Accueil > Été 2020 / N°56

Ocov, ô desespoir

Pour une fois, le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) de Grenoble voulait se rendre utile. Plutôt que d’inventer une nouvelle merde connectée créant un nouveau besoin, les ingénieurs grenoblois ont voulu participer à l’effort de guerre national sur la production de masque. Ils se sont donc alliés avec Michelin et la marque lyonnaise Ouvry pour créer un masque Ocov en plastique médical souple, réutilisable plus de cent fois grâce à un filtre lavable. Quantité de communicants locaux se sont extasiés sur cette réussite « produit par l’écosystème local », cette « première mondiale  », qui a pour objectif la production de plus de 5 millions de masques d’ici fin juin. Mais le succès populaire ne semble pas au rendez-vous : déjà le masque Ocov est énorme et donne à son utilisateur un petit air de décontaminateur de Tchernobyl. Et surtout, à l’usage, il n’a pas l’air du tout pratique. Alors que la ville a commandé plus de 7 500 masques pour ses salariés, plusieurs d’entre eux nous disent ne pas parvenir à l’utiliser. « C’est n’importe quoi, assure Camille, tu vois même pas tes pieds, t’entends plus rien, ça donne chaud, ça glisse tout le temps, du coup tu passes ton temps à le remettre au bon endroit, ça te coupe la circulation du sang si tu serres trop fort pour pas qu’il tombe, bref... Sans compter qu’en termes sanitaires je ne sais pas si c’est le mieux car quand tu l’enlèves, tu te rends compte que des milliards de gouttelettes sont là (condensation oblige) prêtes à s’éjecter de l’Ocov. En vrai dans mon service personne ne le met.  » Celui qu’on appellera Olivier abonde : « Ce masque “écolo” est livré avec 5 filtres désinfectables 20 fois, chaque filtre devant être désinfecté quotidiennement. Pour ce faire, c’est trop simple : il faut le mettre soit 1h à 70°C dans un sèche-linge (pour celles et ceux qui en ont un) ou le faire sécher au four.  » Faire tourner un four pour quatre filtres, voilà qui va enfin relancer la consommation d’électricité et de gaz ! « L’enfer est pavé de bonnes intentions, conclut Olivier. On a plus l’impression que ces masques pourraient servir en cas d’explosion de la plateforme chimique de Pont-de-Claix, comme Lubrizol à Rouen. Mais même dans ce cas, pas sûr qu’ils soient utiles... »