Accueil > Février-Mars 2017 / N°39

Boulot de merde – Animateur périscolaire

« On fait plus du gardiennage que de l’animation »

Dans la catégorie « boulot de merde », il mérite amplement sa place. Et plutôt en haut du panier. Pourtant, faire de l’animation auprès des enfants c’est plutôt sympa, non ? C’est mignon, les gosses, comment peut-on souffrir en s’occupant d’eux ?
Les animateurs périscolaires vivent pourtant une sorte de détresse. Pas à cause des gamins, non, le problème c’est leurs conditions de travail.
À Grenoble, elles ont encore empiré depuis la rentrée. Cette détérioration a eu au moins un effet positif : entraîner un mouvement de contestation rarissime dans ce métier à la pointe de la précarisation du monde du travail.

Dans un rade, Sacha, Alexandra et Zoé (pseudos) racontent leur job d’animatrice périscolaire à la ville de Grenoble. Et il y a de quoi faire rêver le patronat moderne : « on n’a pas de réel contrat. On ne sait pas vraiment combien d’heures on va bosser dans le mois, ni quels jours. »
Les animateurs périscolaires peuvent bosser le matin (entre 7h45 et 8h30), le midi (entre 11h30 et 13h30/45), et en fin d’après-midi (entre 16h et 17h30 ou 18h). Le genre d’horaires pratiques pour ne rien pouvoir faire d’autre de sa journée en n’étant payé que 4h15 à 5h au maximum, sans compter le prix et le temps du transport. La majorité d’entre eux bossent le midi et en fin d’après-midi, les lundi, mardi, jeudi et vendredi, soit de 14 à 20 heures hebdomadaires. Payés à peine plus que le Smic horaire, ils touchent autour de 600 euros par mois, pour quatre jours de travail par semaine. Rigolez pas trop, c’est le genre de futur promis par les promoteurs de l’ubérisation et de la nouvelle économie.

Enfin, 600 euros, c’est les bons mois. Parce que, des fois, on les appelle la veille pour leur dire qu’elles ne bossent pas le lendemain, ou les trois prochains jours. Sur le périscolaire aussi, alors que les personnes embauchées font partie des salariés les plus précaires, la municipalité de « l’autre gauche » a voulu faire des économies. Elle rogne donc tout ce qu’elle peut sur les dépenses nécessaires, embauche le minimum d’animateurs et les utilise comme une variable d’ajustement : « Maintenant, on n’a pas de poste fixe. Des fois, on nous appelle à 11h05 pour nous apprendre ‘‘aujourd’hui, dans 25 minutes, vous travaillez à l’autre bout de la ville’’. Notre nombre d’heures peut varier d’une semaine à l’autre et, à la fin du mois, c’est à nous de vérifier si les heures comptées correspondent à ce qu’on a effectivement travaillé. » Comme ailleurs dans le précariat moderne, la paye arrive avec un mois de décalage, « ce qui entraîne plein de complications avec Pôle emploi, alors qu’on est nombreux à y être inscrits. On a demandé à la mairie de nous payer au moins une partie en avance, mais ils refusent. Les arrêtés municipaux (nos contrats de travail), nous arrivent parfois deux mois après avoir commencé à travailler. »

Depuis l’année dernière, suite à l’une des concertations inintéressantes dont la municipalité a le secret, les activités sont devenues payantes à partir du troisième soir, pendant que les salaires des animateurs ont baissé (le tarif dépend certes du quotient familial, ce qui permet aux éventuels enfants d’animateurs périscolaires désargentés d’y participer sans que leurs parents n’aient rien à débourser). Suite à ce changement, « les responsables de la mairie avaient prévu une baisse des inscrits mais pas aussi importante. Donc ils avaient prévu trop de postes, selon eux. Alors, à la rentrée, ils ont baissé le nombre d’heures de certains sans prévenir et en poussant d’autres vers la sortie. Ce qui fait qu’aujourd’hui, on est en sous-effectif, donc on a dix-huit enfants pour un animateur en élémentaire (quatorze pour un en maternelle) et parfois on monte à vingt ou vingt-cinq  ».

