Accueil > Avril / Mai 2016 / N°35
Linky profite le crime ?
ERDF, le promoteur du Linky, est une institution. Comme il se doit, elle est respectée par toutes les autres institutions. Si le Linky est de plus en plus critiqué et rejeté par de simples habitants de la cuvette, ERDF sait pouvoir compter sur le soutien des élus locaux et de la presse locale.
Certains élus de la cuvette sont un peu embêtés avec cette histoire de Linky : ils reçoivent de plus en plus de demandes et de récriminations de certains de leurs administrés, qu’ils sont bien obligés de considérer.
Le maire de Fontaine Jean-Paul Trovero, encarté au Parti communiste, nous raconte : « Plein de gens s’interrogent légitimement sur ce compteur, sur les questions de santé, de coût, de flicage ou d’emploi. J’ai interpellé le préfet et ERDF mais pour l’instant [NDR : le 24 mars], ils ne m’ont pas répondu. En tant que maire, je ne sais pas trop quel est mon pouvoir sur ces compteurs. J’envisage de faire une réunion publique bientôt. » Il a une position inconfortable, car une usine Ziv censée fabriquer des compteurs intelligents vient de s’installer sur sa commune, et qu’au début il s’était réjoui de cette annonce (voir Linky se fout de notre gueule ?, page 9 ). Mais son petit malaise vient aussi du fait que son parti, comme tous les autres, soutient le Linky. Renzo Sulli, le maire communiste d’échirolles, a même eu une « profonde satisfaction » (Le Daubé, 10/12/2015) quand le « premier compteur Linky de l’Isère » a été posé dans sa ville. Pour David Queiros, le maire PCF de Saint-Martin-d’Hères, le Linky est un « élément indispensable à la nécessaire transition énergétique » (Le Daubé, 3/03/2016).
Patrick Durand est également communiste, élu d’opposition à Pont-de-Claix. Même s’il a travaillé « pendant trente-deux ans à EDF », il est venu au rassemblement du 2 avril. « Ça fait six ans que je m’intéresse au Linky, notamment à travers ma participation à la fédération énergies CGT. Le Linky, c’est le dernier élément dans le système de déréglementation du secteur de l’énergie. Cela va entraîner 6000 suppressions d’emplois d’ici 2021. Ils nous annoncent un coût de cinq milliards, mais en réalité il sera bien plus élevé. Pour moi, c’est juste un outil de business. »
Malgré cet argumentaire, Patrick Durand, également élu à la métropole, a soutenu le vœu présenté par la métropole le 1er avril, soit la veille du rassemblement. Loin de demander la suspension de l’installation, ni même des études complémentaires, ce vœu se réjouit de la communication d’ERDF, qui a pondu un document de six pages pour assurer aux élus métropolitains qu’il n’y aura aucun problème avec le Linky. Ils assurent juste qu’ils seront « vigilants quant au respect » des engagements d’ERDF.
Après plusieurs interventions d’élus exprimant leur incompréhension face à la contestation du Linky, ce voeu a été voté à l’unanimité – y compris par le Front national, qui tente pourtant de récupérer la contestation anti-Linky en faisant des tribunes contre le Linky dans Gre.mag ou Métropole (voir Le Postillon n°34).
Les élus d’Eybens, qui avaient demandé la suspension de l’installation des Linky, ont eux aussi bizarrement voté ce vœu creux, qui a l’air d’être bien plus motivé par la volonté de « ne pas contribuer à cette boule de neige de fantasmes autour de ce brave compteur », comme l’a dit le maire du Sappey Dominique Escaron, que de répondre aux revendications des anti-Linky. Les élus écologistes sont eux étonnamment silencieux sur cette question : si certains (comme Georges Oudjaoudi à Saint-Martin-d’Hères) relaient un peu les inquiétudes des habitants, s’ils regrettent le manque d’informations et pensent que « si on veut que les compteurs communicants servent à la transition, il faut qu’ils soient acceptés », ils ne se positionnent pas contre, bien au contraire. À Grenoble, ils sont en train de réfléchir à la pose de compteurs intelligents uniques (regroupant l’eau, l’électricité le gaz, et le chauffage), mais ayant les mêmes défauts.
