Il y a des plaisirs en voie de disparition. Passer un mercredi matin au siège de l’Union sportive valmontoise – le club de football de la Motte-d’Aveillans récemment centenaire mais qui disparaîtra cette année – est indéniablement l’un d’eux. Situé sur la place principale, à côté de la mairie et de la salle socioculturelle, il devient, lorsqu’il est occupé, le cœur battant du village. Pas étonnant donc que la matinée s’étire, au rythme des petits blancs, des momies et des rosés. Ce siège, devenu bar, est tenu par trois gaillards aux cheveux blancs et aux traits creusés par le temps. Jo’, Chouchou et André ont emmagasiné un tas d’anecdotes, qu’ils servent généreusement et chaleureusement. Cette équipe s’est retrouvée unie pour une mission : sauver le club local. Malgré leur dévouement, la tâche était trop ardue. Ils ont toutefois organisé une exposition photo sur l’histoire de ce club, décidément pas comme les autres. Une belle porte d’entrée pour faire un voyage dans le temps.
Coup d’envoi avec des mains de fer
Pour qu’une organisation exerce un pouvoir d’attraction aussi durable, il faut des éléments marquants, des personnages, des mythes et des héros. Difficile de faire mieux que le fondateur de la Société sportive de football association (dans le jargon de l’époque) de La Motte, Monsieur Augustin Baron. Né à Putteville (un des hameaux de la commune de Pierre-Châtel) en 1892, il est appelé sur le front pour la Première Guerre mondiale, où un accident d’explosif lui arrache les deux bras et un œil. Il sera dès lors équipé de « deux pinces métalliques recouvertes de liège dans la paume (qui fonctionnent avec des câbles de freins de vélo) en guise de mains fixées sur des prothèses » (Le Daubé, 11/11/2008) ainsi que d’un caractère hors-norme et d’une idée devenue obsession : créer un club de football à La Motte-d’Aveillans. Dans l’Hexagone, le ballon rond s’est beaucoup diffusé au sein des campagnes grâce aux poilus initiés sur le front par les soldats britanniques lors des temps de repos. En 1920, Augustin Baron crée son club, qu’il présidera durant 38 années.
La première difficulté inhérente à la pratique de ce sport en région montagneuse est celle de trouver un terrain plat, ou du moins pas trop en pente. Seule solution : les rasiers des mines de charbon, l’activité économique hégémonique de l’époque. En Matheysine, les terrils, soit l’accumulation des résidus miniers lors de l’extraction du charbon, permettent curieusement de créer des replats, appelés « rasiers »…
Dirigeants et joueurs participent aux travaux d’aménagement du replat situé au niveau 14. Le stade du 14 est né, l’histoire du football en Matheysine est lancée.
L’époque est alors toute différente. La Motte ressemble plus à un bourg industriel avec ses 3 200 habitants (deux fois plus qu’aujourd’hui), ses nombreux commerces et cafés, et les traces de l’exploitation de charbon, visibles partout. La double-activité était encore très courante, la principale étant celle de paysan-mineur. Cette vie économique et sociale riche et dense permet rapidement au club de football de prospérer. Les jeunes hommes du coin affluent et apprécient la possibilité de prolonger les liens de camaraderie entretenus au fond de la mine ou au bistrot. Les premiers immigrants italiens intègrent également l’équipe. Ils seront suivis quelques années ou décennies plus tard par les Espagnols, Polonais, Marocains ou Turcs venus travailler sous terre. De nombreux autres clubs se forment alors. On en trouve les traces au sein des archives de l’Isère ou auprès de quelques terrains devenus fossiles. On peut notamment citer le Sporting Club vaulxois créé en 1922 à Notre-Dame-de-Vaulx par sept ouvriers mineurs et un cultivateur, l’Union sportive de Pierre-Châtel (société omnisport regroupant « l’athlétisme, le rugby et l’association (1) ») fondée par un hôtelier, un employé de commerce ainsi qu’un employé et un ouvrier des mines. Il y eu aussi l’Union sportive valbonnais créée en 1920, ou encore l’Amicale sportive de Monteynard créée en 1922 sans que l’on connaisse les professions des membres du bureau.
