Accueil > Avril-Mai 2017 / N°40

Le trafic d’influence co-construit

Toujours plus loin dans la démocratie participative ! Deux élus écolos grenoblois tentent la co-construction d’appel d’offres avec la start-up d’un de leurs amis...

"Soupçons de trafic d’influence". Normalement, quand on évoque ce délit, il concerne des vieux briscards de la politique et le milieu du BTP ou des affaires. Mais cet hiver, il a été employé à propos de jeunes élus écologistes grenoblois et d’une start-up éco-innovante baptisée Ebikelabs. Créée par deux doctorants, Maël Bosson et Raphaël Marguet (voir page précédente), elle promeut le « vélo électrique connecté ».
Le GAM (groupe d’analyse métropolitain) a fait fuiter à la presse une flopée de mails internes à la Métro, concernant les relations de cette dernière avec Ebikelabs. On y apprend notamment que Maël Bosson, le boss d’Ebikelabs, a « l’oreille très fine de nos élus », selon les services de la Ville de Grenoble. Ou que Raphael Marguet diffuse à plusieurs élus des documents « confidentiels » (…) « diffusables, mais de manière raisonnée. En effet, ce sont les travaux que Maël Bosson souhaite partager avec les élus, mais qui peuvent être un peu sensibles dans le sens où il y a une possible création d’entreprise derrière pour lui et pour d’autres… » Un an plus tard, Marguet deviendra cofondateur d’Ebikelabs avec Bosson.
On y apprend également que le vice-président de la Métro Yann Mongaburu s’active pour que les projets d’Ebikelabs avancent. Un fonctionnaire de la Métro écrit ainsi dans un mail : « Bonjour, William, Yann Mongaburu nous relance régulièrement pour lancer ce projet. Il en a parlé avec Éliane Giraud [NDLR : sénatrice PS] pour la convaincre de financer. Il faut y aller. Cordialement. »

Le fond de l’affaire concerne une expérimentation possible des vélos à assistance électrique dans le service Métrovélo (1). Expérimentation qui aurait pu permettre à Ebikelabs de se faire connaître et de mettre un pied dans l’institution. Une lettre de juin 2014, estampillée « confidentielle » et adressé par Raphael Marguet aux services de la Métro, atteste de la création future de la start-up « Cette expérimentation pourra constituer un premier banc d’essai pour l’entreprise qui sera responsable de la location du parc de kits VAE [NDLR : vélo à assistance électrique] intelligents. » Le nom d’Ebikelabs est déjà mentionné, alors que la start-up ne sera créée qu’un an plus tard.
Après moult tergiversations, il y a finalement eu une expérimentation très limitée (sur seulement deux vélos), et les responsables de Métrovélo n’ont pas été convaincus. Aucun appel d’offres de la part de la Métro concernant le VAE n’a pour l’instant été lancé. Donc Ebikelabs, malgré son lobbying remarqué, n’a aujourd’hui rien obtenu.
Le supposé « trafic d’influence » n’a produit aucun débouché. Mais l’intention potentielle révélée par les mails a poussé le parquet à lancer une enquête préliminaire (Place Gre’net, 13/02/2017).
Par rapport aux emplois fictifs des caciques de la droite, aux magouilles de Carignon, aux accointances des socialistes avec le milieu des affaires, cette affaire est effectivement bien dérisoire. Mais c’est quand même cocasse de voir de jeunes écolos tomber dans les mêmes travers que des politiciens classiques, et utiliser leur position de pouvoir pour essayer de favoriser leurs amis.
L’histoire de cette start-up est surtout exemplaire dans ce qu’elle révèle du « paradis fiscal pour la R&D » qu’est notre pays. Et c’est surtout symptomatique de voir des trentenaires écolo-branchés qui prétendent inventer le « monde de demain » œuvrer avant tout pour un futur high-tech et contrôlé par les algorithmes. Où même les vélos sont intelligents et connectés, et où les businessmen des start-ups mènent la danse.


(1) Pour plus d’informations sur cette affaire, voir les sites internet Place Gre’net (7/02/2017) ou lelanceur.fr (21/02/2017).

bonus qui n’a rien à voir