Accueil > Hiver - Printemps 2022 / N°64

Deux salles, deux ambiances

« Madame, je passe mon temps en prison... »

Le 31 janvier dernier, des bataillons de journalistes caméras et micros au poing envahissaient la salle des pas perdus du tribunal de Grenoble. C’était le premier jour de « l’affaire Maëlys », une de ces histoires aussi sordides que spectaculaires dont la presse aime faire ses choux gras. Le Postillon a préféré aller en salle 5, voisine de la cour d’assise bondée, où défilent les prévenus jugés de façon expéditive en comparution immédiate.

Ce jour–là, un jeune homme de 19 ans est présenté dans le box des accusés par deux golgoths de l’Administration pénitentiaire. La juge énonce les faits qui lui sont reprochés : « Le 2 janvier 2022 vous avez été contrôlé sur un scooter allée du Gâtinais à Échirolles alors que vous avez l’interdiction de vous rendre dans cette commune.  » Il tente de s’expliquer : « Je suis allé voir mon père pour les fêtes.  » – «  Il n’y a pas d’arrangement possible, interdit c’est interdit ! » lui rétorque sèchement la juge avant de rappeler son casier judiciaire : «  Vous avez été condamné quatre fois, notamment par le tribunal pour enfants pour détention de stupéfiants et conduite sans permis. » Et d’enchaîner suivant sa logique : « Allée du Gâtinais, c’est un point de deal monsieur !  » Il se débat tant bien que mal : « Je ne suis pas un bandit madame  » – « Et qu’est-ce que vous faisiez sur ce scooter ? » – « On me l’a prêté pour que je puisse rentrer chez moi » – « Ça vous arrive des fois de réfléchir monsieur !?  » Elle poursuit en vérifiant son «  insertion  » : «  Vous avez cherché du travail depuis votre sortie de prison ?  » – « J’ai fait un rendez-vous avec le SPIP [Service pénitentiaire d’insertion et de probation]. » – « Vous avez eu un mois et demi, vous n’avez que ça à faire !  » – «  Je suis sorti de onze mois de prison je voulais profiter un peu de ma famille... » – « Vous avez déjà travaillé ? » – « Jamais à l’extérieur » – «  Vous allez avoir 20 ans il faut se bouger  » – «  Madame je passe mon temps en prison, j’ai suivi des cours là-bas mais y’a eu le Covid. »
L’avocat fait une courte défense : « Il avait un bon parcours scolaire jusqu’à ce que ses parents se séparent. Il vit avec sa mère qui est dans un foyer pour femmes battues. Lorsqu’il a été fouillé il n’avait rien sur lui. Il vient de faire un mois de prison, il n’y a pas lieu de l’enfoncer d’avantage. »
Il écopera de 3 mois de prison effectués en semi-liberté.

M. X, 26 ans, le regard vide, est ensuite présenté dans le box. « Vous êtes ici car vous avez tenté le 22 décembre dernier de vous échapper de la prison de Varces » énonce la juge. « J’ai eu envie de partir oui  » répond-t-il simplement. « Alors que vous étiez en promenade, vous montez sur le toit puis sur un poteau à proximité du mur d’enceinte. Un surveillant du mirador donne l’alerte. Vous avez été mis en joue par un fusil à pompe avant d’obtempérer. Vous étiez pourtant libérable sept jours plus tard  » détaille la juge avant de s’intéresser à son profil psychiatrique : « Votre état était devenu inquiétant depuis plusieurs semaines, votre codétenu dit que vous étiez bizarre, que vous entendiez des voix.  » – « Je vais rester combien de temps en prison madame ? » demande-t-il seulement. « Pourquoi vous avez voulu partir ? » rétorque la magistrate. « Je suis parano madame, je vais pas bien dans ma tête  » – « Pourquoi vous étiez en prison ? » – « Je me rappelle plus. » – « Pour violation de domicile et menaces, vous représentez un danger pour la société. »
M. X est arrivé d’Algérie en France à l’âge de 19 ans. Sans papiers ni domicile depuis, il avait tenté de trouver un refuge pour la nuit, ce qui l’a conduit en prison. «  Je n’ai rien du tout, personne ne m’aide. Je vis dehors ou dans des squats, je travaille un peu des fois. Je n’ai rien fait de très grave » se défend l’accusé.

Le procureur prend la parole : «  Aujourd’hui la seule question qui lui importe c’est de savoir combien de temps il va passer en prison. La seule sanction cohérente avec les faits est de prolonger son incarcération de 6 mois.  »
Vient le tour de son avocat : « Son état psychologique s’est fortement dégradé en prison, j’avais demandé une expertise psychiatrique. Il est décrit par les autres comme une personne à côté de la réalité. Il a pris une peine ferme sans accompagnement pour sa première condamnation. Nous connaissons les conditions de détention à Varces, je ne pense pas que l’y renvoyer soit une solution.  » Verdict : M. X retournera 6 mois de plus en prison.

