tout le pouvoir aux ronds-points
Laissons entrer le soleil
Il est crispant ce mouvement des gilets jaunes, vous ne trouvez pas ? Un jour, vous trouvez que les manifestants ont raison, le lendemain vous flippez qu’ils soient des sous-marins de l’extrême-droite. Vous avez du mal à savoir quoi en penser ? Vous n’arrivez pas à en dire du mal mais sans parvenir à les défendre ?
Pour vous compliquer la tâche, les rassemblements s’organisent souvent dans les périphéries urbaines, loin des centres-villes et peut‑être de votre lieu de vie. Pour éclairer vos lanternes, on est allés traîner sur ces ronds-points occupés et on y a trouvé plein de choses. De la chaleur humaine dans ce monde glacé de solitude, des rencontres improbables et surtout l’impression qu’il se passait enfin quelque chose de réjouissant : des anonymes sortaient la tête de leur écran pour se retrouver, discuter, le tout dans un bordel complètement imprévisible et donc difficilement saisissable par le pouvoir. Un élan contre le fatalisme ambiant qui a pour l’instant bien du mal à pénétrer dans Grenoble. Ce papier vous invite donc à laisser, laisser entrer le soleil.
Pourquoi me suis-je retrouvé torse-poil sur ce rond-point ? Petit à petit, ça me revient : les gilets jaunes, Marianne, Tony, le skieur, le cubi de rosé, la vodka… Je me souviens, c’était Noël, le 25 décembre. Avec Pipoto, on a voulu aller réveillonner avec les gilets jaunes tenant le rond-point de Crolles. On arrive après la bataille : le temps de nous motiver, puis de faire les vingt bornes à vélo, il est déjà seize heures quand on se pointe à côté du rond-point.
C’est plutôt ambiance fin de soirée, environ vingt-cinq personnes, dont la plupart ont passé la nuit d’avant autour du brasero. « À 5 heures du mat’ on était toujours une dizaine ». Le midi, il y a encore eu un repas commun, des chocolats, des discussions. À 16 heures, le camp est en train d’être plié – à Crolles ils n’ont jamais construit de cabane, tous les matins ils ramènent un barnum, des chaises, de la bouffe, des boissons, et tous les soirs ils remballent et nettoient tout. Une organisation bien huilée : Machine s’occupe du mobilier, Truc du bois, Bidule de la nourriture, et tous les jours ce rond-point est tenu, qu’il pleuve ou qu’il caille, avec ces bonnes volontés agrégées.
Les gens partent doucement, on commence à avoir quelques discussions. C’est plutôt facile de papoter sur les ronds-points : ça cause directement manifestations, Macron, les dernières conneries médiatiques, et puis ça dévie généralement sur la vie professionnelle des gens, leur passé, leur famille, leur vie intime – la dernière fois qu’ils ont baisé, la personne qu’ils aimeraient bien choper. Ce soir-là, on commence à tailler le bout de gras avec une rescapée de la nuit de la veille et un salarié de Sodexo. Alors qu’il évoque « les petits patrons à la retraite qui sont venus passer Noël avec nous », un type s’arrête pour offrir deux bouteilles de champagne – il sert des verres à tout le monde et se barre juste après. J’ai souvent vu des gestes comme ça sur les ronds-points.
Ça nous aide à nous sentir plus à l’aise – finalement on va pas repartir tout de suite, même si le gros de la troupe se tire, il reste quelques personnes, et puis il y a un cubi de rosé. Il y a Toni, qui bosse dans les déchetteries et qui vit dans un camping car depuis qu’il s’est fait virer de son logement social, « je gagne 1 400 euros, mais j’ai trois pensions à payer pour mes trois gosses... » Marianne, ancienne employée de collectivité, qui maintenant fait du ménage payé en chèque emploi service et qui a perdu des dents « parce que j’ai préféré nourrir mon fils plutôt que d’aller chez le dentiste ». On saute d’un sujet à l’autre, des cadeaux aux millionnaires aux vertus de l’aloe vera, de notre monde « tape-à-l’œil » où tout le monde veut « la même cuisine Ikea » à la nécessité de ne plus avoir peur. C’est à ce moment qu’arrivent Jean-Michel, un chauffeur routier vivant lui aussi en camping car, et Denis, prof de ski et ancien champion du monde de ski. Denis veut apporter sa contribution au mouvement en posant une banderole « Prenons notre chance de dire stop ». Mais il n’arrive pas à enfoncer des pieux pour tendre la banderole sur le rond-point. Heureusement un paysan du coin déboule en montant sur le trottoir avec son tracteur, il a un coupe-coupe à l’intérieur, ce qui permet à Denis de tailler ses pieux et d’enfin faire tenir sa banderole. Denis se méfie un peu des journalistes, il est farouche au départ, mais il a aussi une bouteille de vodka, ça me chauffe un peu plus, ça nous chauffe tous en fait, les discussions repartent de plus belle. Quand deux heures plus tard, Denis propose qu’on se mette tous torse-nu autour du brasero en agitant des gilets jaunes au bout de bâtons, je réfléchis même pas, ni une ni deux je me dépoile direct.
