cet article ?