Côté ballon, la réputation de La Motte commence à se répandre dans le Dauphiné. Les maillots sont en coton épais avec des cols de tennisman et les shorts ont des ceintures. Le ballon est constitué de pièces de cuir, pèse trop lourd et est tenu par un lacet qui décourage l’envie de taper dedans avec le pied. Les crampons apparaîtront quelques années plus tard. Alors on joue en chaussures de ville et on se casse la gueule sous la pluie. Les dimanches de match les Mottois viennent en nombre soutenir les verts et rouges, par centaines voire par milliers, de mémoire de locaux. Ils assistent alors à un jeu régulièrement qualifié de « viril », les mineurs sachant « aller au charbon » comme personne. Chemin faisant, l’équipe rejoint le championnat interdistrict dès la fin des années vingt, avant de gagner le premier trophée de l’histoire du club, en 1934, en terminant premiers de leur poule sans avoir connu la moindre défaite de la saison. Les premières traditions s’instituent également, comme celles de se doucher dans la berline – le wagonnet servant dans les mines à extraire les matériaux du fond des galeries – au bord du stade, à l’eau glacée ou d’y faire tremper les deux-trois adversaires au comportement crasse, jugés bons pour une douche forcée. C’est aussi une période où la voiture n’existe presque pas. Pour aller faire un match à Jarrie, vingt kilomètres plus bas, les joueurs partent à 7 heures du matin par le petit train des mines pour revenir à... 19 heures. Les épopées sont mémorables.
À la sortie de la guerre, la deuxième cette fois, le paysage socio-économique change. Les mines sont nationalisées, les Houillères du Bassin du Dauphiné naissent sur les cendres de la compagnie, et le football continue son expansion. Notons la création du Football Club murois en 1938 ainsi que du Sporting Club Susvillois la même année par des commerçants, comptables, menuisiers mais aussi géomètres et contrôleurs aux mines. Cette même année, l’Étoile sportive de Pierre-Châtel fait scission de l’Union sportive pour devenir un club uniquement dédié à la pratique du football. Elle existe toujours et se nomme désormais l’« Entente sportive Pierre-Châtel ». Elle est le plus vieux club matheysin en activité. En 1946, un club naît même à Saint-Théoffrey, bourgade de 225 habitants. Dès lors, les rivalités naissent et s’entretiennent à une époque où « l’esprit de clocher » est très présent. On parle alors des derbys La Motte/La Mure dans les bistrots, qui ressemblent de plus en plus à des joutes entre deux villes concurrentes pour être la capitale socio-économique de Matheysine.
Une deuxième mi-temps entre nationalisation et orgies
Avec la nationalisation des mines vient, en 1954, l’Association sportive du Bassin minier (ASBM), sorte de comité d’entreprise très généreux des Houillères engraissant les clubs de rugby, boules, football, cyclisme, ski... à les faire risquer l’indigestion. Le paternalisme industriel bat son plein en même temps que l’âge doré du football (2), l’un allant avec l’autre. Le patronat a rapidement compris l’intérêt de ce sport pour fidéliser les ouvriers, fixer la main d’œuvre, éviter le syndicalisme et les beuveries au bistrot. Ce qui n’est heureusement pas toujours une réussite et est parfois même contre-productif. À l’aube des années cinquante, le sport tient une place centrale dans la culture ouvrière du plateau. Outre le Rugby Club matheysin qui frôle la première division, de nombreux champions en cyclisme, en boules ou en football grandissent sur ces terres glaciales. Les femmes, elles, sont encore tenues à distance de la pratique sportive.
La Matheysine est le point de chute d’anciennes vedettes fauchées. Parmi elles, Yvan Beck, footballeur professionnel yougoslave ayant planté trois pions durant la première coupe du monde de football de l’histoire et ayant atteint les demi-finales avec la sélection Plavi. Il remporte la coupe de France avec le FC Sète en 1930 et 1934, ainsi que le championnat la même année. Alors que les Allemands occupent la partie nord du pays et que la partie sud est administrée par un gouvernement à la solde des nazis, M. Beck entre en résistance et participe à la libération des prisonniers de la citadelle de Sisteron. Après ces quinze années mouvementées, il connaît la misère et l’oubli avant que l’ASBM le recrute pour entraîner La Motte de 1950 à 1955. Chouchou me confie : « Paraît qu’il foutait rien, enfin il avait un bureau aux mines, venait entraîner l’équipe mais c’est tout. » Il mourra dans le quasi anonymat à Sète, quelques années plus tard.
Durant les Trente (plus ou moins) Glorieuses, la vie sur le plateau est foisonnante. À La Mure, Susville, La Motte mais aussi tous les villages alentours, de Monteynard à Valbonnais en passant par Pierre-Châtel, la bonne santé du tissu socio-économique, soutenu par les mines de charbon se fait ressentir. L’époque est aux bals populaires organisés par les associations ou les bars, car paraît-il dans le coin « tout était prétexte à danser, à s’amuser, à s’éclater » (3). Le 4 décembre, on fêtait à l’extérieur la Sainte-Barbe, patronne des mineurs.
