Antoine Bristielle, nouveau politologue en vogue
Les platitudes d’un anti-conspirateur
Pendant ces deux années de psychose sanitaire, à Grenoble comme ailleurs, le milieu universitaire a surtout brillé par son absence de toute prise de position critique sur les mesures coercitives mises en place. Les ridicules auto-attestations, les couvre-feux et leurs contrôles, les suspensions de personnels qualifiés non-vaccinés ou le discriminant passe sanitaire et ses amendes astronomiques auraient pu être de riches sujets d’études documentées. Et pourtant, ils n’ont – à notre connaissance – pas fait l’objet de travaux sérieux sortis des centres de recherche grenoblois. Un chercheur de la cuvette est parvenu à profiter de la pandémie pour percer médiatiquement. Non pas en essayant d’armer la critique des dispositifs liberticides mais en s’attaquant à la cible favorite des commentateurs et des partisans du pouvoir : les méchants « complotistes ».
Antoine Bristielle, c’est son nom, a tout juste 30 ans mais multiplie les apparitions médiatiques depuis un an et demi. Depuis cet automne, le nouveau « directeur de l’observatoire de l’opinion » de la fondation Jean-Jaurès, influent groupuscule social-libéral, est même chroniqueur occasionnel de Quotidien, l’émission trop cool du trop cool Yann Barthès. Il perce peu à peu dans la galaxie des politologues fréquemment interrogés par les médias locaux ou nationaux, pouvant baratiner des platitudes sur à peu près n’importe quel sujet.
Cet hiver, il a sorti un bouquin intitulé Voyage en terres complotistes. Édité aux éditions Fayard, il prouve qu’il ne faut jamais désespérer : on peut écrire platement, n’avoir pas grand-chose à dire et se contenter pour toute « recherche » de commentaires sur Facebook tout en étant quand même publié par une grande maison d’édition. Car en guise de « voyage », Bristielle se contente de se servir de quelques-uns des « 5 000 témoignages » récoltés sur des groupes Facebook pro-Raoult, contre le port du masque, la vaccination ou le passe vaccinal.
À l’automne 2020, il avait déjà réalisé une étude sur les anti-masques grâce à cette technique du « questionnaire Facebook », dont toutes les limites méthodologiques pourraient être résumées par une seule question : peut-on faire de la sociologie en ligne avec Facebook, sans que le sujet d’étude ne soit Facebook ? Après avoir relayé son travail, comme de nombreux autres médias spécialistes du « fact-checking », le site de commentaire médiatique Arrêt sur images s’était excusé d’avoir « repris sans recul les conclusions » de son étude qui affirmait, en se basant sur cette méthodologie foireuse, que « l’adhésion aux différentes théories du complot est un trait caractéristique des “anti-masques” » et qu’ils étaient 52 % à croire aux Illuminati ou 57 % à un complot sioniste. Dans son étude, Bristielle allait même jusqu’à réaliser un « portrait-robot » des anti-masques français, sous-entendant que sa méthode de paresseux pouvait avoir quelque chose de rigoureux.
Depuis, et malgré les critiques, Bristielle a à peine changé de méthodologie. S’il ne s’aventure plus à faire des pourcentages à partir de questionnaires Facebook, les écrits sur le réseau social constituent le seul « terrain » de son livre, servant avant tout à illustrer ses thèses. Lesquelles se démarquent un (tout petit) peu de l’hystérie anti-complotiste à la mode sous-entendant que tous ceux qui contestent les injonctions techno-sanitaires sont des débiles adeptes de théories farfelues invraisemblables. Le chercheur grenoblois, moins caricatural que les autoproclamés experts du site Conspiracy Watch, concède qu’il y a quand même quelques bonnes raisons de douter de la bonne parole gouvernementale et que ceux qui ont une « mentalité complotiste » ne sont pas forcément des idiots finis. Ce positionnement plein d’une mansuétude un peu pitoyable sert surtout à appuyer ses alertes à propos de « ceux qui portent en eux le germe d’un basculement vers une vision du monde conspirationniste » : « Nous sommes sur une pente glissante capable de saper les fondements mêmes de la légitimité des scrutins. » Quelle horreur pour les gens de pouvoir, qui aimeraient que notre démocratie bancale puisse continuer à donner une illusion participative pour de nombreuses années. Voilà tout le cauchemar d’Antoine Bristielle : « Le conspirationnisme ne propose aucune alternative, aucun modèle de société concurrent, à part de détruire les mécanismes de pouvoir et le type de société que nous connaissons actuellement. (…) Dans ces conditions, ce n’est pas tant un “vote complotiste” qui est à redouter, mais plutôt une remise en cause à la fois de la légitimité du processus électoral, mais également des soulèvements violents à intervalles réguliers. »
Pour éviter ces écueils redoutables pour les gouvernants, Bristielle propose une ribambelle de mesures plus inoriginales les unes que les autres afin de « restaurer la confiance » ou « d’approfondir la démocratie ». Cet empilement de lieux communs lui permet néanmoins de bénéficier d’une promotion médiatique largement complaisante pour ce travail digne d’un mémoire de première année de sciences politiques. Malgré ses postures de sage bienveillant, Bristielle est plutôt le genre d’imbécile qui montre le doigt quand la lune est en train de changer le monde. Ainsi écrit-il : « À l’automne 2021, la question technologique était loin d’être marginale au sein du mouvement de contestation contre le passe sanitaire. On pouvait par exemple lire sur de nombreuses pancartes lors des manifestations des slogans du type “nous ne sommes pas des QR-codes”. Si ce type de revendications peut traduire des inquiétudes – légitimes – quant au respect des libertés publiques, un glissement s’opère vers la peur d’une société de contrôle et de traçage de l’activité des Français grâce au passe sanitaire. »
Avoir « peur d’une société de contrôle et de traçage » relèverait donc du complotisme ? Faut-il être sur une « pente glissante » pour penser que devoir flasher un QR-code afin de rentrer dans quantité de lieux fait basculer dans une société de flicage total ? Antoine Bristielle, sur ce point, ne se démarque pas des âneries déversées par les autres anti-conspirateurs. En focalisant l’attention sur le très flou « complotisme » – qui regroupe indifféremment des théories farfelues et des contestations tout à fait rationnelles – ils accompagnent avec ardeur toutes les « pentes glissantes » vers le contrôle total que prennent nos sociétés.