Bref, ils m’ont demandé de pas raconter tout ça « parce que les médias veulent nous faire passer pour une bande d’alcooliques alors faut pas dire quand on se torche la gueule », mais quand même ce jour-là, c’était Noël, on a le droit de se lâcher un peu, non ? Surtout que toutes mes autres virées sur les ronds-points de l’agglomération ont été complètement sobres : l’alcool n’est pratiquement pas présent sur les rassemblements de Voreppe et de Crolles.
On ira pas tous au Paradise
Enfin, d’après ce que j’en ai vu. Je prétends pas raconter LA vérité sur les gilets jaunes à Grenoble, juste des bribes de ce que j’ai observé et ce que ça m’a inspiré (par exemple je ne parlerai pas des assemblées générales des dimanches matins à Grenoble, vu que je n’y suis pas allé). Si ce mouvement m’a charmé, c’est justement grâce à cette grande diversité, ce côté insaisissable, imprévisible et donc très difficilement racontable. Impossible de le faire rentrer dans une case, de le ranger dans un tiroir connu, d’où le trouble de nombre de journalistes ou de militants. Une incompréhension accentuée par des raisons géographiques : les gilets jaunes se réunissent sur des ronds-points périphériques loin des centres-villes et des habitués des mobilisations. Il faut décrocher des caricatures médiatiques, des polémiques virtuelles, sortir des préjugés et de la ville. Prendre son vélo, faire les quinze ou vingt bornes qui mènent aux ronds-points de Vizille, de Voreppe ou de Crolles et tendre l’oreille.
Ma première fois, c’est le mercredi 5 décembre à Voreppe, au « Paradise II ». Le « Paradise I », c’était la première cabane que les gilets jaunes avaient construite à côté de ce rond-point du Minotaure (rien à voir avec Jupiter et la mythologie grecque, Minotaure c’est le nom du centre de formation routière situé juste à côté). Cabane détruite par la gendarmerie un petit matin de fin novembre, mais « quatre heures plus tard, on l’avait reconstruite », me raconte Daniel, qui a vendu de la bonneterie sur les marchés de l’agglomération toute sa vie. Ancien président des commerçants non sédentaires de la région, il a arrêté il y a une douzaine d’années à cause de son « dos en miettes » : « C’est parce que j’ai porté toute ma vie. Financièrement ça va : j’ai moins de mille euros de retraite mais j’ai pu acheter mon appart’. Si je me bats, c’est surtout pour les autres ». Daniel passe la majeure partie de ses journées au rond-point de Voreppe : « Le soir, j’arrive pas à dormir parce que j’ai les klaxons dans la tête ». Faut dire que c’est impressionnant : ce jour-là, alors que Macron n’a pas encore fait ses annonces, au moins deux bagnoles sur trois klaxonnent, une sorte de mélodie ininterrompue, à laquelle répondent les saluts et coucous des dizaines de gilets jaunes présents sur le rond-point. Les klaxons, perso, ça me casse la tête, mais dans ce cadre ils résonnent comme une marque de solidarité, une façon pour les automobilistes de dire : « J’ai pas le temps de m’arrêter, mais on est ensemble . »
Il y a des gestes de soutien plus concrets : tous les cinq minutes maximum une bagnole s’arrête pour filer des trucs, des viennoiseries, des litchis, du café, des palettes, des bastaings de la SNCF, des bouteilles, et même de l’argent. « Il y en a qui apportent le journal tous les matins, un mec se pointe tous les soirs avec une ou deux pizzas : c’est quand même pas rien, les pizzas c’est dix balles, me raconte un électricien actuellement en arrêt-maladie. On a des dons de magasins, des invendus, des maraîchers qui amènent des caisses de légumes, la boucherie halal de Voreppe qui nous file de la viande, des chasseurs qui donnent du gibier… » Lui est un des piliers, qui organise la vie quotidienne du « Paradise II », même si c’est pas toujours facile : « Si je range pas, personne le fait, si je fais pas à bouffer, personne le fait. Il y en a qui sont là tous les jours mais qui s’investissent pas. On fait du social ici. J’avais jamais lutté, je savais pas que c’était aussi fatigant. Je suis électricien moi, pas nounou. » À côté de la cabane, on observe un tournebroche bricolé avec un fer à béton et deux jantes de roues de bagnole qui a servi à cuire un méchoui.
« Dans un monde glacé de solitude »
À la nuit tombée, les gens sortent du boulot et une soixantaine de personnes se retrouve autour du « Paradise II ». La journée, il y a plutôt entre dix et trente personnes, la plupart retraitées. Jacky fait aussi partie des piliers, toujours là et accueillant avec les nouveaux comme nous : il se balade avec son gilet sur lequel est inscrit « Macron casse-toi, tu pues le pognon » et une grosse carotte dans la poche pour entamer la discussion avec les automobilistes arrêtés sur la façon dont « Macron nous encule ». De façon générale, la pénétration anale est beaucoup évoquée au « Paradise II », avec une poésie toute relative.