Du côté du stade du 14, l’année 56-57 marque l’histoire du club, alors que les deux équipes sénior remportent leurs championnats respectifs et la coupe du Dauphiné. À l’occasion d’un match contre Pont-de-Claix, plus de mille spectateurs viennent assister au match. Chouchou m’interpelle : « Le gardien qu’on voit là, il est venu à l’expo ! J’étais à côté de lui et il me dit : “c’est moi là”. Il a plus de 90 ans aujourd’hui… » Les années soixante marquent la descente définitive de l’équipe fanion au niveau départemental. Plusieurs joueurs cadres partent, et des clubs sont encore créés. À Corps, où naît le FC Obiou Corps en 1970 après plusieurs tentatives, mais également à Mens et à La-Salle-en-Beaumont.
Pendant les prolongations, le tournant de la rigueur
Cette période fastueuse laisse peu-à-peu place à une certaine gueule de bois – et pas seulement à cause des conséquences de l’exposition aux multiples produits toxiques utilisés dans les mines sur la santé des travailleurs. Même si, d’après Jo’ et Chouchou, « l’after » fut riche à La Motte et notamment à l’US mottoise. Alors que la population de la ville baisse drastiquement, perdant plus de mille habitants entre 1962 et 1975, que l’on commence à parler de la fin des mines de charbon en France, pour cause de main-d’œuvre moins chère ailleurs, que l’équipe de foot stagne et que La Mure brille, le goût de la fête est toujours présent. Jo’, qui a tenu un PMU pendant 18 ans à La Motte et Chouchou, boulanger toute sa vie au même endroit, y sont pour quelque chose. Pendant que l’un monte et dirige le comité des fêtes du club et que l’autre devient le quatrième président de son histoire entre deux fournées de pain, les week-ends ne sont pas faits pour se reposer. Chouchou : « Ben moi je vais vous dire parce que quand j’étais président je faisais le pain en même temps, ça fait que du vendredi au dimanche soir je dormais pas… Et le dimanche soir on finissait à minuit une heure chez Jo’ qui tenait le bar à faire la java, c’était comme ça, c’était la passion. » L’occasion d’entretenir, perpétuer et étendre des liens, des mémoires et des histoires qui résistent encore à l’érosion du temps. Dans ce domaine, Jo’ semble particulièrement qualifié : « Ce qui était super important c’était qu’avant au club, bien avant, on avait un comité de l’animation [...]. On faisait des soirées, des repas, mais c’était énorme. On était obligés d’arrêter, on n’avait pas assez de place pour tout le monde… On allait à la Motte, à Vaulx, à Monteynard… Les gens se battaient pour venir. Et c’était archi plein. » Côté bénéfice ? « Le bal qu’on avait fait avec Susville, j’m’en rappelle, on avait fait quatre ou cinq millions de bénéfices. » Ah oui, précisons : « En anciens hein, en anciens francs » (rires). De quoi avoir un petit pactole pour faire des sorties : « J’ai monté le club des supporters pour aller à la coupe du monde en Italie, en 90. C’était avec les cars Eyraud… ils avaient jamais vu ça. On est partis avec treize millions, plus un million huit de boissons dans les soutes du car parce que les jours de match on n’avait pas le droit de boire ».
Au stade du 14, on continue d’envoyer quelques adversaires dans la berline et les jours de grosses pluies, où le terrain est inondé, « on y allait avec le pic de fer et on donnait des grands coups pour que l’eau rentre dans les galeries… » Problème réglé.
Mais les difficultés arrivent. Malgré les différentes actions syndicales permettant le report de la fermeture des mines jusqu’en 1997, l’activité baisse d’année en année, les embauches se font rares et les licenciements tombent. Les grandes surfaces s’implantent, les voitures pullulent, on cherche du travail dans l’agglomération grenobloise, petits commerces et bistrots ferment. À l’image de Jo’, qui ferme le bar et suit le mouvement. Sportivement, tout se bouscule également. Face à la difficulté de renouveler les effectifs, les clubs sont contraints de faire des ententes puis des fusions avec les ex-mal-aimés. André, ex-directeur des sports à la ville de Grenoble et très bon numéro 6 de l’AS Fontaine, en a connu un paquet. Il se retrouve donc missionné par les gars de La Motte pour orchestrer le sauvetage de l’US mottoise en se rapprochant des clubs voisins. Le club, après être devenu l’US les 2 Mottes et l’US mottoise-vaulxoise (fusion avec La Motte Saint Martin puis Notre-Dame-de-Vaulx) devient l’US valmontoise en fusionnant avec le club de Monteynard. Sans que cela n’apporte de nouveaux moyens ou ne stoppe l’hémorragie de joueurs.