Pour comprendre cet enthousiasme métropolitain en faveur du Linky, il faut savoir que les élus locaux entretiennent généralement de très bonnes relations avec les responsables locaux d’ERDF. Tenez, par exemple : la Métropole a lancé à l’occasion de son Plan Air-Energie-Climat, un « club des entreprises pour le climat », qui regroupe pour l’instant cinq entités dont... ERDF. À l’occasion de la conférence de presse du lancement de ce club, Olivier Masset, directeur territorial Alpes d’ERDF, a d’ailleurs inpisté : « Parmi les actions phares, nous allons notamment déployer le compteur Linky sur le territoire de la Métropole à partir de la fin d’année. C’est véritablement l’outil de la transition énergétique qui va permettre de mettre en place toutes les solutions pour maîtriser les consommations ».
Les élus locaux et ERDF se croisent aussi régulièrement au sein de l’ALEC (Agence locale de l’énergie et du climat). Olivier Masset est un des membres du bureau, alors que le président est Pierre Verri, le maire de Gières. A l’occasion du vote du vœu de la Métro, ce même Verri a proclamé : « ce buzz autour du compteur me laisse perplexe », avant d’affirmer : « le rôle des élus est d’accompagner les mutations technologiques de nos territoires ». Vous avez bien remarqué le terme « accompagner », et non pas « questionner » ou « réfléchir » « exercer son esprit critique ». Pour le Linky, les élus métropolitains se cantonnent en tous cas à ce rôle : ils « accompagnent » son développement.
Comment le président de la métropole Ferrari pourrait vouloir froisser ERDF ? Cette entreprise est si gentille qu’elle lui prête ses locaux pour les réunions du « club des mécènes » s’occupant du projet de réhabilitation des moulins de Villancourt (voir http://www.brisetzephir.fr/?p=639).
Deux semaines après le rendez-vous avec les anti-Linky (voir page 6) – où il avait fait semblant de ne pas avoir d’avis sur le sujet et d’être donc disponible à écouter objectivement les arguments des opposants – Ferrari s’est rendu au « sommet des villes intelligentes », qui se tenait du 23 au 25 mars 2016 à Taiwan pour représenter la métropole grenobloise. Le Linky est un des éléments centraux de la « ville intelligente » : s’opposer au Linky signifierait s’opposer à cet horizon du techno-capitalisme grenoblois. ERDF n’a donc aucun souci à se faire quant au soutien du président de la métropole pour le Linky.
Outre les élus, ERDF sait pouvoir compter sur Le Daubé pour assurer la promotion du Linky. Jusqu’au début de la contestation, le quotidien local n’en parlait qu’en termes élogieux remplis d’expressions comme « le Linky, c’est les avantages sans les inconvénients » ou « la question de la santé n’existe pas » (Le Daubé, 30/11/2015). Si les actions des opposants, ou les prises de positions critiques de certains élus ont été évoquées, elles ont été recouverts par de longues interviews d’Olivier Masset ou de la présidente iséroise de l’UFC Que Choisir, association qui aujourd’hui promeut le compteur après l’avoir longtemps combattu.
C’est qu’il y a là aussi des intérêts communs. ERDF et Le Daubé font par exemple tous deux partie de Citélec et coorganisent la « journée de la mobilité durable », qui a lieu tous les ans au mois de septembre. Et, surtout, ERDF achète régulièrement de gros encarts publicitaires au Daubé. D’ailleurs, depuis fin mars, il y a eu au moins à quatre reprises de gros encarts de publicité (entre un quart et une demi-page) pour le Linky dans Le Daubé.
Il y a quelques mois, alors qu’on papotait avec un journaliste local, il avait balancé : « il est pas mal votre journal, mais il est militant ». On ne s’est jamais revendiqué comme tel, mais on a toujours affirmé qu’on n’était pas « objectif », et d’ailleurs qu’aucun journal ne pouvait l’être. Le Daubé milite pour le Linky, mais fait semblant d’être neutre. Nous on affiche clairement la couleur, et elle n’est pas verte fluo.