Autre affaire, M. Y, 24 ans. Il prend place derrière le micro et pose ses poings serrés sur la rambarde du box. Il est accusé d’avoir dégradé une voiture la veille ainsi que d’avoir violenté et outragé les policiers l’ayant interpellé. Son avocate demande une expertise psychologique, le procureur lui emboîte le pas. Le tribunal estime que l’homme n’est pas en état d’être jugé mais consacre quelques minutes pour parler de sa personnalité. « Vous avez quel âge ? » demande la juge. «  C’est pas marqué sur votre dossier ? » répond l’accusé. «  Enfant, vous avez passé deux mois en prison.  » – « Je vivais dans un foyer pour mineurs car mes parents sont décédés » – « Vous avez cinq condamnations pour des stupéfiants, des violences, un port d’arme. Vous n’êtes jamais venu devant un tribunal ? » – «  Non, j’avais pas envie, j’avais d’autres choses à faire. » «  Vous êtes célibataire ?  » – « Ouais » – «  Vous travaillez ? » – « Non » – «  Vous êtes dans le dispositif Garantie jeunes. » – « Oui, je vais pas aux rendez-vous, c’est pour avoir les 497 euros. » – « Vous avez une addiction à l’alcool et aux stupéfiants ? » – « Ouais » – «  À quel rythme ?  » – « Je sais pas » – « Vous allez suivre une cure. » – «  Ouais  » – « On va pas aller loin avec vos réponses » s’agace la juge. Estimant qu’il «  risque de repasser à l’acte et étant donné sa dangerosité pour des tiers et des policiers  » le procureur demande à ce qu’il soit incarcéré d’ici à son procès. Une demande à laquelle le tribunal accède, il passera cinq semaines en prison.

Un autre jour, M. Z est présenté, assisté d’une interprète. Il est accusé d’avoir volé 160 euros dans la caisse d’un magasin ainsi qu’un portefeuille quelques jours auparavant. Il dit être mineur, ce que le tribunal réfute, arguant que le département l’a reconnu majeur sur la base de son apparence. La juge dit que ses empreintes correspondent à celles d’autres interpellations dans différentes villes de France pour lesquelles il a donné plusieurs noms. « Quelle est votre véritable identité ?  » lui demande-t-elle. « Z, je suis né en 2004 » répond-t-il avant de tomber sur le policier derrière lui. Il reprend ses esprits : «  Je prends des médicaments que j’achète au noir sans ordonnance car je n’ai pas de papiers. » Il dit être arrivé d’Algérie il y a neuf mois. «  Comment vous voyez la suite ?  » poursuit la juge. «  J’aime la France  » rétorque-t-il. « Vous ne pouvez pas travailler légalement ici.  » – « Je cherche un compte Uber » – «  C’est illégal monsieur ! »
Le procureur prend la parole : « Il a le parcours classique de quelqu’un qui veut venir en France et se perd dans ses mensonges au détriment d’autres qui en auraient vraiment besoin. Quand on veut rester on ne vole pas et on ne ment pas sur son identité. Pour véritablement marquer son esprit je demande six à huit mois de prison.  »
La défense : «  J’ai demandé une expertise osseuse pour déterminer son âge. Il est en situation très précaire. Il a une importante consommation d’alcool doublée d’une prise de médicaments. »
Le tribunal rend son jugement : «  6 mois de prison ferme. Cette peine pourra être réduite si vous acceptez votre expulsion.  »

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Salle 5 : rendre visible cette justice « ordinaire »

Né il y a deux ans, le collectif « Salle 5 » se définit comme un « Groupe d’observation et de critique des comparutions immédiates à Grenoble ».« Le but est de rendre visible cette justice “ordinaire” qui met le plus de gens en prison  » explique Olive, membre du collectif. « Si cette justice est banale elle n’est pas pour autant anodine puisqu’elle concerne essentiellement des hommes pauvres noirs ou arabes  » renchérit sa camarade Rita et de poursuivre : « Ce n’est pas important de se focaliser sur les personnes, nous ne faisons pas du voyeurisme. L’objectif est de critiquer la machine judiciaire  ». Le travail de « Salle 5 » est condensé dans une revue papier « apériodique » du même nom dont le deuxième numéro est paru en novembre dernier [1]. On y retrouve pêle-mêle des chroniques de comparutions immédiates, un portrait du procureur de Grenoble Éric Vaillant ou encore un dossier thématique sur la justice des mineurs.

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Notes

[1aussi dispo à l’adresse « salle5grenoble.wordpress.com »