Jacky a fait carrière dans le « transfert industriel », la « délocalisation côté technique. Tu gères le démontage d’une entreprise pour la remonter en Roumanie ou en Pologne ». Un beau boulot ? « Bof… C’est la mondialisation qui a voulu ça. On est allé dans des usines où les mecs voulaient pas qu’on vienne. Mais tu sais, toute ma vie professionnelle j’ai pensé qu’à moi, à ma carrière. Depuis que je suis à la retraite, j’ai envie de penser aux autres : avec les gilets jaunes, on lâchera rien. »
Mathilde non plus ne veut rien lâcher. Assistante à domicile dans la campagne voironnaise, elle vient au rond-point quand elle a un temps mort entre deux rendez-vous : « Je m’arrête pour discuter, tout le monde devrait faire ça dès qu’il a un peu de temps. Ces derniers mois, j’étais complètement déprimée, je cours tout le temps, je gagne à peine mille euros par mois et me sentais toute seule à ne plus en pouvoir de cette vie. Ces quelques heures de discussion par semaine, ça me remet la pêche, j’en parle à tout le monde autour de moi . » Autour de la cabane, de nouveaux panneaux apparaissent tous les jours : « Je les écouterai quand ils parleront d’humanité avant de parler de millions » « Rappelle-toi, le Titanic, il a pas changé de cap lui non plus... » ; « Le politicien est roi, jusqu’à ce que le peuple s’unisse ». Il pleuvine, mais les palettes posées au sol permettent d’éviter la boue. Un mec balance hilare « Sous les palettes la plage », puis s’installe sur une chaise longue au bord de la route, en agitant son gilet jaune aux automobilistes.
Jean-Louis fait lui aussi partie des habitués du rond-point de Voreppe, jamais en manque d’un bon mot ou d’une blagounette : « L’Ena c’est l’école nationale des abrutis, moi j’ai fait mat’ sup : maternelle supérieure » ; « On discutera avec eux quand ils seront à notre salaire ou qu’on sera au leur », « à chaque fois que mon patron m’appelait pour me demander ‘‘t’es où ?’’, je lui répondais ‘‘entre le siège et le volant’’ ». Parce que Jean-Louis a été routier pendant 45 ans. Il est capable de savoir à quelle boîte appartiennent presque tous les camions qui passent le long de cette départementale. Ce monde de trimards, il le connaît parfaitement : « Le chauffeur routier de toute façon, il a un pied dans le cimetière, l’autre en prison ».
Un jeune routier trentenaire confirme : « On est fliqués en permanence, ils nous suivent même aux chiottes avec notre smartphone ». Il aimerait se reconvertir en taxi. Pas en Uber ? « Ah non, surtout pas, si on est là, c’est justement qu’on veut pas se faire ubériser. »
Morgan est un autre personnage de Voreppe, qui fait lui plutôt partie de la bande des « jeunes ». Intérimaire d’à peine plus de vingt ans, il n’avait pas trop suivi les débuts des gilets jaunes : « En allant faire mes courses, j’ai vu la cabane. Je me suis arrêté parce que ça avait l’air sympa, et je suis presque jamais reparti ». Depuis Morgan fait partie de ceux qui passent la nuit au « Paradise II », sans vraiment dormir. « Depuis que je suis ici j’ai appris plein de trucs, je vais le mettre sur mon CV pour trouver du boulot : j’ai fait de la cuisine, de la charpente, de la menuiserie à base de palettes pour construire la cabane. De l’électricité pour le groupe électrogène. Du gardiennage avec les relous qui viennent picoler à 23 h. De la médiation entre les gilets jaunes qui s’embrouillent un peu. Si je suis pas embauché avec ça... » Jamais à court de blagues pour ambiancer le brasero, Morgan a aussi rempli son répertoire : « j’ai plein de nouveaux contacts, je connais juste leur prénom, pas leur nom, alors je les appelle tous GJ ».
Des bouts de vie comme ça, j’en ai récolté des dizaines au fil de mes allers et venues à Voreppe ou Crolles. Je pourrais noircir des pages et des pages, emporté par mon enthousiasme. Parce que ces virées sur ces ronds-points périphériques m’ont à chaque fois fait l’effet d’un bol d’air pur, contrairement aux mobilisations grenobloises de décembre (celles de janvier ont été plus enthousiasmantes – voir encart).
« On se guette, traqués, à bout de souffle »
Le samedi 1er décembre, j’assiste à un défilé syndical « contre le chômage et la précarité » des plus déprimants (mais j’ai vendu pas mal de Postillon). En plein mouvement des gilets jaunes, j’ai comme le sentiment que l’inutilité de ce genre de manifestation était inscrite dans le corps même des manifestants : tout le monde vient défiler « parce qu’il faut », mais personne ne croit que ça changera quoi que ce soit.
