De l’appeau fasciste au pipeau ésotérique
La convergence des flûtes
Si les deux ont suscité le même genre de commentaires caricaturaux et d’opprobres injustifiées, les mouvements des Gilets jaunes et de l’opposition au passe sanitaire n’ont pas eu grand-chose à voir. Le premier, par sa spontanéité, son mode d’organisation et ses revendications tendait naturellement vers un idéal de justice sociale. Le second a plutôt tourné autour des discours covido-sceptiques fleuris pendant les premiers confinements. Les militants de gauche ont eux rejoué l’hésitation à rejoindre un mouvement « impur » et leurs revendications ont peiné à se faire entendre. L’absence de lieux de rencontres et de débats permanents comme les ronds-points a également favorisé la cristallisation des positions. À Grenoble, la structure la plus active dans l’opposition à toutes les mesures coercitives et à la vaccination depuis le début du Covid s’appelle Grelive, pour Grenoble, Liberté, Vérité. Un reporter du Postillon est allé à quelques-unes de leurs soirées, mélanges détonants entre musique reggae, monnaie libre, figures d’extrême-droite, cours de sophrologie, récitations de sanskrit, cathos intégristes et désirs d’entraide entre personnes esseulées. C’est parti pour un reportage immersif.
« Ah tu tombes bien, on allait démarrer les incantations ! » Un mardi de septembre, je décide de me rendre à la permanence de l’association Grelive. Créée un an auparavant, elle a pour animateur un certain François-Marie, locataire de la galerie d’art qui accueille la permanence. Connu pour prêcher souvent seul avec son mégaphone en périphérie des manifs, il est parvenu à fédérer plusieurs dizaines d’adhérents pendant les deuxième et troisième confinements, rejoints par des centaines d’autres depuis le passe sanitaire. Celui qui m’accueille ce soir en parlant d’incantations, Nathanael, est un de ceux-là. Il précise tout de suite : « Non c’est une blague par rapport à ceux qui disent qu’on est une secte ». « Complotistes », « antivax », « irresponsables », « assassins », c’est vrai qu’ils en prennent plein la gueule depuis le début de la pandémie, à tort ou à raison. J’aimerais en savoir un peu plus sur eux mais vu leur méfiance envers les journalistes, mieux vaut se faire passer pour un sympathisant. J’invente un faux nom et prétends être maraîcher. « On organise des soirées festives toutes les semaines à Fontaine si ça t’intéresse, la prochaine est demain. »
À l’adresse indiquée, plusieurs dizaines de personnes papotent en buvant des coups dehors, des enfants courent entre les convives. Je prends une bière et je m’incruste dans une discussion. « La monnaie libre fonctionne avec un système de cooptation, faut connaître des gens pour rentrer dedans. C’est pas seulement un moyen d’échange, ça permet aussi de tisser un réseau. » Celui qui parle c’est Laurent, un membre de Grelive. J’apprendrai plus tard qu’il est aussi très actif dans la section locale d’Égalité et Réconciliation [E&R], l’association antisémite et antiféministe d’Alain Soral. « Si tu t’y intéresses tu verras que c’est vraiment fait pour sortir du système et de l’Euro. Ça a démarré il y a quatre ans mais ça prend de plus en plus d’ampleur, c’est un projet à 80 ans. » – « Ah ouais c’est comme la monnaie locale, le Cairn. » lui répond un gars que je reconnais. C’est Franck, un ancien élu fontainois du Front National dont il a depuis été exclu après avoir suggéré de prendre les dents en or des Roms pour payer leur logement. « Pour moi aucun intérêt, le Cairn c’est l’équivalent de la CGT en terme de défense des droits » lui répond sèchement Laurent. « Le but premier c’est de faire travailler des locaux, des paysans » essaye Franck. Laurent insiste : « Oui c’est ce qu’on dit à la base mais in fine tu changes ça contre des euros, tu dois passer par une banque pour l’utilisation. » Cette entrée en matière autour de la monnaie libre peut sembler anecdotique mais j’en entendrai souvent parler en traînant autour de ces groupes-là. Franck me voit et semble me reconnaître « on s’est déjà vu quelque part non ? » Laurent répond à ma place : « Dans un club gay non ? Haha » – « Ah non ça risque pas ! » réagit Franck.
