La ville nous écrit (par recommandé)
« Objet : Affichage sauvage à Grenoble
Madame, monsieur,
Courant Mars, les services municipaux de la ville de Grenoble ont constaté que vous utilisiez les mobiliers urbains de la ville de Grenoble pour l’affichage relatif à la vente de votre journal. Nous vous rappelons que la municipalité et les services municipaux sont comptables de la qualité, de l’entretien et de la propreté de la ville et que nous sommes très régulièrement interpellés par des plaintes relatives à l’affichage sauvage. Ainsi, nous vous informons que selon les réglementations en vigueur : (...) [NDR : en résumé, l’affichage sauvage est interdit]. Le non-respect des réglementations est passible de 7500 euros d’amende par affiche et les coûts de nettoyage, actuellement supportés par la ville peuvent être facturés aux personnes dégradant l’espace public. Aussi en cas de récidive et sans autre avertissement, nous mettrons en œuvre les procédures de sanction autorisées par la loi en matière d’affichage sauvage et nous établirons une facture à votre encontre correspondant aux frais de nettoyage.
Cordialement,
Pascal Garcia (conseiller municipal délégué gestion urbaine de proximité, secteur 1)
Alain Pilaud (adjoint au maire, animation, travaux, droit de voirie, etc, etc) ».
Et Le Postillon lui répond (également par recommandé)
Monsieur, monsieur,
Votre lettre nous désole, non pour les menaces qu’elle profère, mais pour la platitude des raisons invoquées. Vous vous limitez à évoquer les réglementations, alors que la seule considération qui vaille, en matière d’affichage, est bien celle de l’esthétisme (ce qui n’a bien entendu rien à voir avec la propreté). Les affiches du Postillon rendent-elles la ville plus ou moins belle ? Voilà la seule question qui nous intéresse (à l’exception – bien entendu – de l’augmentation effective des ventes du journal due à ces affiches).
Sachez par exemple que nous trouvons particulièrement hideux plusieurs types d’affichages que votre réglementation autorise : autant les dispositifs permanents comme les panneaux publicitaires quatre par trois mètres ou les sucettes JC Decaux qui parsèment la ville ; que les dispositifs occasionnels, comme les trams, bulles de la Bastille ou bâtiments historiques régulièrement transformés en supports publicitaires pour le FCG, des banques, David Guetta ou vos campagnes de propagande Grenoble Factory. Pour tout esprit un minimum épris de beauté, celle laideur publicitaire est bien plus grave qu’une infraction à la réglementation.
L’esthétisme de nos affiches est bien évidemment critiquable, et nous sommes les premiers à nous en plaindre régulièrement auprès de notre graphiste. Nous reconnaissons que les « chevaliers de la colle » placardent nos affiches un peu à la hussarde et que certains coins d’affiches se décollent parfois [1]. Mais avant d’en discuter avec vous, nous exigeons que vous fassiez démanteler tous les supports publicitaires présents dans cette ville [2]. Comment pourriez-vous prétendre vous soucier de la beauté de la ville tant que ces verrues seront encore là ? Mais il est vrai que si la beauté faisait partie de vos préoccupations, il y aurait également beaucoup de projets d’urbanisme à revoir.
Par ailleurs, nous sommes persuadés qu’en tant que socialistes, vous vous souciez d’égalité. Or, dans ce monde libéral, où comme le chantait les Neg’marrons « C’est la monnaie qui dirige le monde/ C’est la monnaie qui dirige la terre / Et qu’on le veuille ou non /C’est comme ça, on ne peut rien y faire », la communication est une grande source d’inégalité. Par exemple, comment une petite association comme la nôtre, qui n’a jamais demandé la moindre subvention, peut-elle lutter contre l’empire du Daubé, qui en 2012 a reçu 3 927 893 euros d’argent public (dans le cadre des aides à la presse) et que vous subventionnez grassement via les nombreux encarts publicitaires que vous lui achetez ? Le Daubé, comme le Palais des sports (que vous subventionnez à hauteur de 1 150 000 euros en 2013), comme l’association du GF38 (que vous rincez à hauteur de 886 572 euros cette année) ont les moyens de communiquer, selon les réglementations, dans les sucettes Decaux. Les petites structures ne peuvent pas lutter : Le Postillon comme La Fabrique Opéra (qui fait découvrir l’art lyrique à des jeunes et pour qui vous ne voulez pas débourser plus de 1000 euros) ou l’association Survie (qui informe et lutte contre la Francafrique, et que vous « aidez » à hauteur de 452 euros en « prestations nature »). Ces deux structures, pour ne prendre que ces exemples, ont également dû subir vos menaces pour « affichage sauvage ». Seriez-vous définitivement complice des riches et des puissants ?
Militer pour l’affichage pour tous, c’est permettre l’affichage sauvage aux petites structures qui n’ont pas les moyens. C’est quand même beaucoup moins cher – et en plus ça favorise l’emploi et la croissance – d’embaucher des chercheurs d’emploi pour enlever les affiches sauvages plutôt que de subventionner JC Decaux.
Enfin, si vous nous imposez des dizaines de milliers d’euros d’amende [7500 euros par affiche], votre démarche serait-elle de vouloir nous faire taire ? Si nos écrits vous déplaisent, ce serait quand même beaucoup plus classieux de nous répondre sur le fond (encore faudrait-il savoir écrire autre chose que des lettres-types).
Ceci dit, nous ne vous demandons rien. Nous attendons, comme beaucoup de nos concitoyens, une seule chose : que vous nous laissiez tranquilles.
Cordialement,
Le chevalier Bayard, adjoint à l’ésthétisme, à la charte graphique, à la réclame, et au bon goût au sein du journal Le Postillon.
Les chevaliers blancs Pascal Garcia et Alain Pilaud en train d’étudier la qualité des eaux de l’Isère (après avoir séché le conseil municipal). Ils se rendent compte qu’elle est bien plus sale que les murs de la ville, c’est un mauvais signe. Vont-ils sévir et envoyer des recommandés aux usinent qui la souillent ?
Notes
[1] Précisons d’ailleurs que ce ne sont pas des membres de l’association Le Postillon qui collent nos affiches, mais ceux de l’AMAPP (armée modeste et active de la promotion du Postillon). Si vous voulez les contacter, vous pouvez écrire à :
L’AMAPP, c/o permanence parlementaire de Geneviève Fioraso, 7 rue Voltaire, 38000 Grenoble.
[2] Pour un argumentaire plus complet, veuillez vous référer à l’article Plaidoyer pour l’affichage sauvage, paru dans Le Postillon n°5, avril 2010.