Accueil > Automne 2019 / N°52

Les baignades volées

Où peut-on se baigner gratuitement dans la Cuvette ? Presque nulle part. Alors les rares sites accessibles sont victimes de surfréquentation. Dernières victimes : le lac Achard en Belledonne et le spot de la Monta à Saint-Egrève. Face aux abus, la seule réponse des autorités est l’interdiction, sans proposer d’autres solutions gratuites et accessibles. Et après, ça prétend « préparer les futures canicules »...

Le lac Achard a connu un été mouvementé. Faut dire que c’est un coin attirant : une petite heure de bagnole depuis Grenoble jusqu’à Chamrousse, une petite heure de marche et on se retrouve au bord de ce petit lac de montagne. Alors énormément de gens y vont, jusqu’à 1 500 personnes par jour selon les autorités. Et puis certains font n’importe quoi, brûlent les rares arbres restants ou laissent leurs déchets. Le summum semble avoir été atteint en juillet dernier : toujours selon les autorités, «  un groupe de campeurs a même incendié volontairement son matériel de camping, cafetière comprise, pour ne pas avoir à le redescendre !  » (www.actumontagne.com, 27/08/2019).

Ces abus ont poussé Le Daubé (30/08/2019) à consacrer deux pages à ce fléau : « Le lac Achard est le symbole d’une montagne qui devient trop accessible à des pratiquants, qui par méconnaissance du milieu le dégradent et le mettent en danger.  »

Cet article a fait bondir Catherine, une Chamroussienne : « C’était un papier très méprisant sur ces randonneurs “inadaptés”, la journaliste parle de “famille avec la glacière” ou d’“ados déjà en maillot de bain sentant le monoï à 2 kilomètres”. Comme si la montagne devait être réservée aux “vrais” randonneurs. Le problème, c’est que la commune n’a pas assez anticipé cette surfréquentation. Le site est classé Natura 2000 depuis 2016 et rien n’a été fait pour informer, expliquer, réparer et préparer l’évolution du flux touristique. Il n’y a même pas eu d’affichage et de recommandations au départ des sentiers ou sur le site. Pas plus de mise en place de sanitaires secs sur les zones très fréquentées. À croire que la situation a volontairement été laissée en désordre afin de permettre de parvenir, en urgence, par arrêté du maire le 9 juillet 2019, sans concertation avec les utilisateurs et les Chamroussiens, à un classement en Espace naturel sensible. »
Ce classement se traduit surtout par des interdictions : de se baigner, de faire des cueillettes ou de sortir des chemins. « Merci de nous offrir 152 hectares de montagne qu’on ne peut toucher qu’avec les yeux  » ironise Catherine.

Mais surtout cette campagne de « sensibilisation  » passe à côté des bonnes questions. « Pourquoi 1 500 touristes vont au lac Achard et pas assez ailleurs ? Parce que son accès est facile et gratuit. À Chamrousse, il n’y a rien d’autre : il n’y a plus de piscine municipale et c’est interdit de se baigner au plan d’eau de la Grenouillère. Les autres lacs sont plus loin. Le tourisme d’été qui se développe est entièrement payant, ceux qui viennent se baigner gratuitement n’intéressent personne » conclut Catherine.

Convoquée au commissariat pour une baignade

À Saint-Egrève, au hameau de la Monta, la rivière la Vence propose une délicieuse cascade et une petite vasque. Voilà des années que ce site est squatté par des bandes d’ados dès qu’il fait chaud et on ne peut que les comprendre. Comme tous les ados, parfois, ils font n’importe quoi, laissent leurs déchets et font les kékés. Pour régler ce « problème », la mairie n’a pas choisi de mettre des poubelles ou de faire de la prévention. Elle a installé des grilles sur tous les accès au site, et depuis, la police municipale patrouille dès qu’il fait chaud. Cet été, une adolescente grenobloise s’est même fait convoquer au poste après avoir été vue en train de se baigner : visiblement la police manque d’occupation à Saint-Egrève.

Ces deux situations n’ont pas grand-chose à voir mais racontent toutes deux la pression autour des rares sites de baignade gratuits et accessibles dans le coin.

Et pourtant, nous vivons dans une région débordant d’eau. Les rivières dévalant des massifs ont permis la découverte de l’hydroélectricité – la fameuse « houille blanche » – , ont fait tourner quantité de moulins et d’usines, permettent toujours de produire des gigawatts ou de fabriquer quantité de cochonneries industrielles, composés chimiques ou micropuces gravées sur des plaques de silicium. Chaque jour, des millions de mètres cubes d’eau passent sous nos yeux, à deux pas de nos lieux d’habitation ou de travail. Et pourtant : il n’y a presque nulle part où se baigner dans la cuvette.

C’est cocasse, mais c’est surtout scandaleux. Alors que s’annoncent des périodes de plus en plus chaudes, une des priorités des pouvoirs publics devrait être de permettre au maximum de personnes de se baigner gratuitement. En arrêtant d’autoriser des rejets toxiques dans les rivières, en imposant à EDF d’autoriser les baignades les jours de chaleur sur les rivières où elle possède des barrages (le Drac ou le Furon), et en préférant la prévention à la répression.