On fait les présentations, il me reparle de cette histoire de dents en or, s’il a été viré selon lui, c’est plutôt à cause de sa présence avec Civitas, un mouvement politique catholique intégriste, à une contre manif lors d’une gay pride à Grenoble. « J’suis passé en commission de discipline et la moitié des membres de la commission ça en est... » La discussion se poursuit autour des récentes manifs contre le passe sanitaire. À nos côtés, Jean-Luc, un retraité, ancien frontiste aujourd’hui proche de Civitas également. « Les antifas sont en train d’essayer de récupérer le mouvement ou de le bousiller » analyse-t-il. Franck enchaîne : « Ils avaient une banderole contre l’extrême droite et le passe sanitaire. Déjà ça veut dire quoi l’extrême droite, puis contre l’extrême droite et le passe sanitaire j’vois pas le rapport. Sur les pancartes, si tu mets un nom et que la personne est juive, c’est foutu. » Il ajoute gravement : « À partir du 15 septembre, t’as pas mal de personnel de santé qui va se retrouver sans boulot parce qu’ils ne veulent pas se faire vacciner. » « Comme ma fille... » réagit Jean-Luc.
« Ah t’as vu y’a Karl Marx ! » s’amuse-t-il ensuite en pointant du doigt un mec habillé tout en blanc, avec une tignasse et une barbe fournie également blanches. C’est vrai qu’il ne passe pas inaperçu, je l’avais croisé il y a quelques semaines lors d’une de ces manifs. Il y distribuait des petits papiers sur lesquels étaient imprimés des extraits des « Protocoles des Sages de Sion », un célèbre faux antisémite publié par la police secrète du Tsar de Russie au début du siècle dernier. Franck revient encore sur ses déboires d’édile : « Ces salopards ils m’ont envoyé en procès parce que j’ai fait la tête de mule et que je ne voulais pas démissionner. » Il a fini par être condamné le 15 mai 2020 à deux mois de prison avec sursis et quatre ans d’inéligibilité pour incitation à la haine raciale. « Je me suis retrouvé tout seul… La tête de liste est partie. Tout ce pourquoi je votais contre en conseil municipal parce qu’on était dans l’opposition, l’autre collègue, convertie au RN [Rassemblement national] votait pour, alors que moi j’étais FN canal historique. » Jean-Luc l’interrompt : « Moi j’suis pas d’accord y’a des trucs tu ne vas pas systématiquement voter contre. Moi par exemple j’suis élu sur une liste apolitique à Notre-Dame-de-Vaulx. Bah dedans y’a une écolo-gauchiste, c’est avec elle que je m’entends le mieux ! »
Durant nos discussions, je vois plusieurs personnes se rendre dans une grande salle également mise à disposition de l’association pour la soirée. Je décide d’aller jeter un œil. Dedans, une nana propose des cours collectifs de communication animale et de reiki à une vingtaine de personnes. Elle dit s’essayer cette année à la sophrologie : « À chaque fois il y a un cycle de 10 séances par thème, ça peut être par exemple je retrouve ma vitalité, etc. Et voilà la sophrologie c’est vraiment une technique toute simple hein, basée sur la respiration, une pratique en deux phases. Y a une partie relaxation dynamique qui est issue du yoga, des petits exercices de respiration et ensuite la partie visualisation. La personne est allongée et se laisse guider par le son de la voix et on accède de cette manière à notre conscience, on peut modifier certaines choses. Voilà j’ai terminé, je vais laisser la parole à Guillaume. » Lui, je l’ai déjà vu. Un grand baraqué avec de longs cheveux noirs. Il a réalisé un clip avec Nathanaël – tout deux émargent aussi à Égalité et Réconciliation – en reprenant les corons de Pierre Bachelet (voir Le Postillon n°62). « Du coup je propose des cours de fitness pour les gens qui ont eu le malheur de perdre leur emploi ou qui ne peuvent plus aller à leur salle, évidemment sans passe sanitaire. L’année dernière on le faisait ici pendant le confinement. Le but c’est de proposer le plus d’activités possible pour vous éviter de devenir des covidistes à savoir des gens complètement morts, complètement cons, avec une mauvaise posture. Pour les tarifs, les gens normaux qui travaillent encore je fais 10 euros la séance, c’est les prix en général. Pour les étudiants, chômeurs, licenciés sanitaires c’est moitié prix donc 5 balles, c’est le prix d’une bière à Paris donc c’est quand même plutôt correct on va dire. » Il continue sa présentation et se fait interrompre par la sophrologue en herbe : « Juste pour vous dire que Guillaume connaît l’ennéagramme, c’est à dire qu’avec tout ce qu’il s’est passé on s’est rencontrés et c’est génial, Guillaume pratique aussi et voilà c’est super. » Un ennéagramme [NDLR : une figure ésotérique pseudopsychologique], il y en a d’ailleurs un gros affiché sur le mur derrière les présentateurs. Sur une table, il y a plusieurs bouquins et cartes de personnes proposant des activités. En plus de la sophrologie et du fitness, certains proposent du yoga, de la kinésiologie ou encore des stages pour se sevrer du tabac dans le Sahara marocain.
