Accueil > Été 2014 / N°26

Le blog augmenté sur papier d’André V.

9 février  : Et encore une interview dans un média national. Alors que le remaniement arrive à grands pas, je me place. Comme la Justice ne m’est plus promise - quelle injustice -, j’essaye de montrer mes capacités sur d’autres grands sujets. À l’Opinion (nouveau quotidien « libéral, pro-business, européen » ), je déclare : « Cent ans après 1914, c’est le tocsin d’une autre mobilisation nationale qu’il faut sonner aujourd’hui : la mobilisation de toutes les forces vives du pays qui ont le devoir de s’unir pour sauver la France du déclin. La mondialisation, c’est une guerre, économique certes. Mais une guerre. Si nous n’en prenons pas conscience, la France se retrouvera dans le camp des vaincus ». Avec de tels propos martiaux, je peux viser au moins le ministère de l’Économie-bazooka ou celui du Redressement militaire. Je suis ouvert à tout.

9 avril : Yeepaa ! Enfin ! Ça fait plus de dix ans que j’en rêvais ! Mais tout vient à point aux arrivistes qui savent attendre : me voilà enfin au gouvernement. Bon, c’est vrai, je n’ai pas eu de grand ministère – cette incapable de Taubira étant restée à la Justice – mais c’est quand même la classe : je suis secrétaire d’État à la Réforme territoriale. Ça en jette, hein ? Surtout ça fait un bien fou. Enfin je me tire de l’Isère, ce département que j’arpente depuis trente ans pour me faire remarquer par les élites parisiennes. C’est fini les inaugurations de maisons de retraite, les fêtes de villages, les champs de noyers, les tritons palmés qui nous empêchent de bétonner, les salariés du conseil général inaptes au changement et les pompiers émeutiers. À moi Paris, les cocktails mondains et les médias nationaux à portée de main !

26 avril : Si Hollande et Valls m’ont nommé à la Réforme territoriale, c’est un peu parce que j’avais fait partie du comité Balladur, chargé par Nicolas Sarkozy de pondre un pavé pour « simplifier les structures des collectivités locales ». Mais ma nomination doit certainement aussi à mes propos sur la « guerre économique » que nous devons gagner pour « sauver la France du déclin ». Car la réorganisation de notre territoire est dirigée dans ce seul but : se mettre en ordre de bataille pour la mondialisation. Dans Le Daubé, je précise : « Notre objectif est donc de créer une douzaine de grandes régions (NDLR : contre 22 actuellement) qui seront mieux armées, en visibilité aussi, dans la compétition économique internationale. Leur attractivité sera plus forte : il est difficile d’expliquer à un investisseur chinois ou américain qu’il y a encore aujourd’hui deux Normandie... ». Et dans la guerre économique, à quoi bon avoir des paysans ? C’est pas eux qui vont attirer les investisseurs américains. Donc sus aux campagnes : « Il faut regarder la réalité en face : celle de la disparition progressive de la frontière entre monde urbain et monde rural. Excepté quelques territoires très isolés de campagne ou de montagne, on assiste à un rapprochement des modes de vie. Et avec les circuits courts, l’agroforesterie ou l’agritourisme, et la périurbanisation des agglomérations, on voit bien que le rural et l’urbain s’interpénètrent. » Ce ne sont pas seulement les métropoles qui doivent s’engager dans la guerre économique mais tous les territoires : villages, petites bourgades, zones forestières ou zones montagnardes, formez vos bataillons !

8 mai : De toute façon, ceux qui n’accepteront pas cette réforme territoriale ne sont que des arriérés. Dans Le Figaro du jour, j’affirme qu’« il y a, c’est vrai, quelques résistances à gauche et le vrai clivage sur ce sujet passe en fait entre les conservateurs et les réformateurs. Dans chaque camp ! ». Ces « conservateurs » sont irresponsables comme l’étaient, il y a un siècle, les déserteurs de la grande guerre. Tous ceux qui s’opposeront à ma réforme seront de toute façon bientôt considérés comme des traîtres à la patrie.