Le samedi 8 décembre, c’est cette fois une manifestation des gilets jaunes au départ de la tour Perret à Grenoble. Suite à l’interpellation d’un porte-parole, Julien Terrier, un bon millier de gilets jaunes part en manifestation sauvage. À l’intérieur, deux mondes qui n’ont pas l’habitude de se rencontrer, des gilets jaunes de la périphérie et des habitués des manifs grenobloises. Habitués qui balancent les habituels slogans avec les cibles habituelles, que ne comprenaient pas forcément des gilets jaunes pour la plupart novices en défilés. Cette semaine-là, les médias parlaient de potentiel soulèvement contre l’État, et les potentiels insurgés se retrouvaient à se déchirer après quelques pétards balancés sur une quincaillerie d’extrême-droite du cours Berriat. Suite à des heures d’errance conclues devant la préfecture, certains gilets jaunes rejoignent la marche pour le climat organisée l’après-midi. À cette mobilisation, il y a beaucoup plus de monde, 10 000 personnes environ. Des jolies pancartes, des sourires, des fanfares : une ambiance « bon enfant » et sympathique, mais avec là aussi le sentiment que ce spectacle ne servira à rien, si ce n’est à intégrer un fumeux « plan Climat » mis en place par la Métropole. Pour espérer secouer le fameux « système » et obtenir des avancées significatives, qu’elles soient sociales ou écologiques, un esprit rationnel ne peut que constater qu’il faut faire peur et faire perdre de l’argent aux tenants de ce « système ». Les manifestations syndicales et les marches pour le climat ne font peur à personne et n’obtiendront rien sans changer de méthode.
Les gilets jaunes ne font pas seulement peur au pouvoir macroniste : ils font également flipper plein de militants, ne voulant pas fricoter avec des gens potentiellement « craignos ». Alors certains passent des heures à éplucher des machins sur Facebook pour voir si Bidule a liké un message de Marine Le Pen ou si Machine a retweeté une vidéo de tel conspirationniste. Je ne suis pas sûr que le traquage des antécédents numériques soit la meilleure stratégie pour lutter contre la « bête immonde » , surtout quand on a la possibilité de discuter avec ces gens-là – et pourquoi pas de faire évoluer leur avis.
Les ronds-points ça permet de « mouliner le cerveau »
Pendant une virée à Crolles, un gars me fait une diatribe sur les « francs-maçons, les pédo-criminels et tous ces réseaux cachés qui nous gouvernent. Franchement Le Postillon vous devriez sortir des trucs sur les franc-maçons grenoblois ». S’en suit une longue discussion. Je lui dis que de toute façon, qu’ils existent ou pas, on ne peut pas agir sur ces prétendus « réseaux cachés ». On a par contre potentiellement du pouvoir sur tout ce qui se passe en plein jour et sous nos yeux : l’accaparement des richesses par quelques-uns, la robotisation, l’ubérisation et la perte du sens du travail, le creusement des inégalités, etc. Là-dessus on a des chiffres, des récits sourcés, des preuves : autant se concentrer sur ces faits-là. Au bout de la discussion, j’ai l’impression que la prochaine fois, il ne s’emballera pas aussi facilement sur les réseaux pédo-criminels, mais peut-être que je suis naïf. D’autres en tout cas pensent comme moi, comme cette dame de Crolles dont j’ai perdu le prénom : « Ici, on n’arrête pas de discuter. Les ronds-points ça permet de mouliner le cerveau à des gens d’extrême-droite ». Jacques la rejoint : « C’est sûr, c’est un mouvement très divers, on trouve de tout. Il y a quelques personnes d’extrême-droite, sans les gilets jaunes je ne les aurais jamais fréquentées. Là au moins je peux discuter avec eux. Notre grande force de toute façon, c’est notre diversité ».
Au début, je suis allé uniquement au rond-point de Voreppe. C’est Marie qui m’a motivé à faire la route jusqu’à Crolles : je l’avais rencontrée à l’occasion d’un reportage sur son terrain de gens du voyage à Villard-Bonnot, où les habitants subissent la proximité d’une usine de compostage industriel (voir Le Postillon n°42 et 43). Dès le début des gilets jaunes, elle m’a laissé des messages sur le répondeur du Postillon en m’invitant à faire un reportage dans le Grésivaudan. On a déboulé pour la première fois le samedi 15 décembre, tout surpris de trouver environ cent cinquante personnes bien motivées après s’être fait virer du péage le matin par la gendarmerie. Marie était là avec son mari et leur inscription « Gitans solidaires de France » sur leur gilet jaune. Autour du brasero, de quoi manger, du Johnny Halliday craché par l’enceinte et une bonne ambiance : « Ici c’est une grande famille, m’a expliqué cette dame dont je ne me souviens plus le prénom. On fait pas que lutter, on s’entraide aussi. L’un d’entre nous a retrouvé du boulot grâce à un autre. On file tous les restes de bouffe à un père célibataire qui galère ». Le samedi 7 janvier, une initiation au parapente était prévue – annulée pour cause de vent – pour une douzaine de gilets jaunes, organisée par un parapentiste GJ, qui fait des vidéos avec sa voile sur laquelle il a inscrit Ric (référendum d’initiative citoyenne) en gros.