Quand je ressors de là les gens sont pour la plupart en train de manger. Les revenus des repas et boissons sont reversés à l’association. Dans la cour, un gars joue du balafon, l’ambiance est sereine. Franck me remet le grappin dessus : « Ça va t’as pas peur de moi ? Haha » Je lui demande : « Et toi, tu t’es rapproché de Grelive comment ? » – « Bah c’est les amis de tes amis deviennent tes amis en fait. Laurent il fait partie de Grelive et il fait partie d’E&R en même temps. Et c’est moi qui ai mis en relation Julien qui fait partie d’E&R aussi, et Stéphane, qui loue ce lieu. E&R faisait des conférences ici avant le covid. À la dernière manif quand ça a chauffé avec les antifas on est partis en groupe, on est resté ensemble tu vois. Si Civitas s’était un peu plus structuré, on serait à la place de Grelive. Après c’est bien ce qu’ils font, sans étiquette politique les gens ils ont moins peur. » Soudain arrive Valentin. Son frère, Alexandre, fut un temps élu au conseil régional pour le FN. Suite à son exclusion à cause de la publication de photos de salut nazi, il est une des figures de la droite nationaliste. Valentin se renseigne : « Au RN y’a personne à Grenoble non ? Tous les mecs de Gollnisch, le canal historique ils sont où maintenant ? Je reviens à Grenoble j’aimerais bien voir qui il y a... » demande Valentin. « Le canal historique y’a plus grand monde, ils font plus de politique, y en a un peu à la fraternité [Saint Pie X, proche de Civitas NDLR]. Mais y a pas de militantisme réel. » lui répond Franck. Nathanaël passe une tête et m’interpelle : « Ça va la soirée elle est sympa ? C’est pour les fascistes hein » dit-t-il en se marrant. Sur la sono, quelqu’un chante « No woman, No cry » de Bob Marley.
