Accueil > Décembre 2017 / N°43
Le catcheur qui, en fait, ne venait pas de Grenoble
Son visage est mondialement connu. On l’a même vu sur un tableau derrière Macron pendant son interview télévisée. Beaucoup croient que le catcheur décédé André le Géant vient de Grenoble. En fait c’est faux. Retour sur une curieuse légende.
Aujourd’hui, on fait des pétitions sur tout et n’importe quoi. Magie de la vie numérique et de la mobilisation à coups de clics. Fin octobre on en a vu apparaître une curieuse : « Pour un mémorial à André le Géant à Grenoble, France ». 387 signatures au compteur.
« Je suis fan de catch depuis un moment, et André le Géant est une des références de ce sport. Et en plus il est français ! », s’exclame Timothé Verney, le rédacteur de la pétition. Inconnu ici, le catcheur né André Roussimoff a une stature légendaire doublée d’une icône pop, aux USA comme au Japon. D’abord parce qu’il mesure 2 mètres 20, et atteint 245 kg. Et puis il déborde de charisme. La fascination de Timothé Verney débute dès ses 9 ans, en 1999 : « j’ai regardé le catch à la télé, puis je suis allé sur les forums, et sur les jeux vidéo. Là, on pouvait se mettre dans la peau d’André, en tant que ‘‘légende’’. Et partout, il était mentionné qu’il venait de Grenoble. » Face à ces combats pleins de sueur, de testostérone, de hurlements gutturaux et de commentaires hallucinés, le catch a séduit Timothé. Dans ce vrai-faux combat, la figure du gentil géant bourru, tout juste descendu de Chamrousse pour conquérir le monde, fonctionne à merveille. L’histoire paraît belle, Timothée Verney accroche et veut que les Grenoblois s’en souviennent. Il demande simplement « la création d’un mémorial (plaque, statue, etc.) en son honneur ». « L’idée serait de le placer dans un lieu qui évoque le divertissement, comme le Palais des Sports, où un match de catch s’est déroulé en 2010 », imagine-t-il. Malgré le côté « un peu beauf de ce sport » - dixit Timothé d’un air contrit - la démarche semble pour le moins honnête : « je cherche juste à faire connaître André. Le monde s’imagine qu’il est grenoblois. C’est une fierté. » Imagine ?
Géant des champs
Au risque de décevoir les Grenoblois en mal de symbole, André Roussimoff aka le Géant des Alpes, n’est pas né dans la cuvette, mais dans les vallons herbeux de Molien, en Seine-et-Marne. Il pousse ses premiers cris en 1946 dans cette sympathique bourgade de 741 habitants. Il ne le sait pas encore, mais il est atteint d’acromégalie, un trouble hormonal qui va le faire grandir sans arrêt. À 12 ans, il culmine déjà à 1 mètre 90 et pèse 110 kg. Ses pieds et ses mains apparaissent démesurés, inhumains. Son visage porte aussi les stigmates de la maladie : de petits yeux sous un front proéminent, des pommettes hautes, les cheveux frisés formant une couronne ébouriffée. Les villageois qui l’ont vu grandir à Moliens évoquent nombre d’anecdotes : « Il nous faisait marrer. Il y avait une remorque de 7 tonnes mal garée dans le bourg. Il a pris le timon et l’a déplacée… ça, c’était Dédé », rigole l’un d’entre eux sur France Culture (26/10/2016). Le géant commence ensuite sa vie d’adulte par de petits boulots à la ferme, puis à la capitale.
Une carrière légendaire
Une fois à Paname, il découvre le catch, et réalise son premier match en 1966. Il va rencontrer Frank Valois, un costaud québécois dans le circuit depuis quelques années. Il décide de manager André, et le fait combattre dans le monde entier, du Japon à Montréal. C’est outre-Atlantique qu’André va vraiment asseoir son image avec sa naissance grenobloise fictive. Les sources divergent. Les uns assurent que Franck Valois a eu l’idée. D’autres encore expliquent qu’Édouard Carpentier, autre ex-catcheur canadien est à l’origine de cette légende. Ce gaillard mastoc aurait raconté qu’il se baladait dans les montagnes en bagnole. Sur la route, il tombe sur un tronc qui barre la voie. Il tente alors de dégager l’arbre seul, mais il échoue. Tout à coup, un géant aux cheveux touffus déboule de la forêt alpine et vient lui prêter main-forte. D’un geste du bras, il libère la voie. Carpentier l’embauche sur-le-champ. Timothé Verney, lui, penche plutôt pour la piste Vincent MacMahon senior. En tout les cas, le patron de la WWF (ligue de catch aux USA) a l’idée de faire jouer André en 1973, et de lui donner le rôle du géant inamovible. C’est là qu’il va atteindre le sommet de sa carrière. À Détroit, en 1987, il affronte avec son pagne noir habituel, Hulk Hogan dans un stade surchauffé de 93 000 personnes. La meute des spectateurs hue l’entrée du champion. Le présentateur hurle dans le brouhaha : « Introducing first, from Grrrénoeuble, in the French Alpes… André thhheeeee Giant. »
Dédé en icône post-pop
Après ses années fastes, André épuisé par son propre poids, se cloître dans son ranch en Caroline du Nord, et mate du télé-achat jusqu’à son décès en 1993. Mais son image reste dans l’imaginaire collectif. D’autant qu’en 1989, Shepard Fairey, plus connu sous le nom d’Obey, reprend le visage d’André pour créer des stickers. Le jeune graphiste, qui cherche à parodier la propagande consumériste, tombe dans les travers qu’il dénonçait. Il devient une star du street-art, vendant du merchandising sur le dos de Dédé à coup de 30 dollars l’affiche. Son visage est même sur un tableau accroché dans le bureau de Macron à l’Elysée. Et dire qu’aucun Grenoblois n’est parvenu à se faire du fric dessus.