À Voreppe, Jacky analysait, avant que le « Paradise II » se fasse détruire (une nouvelle cabane a été construite dans un champ à côté avant d’être aussi démontée) : « C’est sûr que quand tout ça va s’arrêter, certains risquent de se retrouver bien esseulés ». À Voreppe aussi, j’avais entendu une femme, la quarantaine, s’esclaffer : « Au moins ici on se marre, ça aura au moins servi à ça. Qu’est ce que ça fait du bien de rigoler avec des gens qu’on connaît pas ! » Ou un autre : « Moi je dis merci à Macron. Il nous a permis de nous réunir ».
« Savoir, si quelque part il y a l’espoir »
Ces petits riens et ces grands gestes, ces ambiances débridées, ces discussions improbables me font l’effet d’une grande bouffée d’air. J’ai un peu l’impression de sortir de la routine de ces dernières années où les réformes libérales entraînaient des manifestations attendues et perdantes, où les attentats occasionnaient des renforcements sécuritaires, du repli sur soi, des montées des peurs. Où chacun se refermait de plus en plus dans sa bulle, sa solitude, son réseau social, ses certitudes, et surtout le sentiment de ne pouvoir être acteur de rien. Les gilets jaunes pour moi, c’est avant tout un remède contre le fatalisme.
Divers sondages et manipulations médiatiques prouveraient que les gilets jaunes profitent avant tout à « l’extrême droite ». De ce que j’ai entendu, les thèmes classiques de l’extrême-droite (immigration, insécurité) sont très peu présents sur les ronds-points de Crolles ou de Voreppe. J’ai rencontré des électeurs de Mélenchon, Jean Lassale, Macron (!) ou Le Pen, dont un étonnant qui a « voté Marine au premier tour par contestation, mais blanc au second parce que je voulais pas qu’elle arrive au pouvoir ». Sans avoir fait de statistiques, j’ai l’impression que la plupart des personnes avec qui j’ai échangé appartenaient plutôt aux abstentionnistes, le véritable premier parti de France. À Crolles ou Voreppe, j’ai surtout entendu l’envie de ne rentrer dans aucune case, et de ne pas être représenté par des prétendus leaders. Plusieurs personnes ne se sentent pas représentées par les porte-paroles, souvent autodésignés. Jean-Louis balance : « L’autre jour, il y avait une journaliste de France Bleu Isère, je lui ai dit “écoute-moi, ma petite, je sais très bien ce que tu veux me faire dire mais tu ne vas pas réussir. Tu veux savoir si je suis de gauche ou de droite mais on s’en fout”. » Noria, une gilet jaune crolloise qui m’a filmé sur son Facebook Live dit avoir surtout « peur de la récupération politique et syndicale. Les gilets jaunes soi-disant porte-paroles ça me scandalise. J’ai toujours rêvé que le peuple se soulève, je suis heureuse de vivre ce moment ».
Sur les ronds-points, on ne parle pas que des inégalités ou du mépris des dirigeants. D’autres questions essentielles sont « moulinées », et notamment celles du déferlement technologique qu’on évoque beaucoup au Postillon. Je me souviens de cette discussion avec une préparatrice en pharmacie : « Si à cinquante ans, on m’avait dit que je viendrais manifester… J’ai des enfants, mais j’ai même plus envie d’être grand-mère. Je veux bien payer des impôts, mais encore faut-il qu’il y ait des services publics… Ils veulent qu’on fasse tout par internet maintenant. Regarde à Carrefour, il n’y a plus de caissière, c’est pas pour ça qu’on paye moins cher... »
Ou de ce long moment passé avec John, un jeune contrôleur de gestion, « assez modéré, pas communiste, mais là c’est allé trop loin. Les gilets jaunes m’ont redonné la fierté d’être français : ici il y a tout le spectre politique, toutes les classes sociales, les gens se réunissent plus qu’ils ne se divisent... » La discussion glisse sur la classe moyenne, et puis les moyens de communication modernes : « Ce mouvement a démarré sur les réseaux sociaux, mais maintenant c’est plus là que ça se joue, c’est dans la vraie vie. J’ai quitté les réseaux sociaux parce que pour moi c’est juste de la tension, du racolage et du marketing ».