En parallèle, le paysage associatif change également. Côté sport, ces années sont celles de la démocratisation des sports de glisse et de plein-air venus de Californie. En quelques années, ils prennent le dessus sur les sports collectifs, car ils permettent, entre autres, de créer une offre touristique en Matheysine. Plus récemment, les sports de « bien-être » se développent aussi. De quoi tirer un constat amer pour Chouchou : « Du moment où la mine a lâché, c’était cuit. Et puis bon, y a de plus en plus de sociétés [dans le sens « association »] aussi dans une commune, hein. On était la seule société, avec les boules. Aujourd’hui ben à La Motte y a combien de sociétés ? »
En Matheysine comme ailleurs, les modes d’affiliation changent au tournant du millénaire. Benoît Coquard en parle particulièrement bien dans son bouquin Ceux qui restent (4). Aujourd’hui, « les sociabilités suivent plutôt les déplacements engendrés par la scolarité, le travail et les loisirs, déplacements qui se sont allongés […] en même temps que l’emploi se raréfiait en se disséminant sur un vaste périmètre ». L’inter-connaissance villageoise diminue. L’esprit de clocher n’est plus une évidence pour les plus jeunes générations qui prennent l’habitude d’aller d’une ville à l’autre. L’importante offre sportive dissémine également les effectifs. De nombreux clubs disparaissent et avec eux une partie de la culture sportive et ouvrière du territoire. Le football n’est plus hégémonique. Tout ça ressemble à la fin d’un règne.
De nos jours : fusions, disparitions, créations et Uber Eats
Dès les années 90, les personnalités publiques du coin, sentant le vent tourner sur la scène sportive, cherchent à anticiper la chute pour adoucir l’atterrissage. Le constat est le suivant, des clubs galèrent de plus en plus tandis que d’autres disparaissent. Fabrice Marchiol, ancien homme politique fort du plateau matheysin, appuie pour la création d’un grand club de football matheysin, transcendant les localités. Mais la proposition venue « d’en haut » passe mal auprès des intéressés. Chouchou : « J’ai jamais voulu, les autres ont jamais voulu. Un peu l’esprit de clocher... Mais on a fait une grosse erreur peut-être. » André, qui a bien connu ces situations, complète : « Ce qu’il y a aussi, c’est que souvent les présidents veulent garder la présidence, leurs pouvoirs, alors que s’il y a un seul grand club ils disparaissent plus ou moins. »
La motivation du côté politique est triple. Il s’agit de créer un club d’envergure capable d’accéder au niveau régional, de donner corps aux nouveaux territoires administratifs décidés à l’Élysée (le passage à l’intercommunalité dans les années 90, renforcée dans les années 2000) ainsi que de mutualiser les moyens et les subventions pour économiser les deniers publics. Car les communes n’auront jamais été capables d’égaler les subventions du temps des Houillères. Les clubs sont mis à la diète. Si du côté de l’US valmontoise on résiste en espérant des jours meilleurs, le cap est franchi avec entrain par trois clubs disséminés sur autant de plateaux. La Mure, Corps et Mens vont fusionner en 1999 pour donner vie au FC Sud-Isère. Cette nouvelle structure parvient à suivre le virage professionnalisant orchestré par la Fédération française de football, de plus en plus exigeante sur la qualité des infrastructures et de l’encadrement. Le club attire aujourd’hui plus de 300 licenciés et est devenu le principal club du coin. Un certain Aimé Jacquet, sensible à tout ce qui touche de près ou de loin aux muscles, aux mines et au ballon, viendra d’ailleurs remettre un label au club en 2004 à l’occasion de l’inauguration de nouvelles infrastructures. Mis à part ça, L’Entente sportive Pierre-Châtel (ESPC) perdure malgré le rythme effréné de la « fédé » et la forte injonction à s’y conformer avec les moyens du bord. L’ESPC est le dernier club historique de Matheysine. En senior, l’unique équipe affronte l’équipe 2 du FC Sud-Isère dans ce qui est à cette heure le dernier derby matheysin.