De toute façon, le souci du périscolaire bien fait ne semble pas faire partie des soucis des élus verts et rouges. «  On n’a aucun matériel disponible, pas d’endroit où ranger des affaires. On est payés seulement pour les heures avec les enfants. Si on veut préparer une animation, il faut qu’on le fasse bénévolement et qu’on se débrouille pour récupérer du matériel. »

à la place d’animateurs périscolaires, la mairie ne devrait-elle pas mieux embaucher de simples vigiles ? « On fait plus du gardiennage que de l’animation. À la rentrée, la mairie a vendu du rêve, en mettant en place des ‘‘projets pédagogiques’’. Ils sont impossibles à mener, vu qu’on a plus de gamins à garder et un salaire qui baisse. Alors qu’on gagne moins, ils nous demandent de faire plus et mieux. Avec plus ou moins dix-huit enfants, comment pouvoir faire ce boulot convenablement ? »

Dans ces conditions, beaucoup d’animateurs laissent tomber au bout de quelques semaines ou quelques mois. «  Les cadres de la mairie prennent les choses à l’envers : ils disent que le métier est dégradé parce qu’il y a beaucoup de turn-over. Mais c’est l’inverse : il y a sans arrêt des animateurs qui partent parce que les conditions sont pourries. De toute façon, pour le recrutement ils ne demandent rien du tout, pas besoin d’un diplôme en rapport, et restreignent l’accès au BAFA (formation proposée par la mairie à hauteur de dix places pour vingt écoles sur certains secteurs) : en ce moment, on a le sentiment d’être juste des surveillants. On n’est pas du tout associées aux réunions avec les parents ou l’équipe enseignante : on a peu ou pas de connaissance des situations personnelles ou familiales des gamins. Même aux ‘‘conseils du périscolaire’’, les animateurs ne sont pas invités ! C’est comme si c’était vu comme un boulot militant, fait par des gens qui n’auraient pas besoin d’être payés. Peut-être bientôt, on sera remplacées par des retraités et des services civiques. »

Cet été, un décret national a acté le ratio d’un animateur pour dix-huit enfants dans le périscolaire (un pour quatorze en maternelle), gravant ainsi dans le marbre de la loi un nombre trop élevé d’enfants pour un travail correct. Cette décision a entraîné la première grosse grève nationale, le 4 septembre. Dans la cuvette, des animateurs ont organisé une première assemblée générale le 18 septembre, pour se rencontrer. «  Le plus dur pour nous, c’est de toucher tous les animateurs : on est 700 sur Grenoble, on ne se connaît pas bien, et on n’était pas du tout organisés jusque là ». Un collectif «  Educ’anim’ » a été créé en septembre dernier, et a mené plusieurs grèves, dont la dernière le 15 décembre. à chaque fois, la grande majorité des écoles de la ville (une cinquantaine si on compte les primaires et les maternelles) était en grève.
Mais cela n’a quasiment rien fait bouger : « on a été reçues par des cadres de la mairie et par l’adjointe au personnel Maud Tavel, (qui d’ailleurs ne met pas ses enfants au périscolaire le soir). Mais ils n’ont répondu à aucune de nos revendications. Notre but c’est d’avoir une reconnaissance sociale, financière et statutaire ; mais eux ressassent juste qu’ils n’ont pas de sous. »

Pas découragé pour autant, le collectif continue à se réunir, même s’il n’y a pas toujours autant de monde qu’espéré. « C’est un métier atomisé, où c’est très compliqué de mobiliser. On est tout juste financièrement, on a besoin de sous, alors c’est compliqué de faire grève. Pourtant, il faudrait qu’on parvienne à faire plusieurs jours de grève de suite, pour mettre la pression sur la mairie. »

Des rencontres ont eu lieu avec les bibliothécaires et ceux qui contestent le plan de sauvegarde, pour «  faire lutte commune ». à chaque distribution de tracts devant les écoles, les grévistes sentent que « les parents sont vraiment d’accord avec nous. On est assez soutenus pour se sentir légitimes, mais il faudrait qu’on soit plus aux actions. Peut-être il faut aussi qu’on organise des moments plus ‘‘conviviaux’’ pour créer une dynamique et impliquer le maximum de personnes  ».
Il y a quelques semaines, une collègue de Sacha, Alexandra et Zoé, a démissionné sur le temps du soir pour aller faire caissière : « à croire que c’est un meilleur boulot ! C’est dingue quand même ! »