Le 29 décembre à Voreppe, deux cents gilets jaunes tentent en vain de rejoindre le péage. Après avoir essayé à gauche, à droite, toujours bloqués par la gendarmerie, on prend finalement un petit chemin dans les bois – curieuse randonnée – pour parvenir à rentrer sur l’autoroute. Les gendarmes nous lacrymogénisent, et l’errance sur la départementale recommence. C’est là que j’entends un vieil homme haranguer des jeunes : « Si on ne se bouge pas maintenant, dans vingt ans on aura tous une puce dans le bras, et on ne pourra plus rien faire. Alors faut rien lâcher ! »
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La vengeance des non-lieux
La France des gilets jaunes est décrite comme celle des rond-points, ces non-lieux ayant poussé comme des champignons en France ces dernières décennies. On peut y voir aussi le besoin de s’y retrouver, dans tous ces endroits dévastés par l’urbanisation et les grands axes de circulation, sans autres lieux de sociabilité que le supermarché ou l’aire d’autoroute. Qu’y avait-il avant ce rond-point du Minotaure de Voreppe, lieu de rassemblement des gilets jaunes ? Dans cette plaine, il y eut un événement historique d’importance : les forces françaises résistent à l’avant-garde de l’armée allemande en juin 1940, le « verrou des Alpes » qui a su épargner à Grenoble les premières années de l’occupation. Sinon, cette plaine était un endroit paisible, voire magnifique et propice à la contemplation. En 1967, un certain Léon Moret publie un ouvrage intitulé Une conspiration contre nos paysages, mélange de croquis et de courts textes. Il dessine notamment les « premières victimes de l’autoroute à Voreppe », des fermes, des vergers, des champs de maïs, des boqueteaux, des petits ponts, des vieilles granges, toutes sacrifiées pour les besoins de l’extension de la France moche. « Dans quelques décennies, nos descendants n’auront plus comme horizon à contempler que la géométrie attristante des usines et des bâtiments modernes, véritables carcasses où triomphent le béton et la ferraille. Je sais que beaucoup de mes contemporains accueillent avec enthousiasme cette perspective, persuadés qu’ils sont que la progression ininterrompue de la technique est un grand germe de bonheur pour l’humanité. (…) Nos villes en s’accroissant, parfois avec incohérence, détruisent des banlieues charmantes, oblitèrent des espaces verts et s’étendent comme un véritable chancre de béton. » J’ai repensé à ces lignes en observant les gilets jaunes de Voreppe bâtir des cabanes de palettes bringuebalantes mais charmantes.
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Des manifestations qui sortent de l’ordinaire
Les manifestations grenobloises des gilets jaunes tranchent singulièrement avec les défilés syndicaux. Illustration avec un récit d’une partie de celle du 5 janvier.
Sur le réseau de Mark Zuckerberg, les gens sont appelés à voter toute la semaine pour décider quelles actions seront menées le week-end. Pour contenter tout le monde, ce sont finalement les trois propositions ayant recueilli le plus de voix qui seront à l’ordre du jour. Au programme : manifestation à Grenoble, action sur les médias et aide aux « plus démunis ». Trois cent personnes (1) partent à 9 h 30 de la tour Perret direction l’antenne locale de France 3 à La Tronche. Une fois devant, Damien demande candidement au mégaphone : « On veut juste comprendre, nous on n’est pas journalistes mais ils ne vous apprennent pas à compter dans les écoles ? Comment ça se fait que certains de vos collègues donnent des chiffres proches des nôtres alors qu’à France 3 ils sont toujours en-dessous ? » Autre interrogation : « Pourquoi vous ne parlez pas des bavures policières ? Samedi dernier une retraitée a fini dans le coma (2), avec un trauma crânien, parce qu’elle est tombée suite à une charge de CRS et pas suite à un mouvement de foule comme vous l’avez présenté ! » Le rédac’ chef de France 3, descendu pour l’occasion, répond : « Nous avons fait un reportage le 22 décembre où l’on a dit que vous aviez reçu du gaz. Il y a même l’interview d’un ambulancier gilet jaune qui disait avoir pris en charge deux blessés graves ». Même s’il y a eu des bons reportages dans les grands médias locaux sur les gilets jaunes (même Le Daubé y est parvenu, par exemple le 18/12/18 ou le 18/01/19), ils constituent l’exception plutôt que la norme. La plupart du temps, les journalistes des grands médias préfèrent piocher dans leur carnet d’adresse, soit par manque de temps, soit par habitude. Il en résulte un traitement de l’information qui peine souvent à se distinguer de celui de la Préfecture et de la police qui fournissent par ailleurs une quantité non négligeable de sujets.