Deux autres clubs se sont créés récemment, en 2016 et 2020, montrant que l’attrait pour le football subsiste. Parmi eux, l’AS Les Gueules Noires, basé à La Motte est assez dynamique. Mais d’ores et déjà, on s’aperçoit que les logiques ne sont plus les mêmes et renvoient aux travaux de Benoît Coquard cités plus haut. Club d’amis souhaitant représenter une mentalité plutôt qu’une affiliation territoriale, il semble mieux préparé à répondre aux nouvelles normes du monde associatif. Cette mentalité correspond à cette description d’« un style de vie populaire basé sur l’interconnaissance, l’autonomie, la camaraderie, l’hédonisme » (4). Dans ces contextes populaires ruraux, « l’intégration à l’équipe ne passe pas [nécessairement] par l’entraînement, mais par les normes de sociabilité populaire qui définissent des manières d’être ensemble » (5). Ce club reprend donc des éléments traditionnels de la culture sportive et ouvrière du territoire tout en s’armant de modernisme. Leur maîtrise des outils numériques leur permet d’afficher leur travail dans la sphère virtuelle et d’attirer les plus jeunes générations tentées par cette reconnaissance de leur mode de vie. Car, désormais, la construction de l’image de l’association apparaît comme un facteur décisif de sa bonne santé.
Non loin de là, à Saint-Georges-de-Commiers, le club local fait partie des heureux élus du concours « À nos couleurs » initié par la FFF et Uber Eats pour susciter le désir d’adhésion et fidéliser leurs clients licenciés à l’aide d’un charabia d’école de commerce. Les clubs se verront remettre un maillot designé pour l’occasion. Maillots ne respectant souvent même pas les couleurs historiques des clubs…
Outre le passage d’une dizaine de clubs à seulement quatre, ces deux dernières décennies ont aussi été marquées par la popularisation du football féminin. Au FC Sud-Isère, le pôle féminin accueille 67 joueuses venues de Matheysine, du Trièves et même, pour certaines, de Lus-la-Croix-Haute, à 45 kilomètres. De quoi faire dire au président, Luc Reynier, que ce club est le plus grand club du monde, avec pas moins de 54 communes ou hameaux représentés. À l’US valmontoise aussi, une équipe féminine est apparue au début des années 2010. Jouant tantôt dans le championnat d’équipes à huit tantôt dans ceux à onze, au gré des effectifs, elles se sont imposées comme l’équipe phare du club ces dernières années, les bons résultats et un jeu attrayant aidant. Le point d’orgue fut une victoire en coupe d’Isère en 2018, dernier trophée en date. André raconte comment chaque match des « filles » devenait un évènement communal : « On amenait de la vie, hein, (quand elles jouaient) fallait voir… Y avait du monde c’était sympa ! » La saison dernière, elles étaient la dernière équipe du club. Rattrapées par les exigences professionnelles et familiales pesant plus lourdement sur leurs épaules, elles n’ont pas été assez nombreuses pour faire repartir l’équipe cette année.
Sur la place Albert Rivet, au siège de l’US valmontoise, 13 heures approchent. Le temps de ce voyage, il aura fallu avaler les quatre-cinq verres de blanc offerts par les maîtres des lieux ou par des inconnus à la tournée généreuse. Nous sommes une quinzaine accoudés au comptoir, marchands, passants, habitants – hommes surtout. Deux anciennes joueuses passent dire bonjour à Jo’ et André, leurs sourires toujours solidement arborés. Sur les étagères en formica jaune, des photos affichées pêle-mêle et une ribambelle de coupes font se rejoindre les temps. Le portrait d’Augustin Baron, clope au bec et mains en fer, est visible sur le mur d’en face. L’odeur du poêle à bois tapisse la pièce. Jo’ et André continuent leur ballet, attentifs aux moindres besoins en alcool, chips, cacahuètes ou terrines. Quelques anecdotes sur le football isérois sont partagées de nouveau. Il est question de la rudesse des ex-bastions ouvriers du Grésivaudan, Allevard, Domène, des gitans du club de l’Abbaye, des Italiens ou encore des « voyous » de Fontaine. Autant d’anecdotes distillées sans nuance mais avec un brin de nostalgie, une dose de bienveillance et une franche fierté. Chouchou me confie les yeux brillants : « J’ai passé les vingt plus belles années de ma vie au foot... » Nos trois gaillards ne semblent pas franchement prêts à faire retentir le coup de sifflet final.