Dans le même temps, certains gilets jaunes taillent le bout de gras avec les flics. Le gradé de la bande demande : « Vous avez voté qui en 2017 ? » Un gilet jaune lui répond : « Moi j’ai voté blanc ». « C’est bien ! » commente le policier avant de confier « Vous savez depuis l’époque des rois je ne pense pas qu’on ait beaucoup évolué... »
Bloquée par les flics au moment de retourner en ville, la manif’ se poursuit finalement en direction de l’hôpital Michallon. On marque une pause sur le carrefour avant le pont de l’île Verte. Quelques prises de parole se succèdent au mégaphone : « Nous, gilets jaunes, sommes solidaires du personnel hospitalier ! On se bat pour des conditions de travail dignes, pour un meilleur pouvoir d’achat ! On ne veut pas que notre système de santé soit privatisé comme aux États-Unis ! » Le cortège se dirige maintenant en direction du centre-ville. Au cours des déambulations, plusieurs gilets jaunes s’arrêtent pour discuter avec les personnes à la rue. Ils leur donnent un peu d’argent, se souhaitent la bonne année et se donnent du courage mutuellement. Ils décident ensuite de bloquer quelques grosses enseignes qui bordent la place Victor Hugo. Sephora baisse le rideau sous les huées et aux cris de « Arnault, Arnault, paye tes impôts ! » ou encore « 80 milliards d’euros par an ! » Sephora appartient au groupe LVMH, lui même propriété de Bernard Arnault, première fortune française et quatrième mondiale, fortune qui a doublé en 2017 (elle est passée de 35 à 70 milliards d’euros environ). Le scandale des Paradise Papers a révélé que Bernard était un fervent adepte des techniques dites « d’optimisation fiscale », légales selon lui mais qui ne l’ont pas empêché de retirer toutes les publicités du groupe LVMH dans le quotidien ayant mis en cause l’homme d’affaire. Après Sephora, les enseignes de Zara, Burger King, McDonalds, Fnac ou encore les Galeries Lafayette connaîtront le même sort.
Ce qui tranche avec les manifs habituelles c’est la place donnée à l’improvisation et à l’intelligence collective. Plutôt que de défiler sagement selon un parcours préalablement déclaré, les gilets jaunes tentent d’agréger les envies de chacun et permettent des actions spontanées.
(1) Le cortège grossira un peu par la suite. Le samedi 12 janvier, il y avait au moins 1 500 personnes dans les rues de Grenoble. Le samedi 19 janvier, environ 2 500.
(2) Cette personne n’a pas fini dans le coma mais a eu effectivement un « traumatisme crânien avec fracture fermée du crâne » après être tombée suite à une violente charge de la police. Après une hospitalisation de quatre jours, elle souffre toujours de vertiges et a porté plainte contre la police. Hormis Place Gre’net, la presse locale n’en a pas parlé, Le Daubé reprenant par exemple uniquement la version policière.
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« On ne vote plus parce qu’on est désabusé »
Témoignage de Samuel, un fonctionnaire gilet jaune.
Je suis fonctionnaire, père célibataire avec un enfant, je paie plein pot les impôts, à la fin du mois il me reste 500 euros pour la bouffe et les loisirs. J’ai 1 450 euros de charges fixes et pourtant je touche 1 950 euros net en exerçant un métier avec beaucoup de contraintes (travail de nuit...). Ce que j’appelle les charges, c’est l’électricité, le loyer, l’eau, le bois, la mutuelle, le téléphone, internet, l’assurance voiture, le crédit voiture (pour une Clio), les impôts, la taxe foncière, la taxe d’habitation, et la pension. Et encore je fais mes comptes correctement, je me dis que quelqu’un qui n’a pas l’instruction pour faire ses comptes, il se met dans le rouge. Et moi je gagne bien ma vie quand même.
Tu travailles et les seuls loisirs que tu peux te payer c’est d’aller te balader en montagne parce que c’est gratuit, je parle pas des stations de ski qui sont hors de prix où je ne vais pas.
Parmi les gilets jaunes, je rencontre des personnes qui ont des difficultés à vivre alors qu’elles travaillent, elles sont pleines de bonne volonté, ce ne sont pas les gens qu’on stigmatise à la télé. Je rencontre des gens qui sont chefs d’entreprises, profs, des fonctionnaires, des artisans, des retraités qui ont travaillé toute leur vie. Ça me fait vachement plaisir. Des gens qui n’étaient pas forcément politisés mais qui se politisent petit à petit.
Je ne crois pas au grand débat national, je crois plus à certains maires de petites communes. J’aimerais bien qu’on revienne à un pouvoir plus local. Chaque région, département et commune a sa spécificité.
Ce que j’aimerais c’est que le vote blanc soit pris en compte. Faut se poser la question : pourquoi y a 60% des gens qui ne votent pas ? On ne vote plus parce qu’on est désabusé.
Le CICE, c’est un exemple précis, c’est un crédit d’impôt qui à la base devait permettre aux grandes sociétés de créer des emplois, elles n’ont pas créé d’emplois. C’est comme la restauration quand ils ont baissé la TVA, les patrons n’ont pas créé d’emploi.
Prendre en charge les immigrés c’est une goutte d’eau pour l’État par rapport à l’évasion fiscale. Le marché est mondialisé, il faut aussi mondialiser le problème humanitaire. Pourquoi on refourgue nos veilles voitures aux pays africains ? On va aller polluer ailleurs ? Il faut qu’on participe au développement de ces pays.
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Et dans les quartiers ?
Les gilets jaunes rassemblent pour l’instant plutôt des habitants des périphéries des métropoles. Mais dans les quartiers, qu’en pensent-ils ? Notre spécialiste en micro-trottoir est allée un peu traîner début janvier dans Grenoble-Sud, sur les parvis de la Caf, de la CPAM ou de Pôle emploi. Elle en revient avec un panel d’avis éclairants, sans être représentatifs de quoi que ce soit.
Accompagnée de ses deux petites filles, Viviane soutient le mouvement mais aimerait bien que les manifestations s’arrêtent « au moins pendant les fêtes, pour que les enfants puissent profiter de Noël ». Un autre retraité, Philippe, est lui vraiment remonté : « Je les soutiens pas du tout ces gilets jaunes ! Je crois pas que ce soit une manière de revendiquer les choses, en plus ils en demandent beaucoup trop, c’est impossible ! » Pas le temps de lui demander d’approfondir, il s’en va en marmonnant. David soutient toujours Macron pour qui il a voté : « Ce qu’il a donné, c’est déjà bien. Les gens qui manifestent profitent de la France, c’est eux qui gagnent de l’argent facile ».
Si certains sont sceptiques sur ce mouvement, la grande majorité des personnes interrogées exprime son soutien. Moustapha et sa femme (ils ont deux enfants) sont tous les deux au Smic : « Vous comprenez c’est difficile d’arriver à la fin du mois, c’est presque impossible. Du coup on fait que travailler, on peut pas profiter de nos filles ou de nos amis, alors on a encore moins le temps d’aller manifester. » Un monsieur âgé qui traîne à côté, vient se joindre à la conversation : « Moi je soutiens, mille fois ! Parce que c’est ça la jeunesse, nous aussi on a été dans les rues dans le temps, on n’est pas contents alors c’est normal que chacun réclame ses droits ».
Certains s’attardent longtemps auprès de moi pour vider leur sac. Nordine a voté Macron : « Ce mec il a bafoué tous nos droits j’ai perdu plus de 850 euros à cause de lui. J’ai quatre enfants à la maison et je vis avec 650 euros par mois » m’explique-t-il. Un peu gêné, il me dit qu’après un accident il a dû recourir à l’Allocation de solidarité spécifique : « Macron a menti sur toute la ligne. Il a dit qu’il voulait aider les gens mais il diminue toutes les allocs, moi je vous dis ça au nom de toute ma famille. » Et les manifs alors ? « J’en ai fait deux ou trois, mais j’ai laissé tomber, je me suis pris des gaz lacrymo. Il n’y avait même pas de casse, parce que ça j’aime pas non plus. Mais si on nous tape, il faut se défendre, tout le monde fait ça non ? Si vous aviez vu, ma fille a une amie qui s’est pris un flash ball en plein dans le nez ! » Hassan fume une clope pas loin, lui aussi a voté pour Macron et se sent « trahi ». Pour lui ce n’est même pas une question de vouloir des vacances ou passer du bon temps : « On n’arrive plus à vivre et c’est pas logique parce que les politiciens eux gagnent au moins 7 000 euros par mois, nous on veut juste bien manger. Même si on fait des formations, on a pas d’avenir ».
D’autres auraient envie d’aller sur les ronds-points ou aux divers rassemblements, mais leur « temps ne colle pas avec les manifs ». C’est ce que regrette Pierre, qui est boulanger : « Je travaille très tôt tous les jours, alors en général je dors pendant la journée ou alors je viens faire des papiers comme vous pouvez le voir ». Sam se trouve dans le même cas, il pourrait faire un roman de toutes les raisons pour lesquelles il soutient les gilets jaunes. Il propose même des solutions : « Si on prenait les salaires des ministres, peut-être que ça aiderait à combler le trou de la Sécu. Mais bon on n’a pas tous les couilles du boxeur ». Si Sam ne va que rarement en manif c’est parce qu’il est à la recherche d’un emploi : « Il faut poser des bombes » me suggère-t-il en partant. Pour Youssef, fervent défenseur de la cause, la famille passe néanmoins avant tout. Le samedi est son seul jour de congé, « alors j’en profite pour aller voir ma petite fille, je passe toute la journée avec elle ».
Faridha est de « tout cœur » avec les gilets jaunes parce qu’au niveau des institutions sociales « c’est le bazar, nous on manque d’argent on a besoin des aides ». Elle ne va pas en manif pour des raisons de santé : « Vous comprenez, l’asthme et les lacrymogènes c’est pas compatible ». Kader a des problèmes de dos, mais « sur ma fenêtre il y a deux gilets jaunes, comme ça je suis quand même avec le mouvement ». Pour lui Macron ferait mieux d’écouter : « Les paysans ne disent pas de bêtises, ce sont des gens durs, ils ne râlent pas pour rien et s’ils se suicident et qu’ils sont énervés, c’est pour de bonnes raisons ». À ses yeux ce n’est pas du tout un mouvement raciste : « On veut les rendre méchants pour qu’ils aient moins de soutiens ». Mais où sont les racistes ? Keny rigole quand je lui demande s’il va en manif : « Vous avez vu ma couleur de peau ? Déjà la police s’acharne sur les Noirs sans raison... Dans les manifs ça serait pire alors je regarde de loin . »
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