Fasciné par mes nouveaux « amis », je reste avec eux et ne m’intéresse pas aux autres personnes présentes. Dans mon groupe, ça parle de Zemmour que mes interlocuteurs apprécient à 99 %, le seul « problème » étant qu’il soit juif. Franck tente un truc : « T’es au courant là c’est l’anniversaire du 11 septembre, on a des avions aussi. La région Rhône Alpes a accueilli 270 afghans. Le maire de Pont-De-Claix qui est président de la métro, qui est homosexuel, il en a pris 40. » Ça inspire Jean-Luc :« Il a peut-être envie de se faire monter par les afghans hein. » Et Valentin d’enfoncer le clou : « C’est un Franc maçon notoire hein. » Il enchaîne « Moi je rentre à Grenoble et je regarde un peu ce qu’on pourrait faire. J’essaye de catalyser tout ça, j’étais avec Civitas, là j’essaye de voir avec les pro Zemmour à Grenoble. » Il prend plusieurs numéros, dont celui de Florent qui lui fait un topo : « On est plusieurs en connexion, y a la monnaie libre, y a Grelive et après autour y a les patriotes qui gravitent, y a E&R. C’est un peu le gratin extrémiste. » Valentin réagit : « C’est LA HAINE haha. Alors que pas du tout, moi je suis vraiment l’inverse du raciste et de la haine. » On parle ensuite des récentes manif : « Je suis dans une liste mail, y a un nationaliste à Grenoble qui a appelé à se rassembler autour de lui et de son drapeau avec une croix de Lorraine. » lance Valentin. « Bah c’est moi avec la croix de Lorraine » répond Jean-Luc avant d’ajouter « Bon je préférerais la francisque du maréchal... » Valentin analyse : « La majorité des gens qui composent les manifs ils sont en colère, ils manifestent pour la première fois comme pour les gilets jaunes. Faut l’admettre ce n’est pas gens forcément de droite hein. Je pense pas que comme sur les ronds-points les gens vont se faire manipuler. Je pense que si la CGT dit “fachos fachos” les gens comme ce soir, les anciens 68ards vont leur dire “arrêtez de leur casser les couilles”. Avant les réunions de fafs t’avais que des gars crânes rasés tarés. Ce que je vois ce soir je trouve ça trop cool tu vois. J’suis ouvert, ce qu’il faut c’est dialoguer avec tout le monde. » La sono crache « Danser encore » de HK.
Je vais pisser et à mon retour je vois Valentin discuter avec François-Marie, je m’incruste à nouveau. « C’est bien à Grelive vous sortez du cadre, parce que si chacun reste dans sa chapelle... » lui dit Valentin. « On a quasiment tous une dimension spirituelle à Grelive. Y a la terre et le ciel et des sociétés qui veulent revenir à cette harmonie tu vois » lui répond François-Marie. Valentin, toujours inspiré, enchaîne : « Le sacré c’est l’inverse du matérialisme. Si on pense en matérialiste, on supprime les églises et les temples bouddhistes et on construit des parkings Lidl. Moi je déteste mon travail. Je bosse pour une boîte américaine, un géant de l’agroalimentaire qui s’appelle Mondelez. » François-Marie sursaute : « Ah ouais putain genre Monsanto quoi ! Quelle horreur. » « J’étais à Paris, j’ai fait 6 mois dans une tour en costard cravate et j’me suis dit j’me casse. J’suis revenu à Grenoble justement et là j’aimerais bien être prof d’histoire-géo » se défend Valentin. « Grenoble c’est un peu comme à Google, tu peux aller bosser en tongs mais tu continues quand même à servir des gens très très haut. Les mecs ils votent vert, ils vont bosser en vélo et en tongs » poursuit François-Marie, qui est décidément un personnage étonnant. Entre touchant et très énervant, comme quand il gueule sur un vendeur du Postillon en manif parce que « les médias sont tous des vendus ». Son abnégation force en tous cas le respect. De sensibilité plutôt de gauche, il s’intéresse avant tout à l’ésotérisme. Il a beau trouver Soral « machiste » il n’a « pas envie de virer les gens du FN, des Patriotes ou d’E&R dans la mesure où ce ne sont pas des gens dangereux » selon lui. Il m’a un jour confessé : « Moi ce qui me dérangerait le plus c’est si je découvrais que certains de leurs membres ont des opinions un petit peu extrêmes, des nostalgiques du nazisme je pense qu’il y en a très peu. » Alors certes, tous n’ont pas d’uniforme SS dans leur garde-robe mais quelques heures passées avec eux m’ont montré que beaucoup avaient quand même des « opinions un peu extrêmes ». Toujours est‑il que François-Marie a fait beaucoup de sacrifices dans son combat, et qu’il vit depuis un moment dans sa galerie. Si son propriétaire lui a fait cadeau de 20 000 euros de loyer en sept ans, il y a laissé personnellement beaucoup d’argent et semble seulement habité par une hargne tous azimuts pour combattre le « covidisme ».
Valentin reprend : « Faut pas me définir par rapport à mon taf. J’étais syndiqué chez les cadres, j’ai essayé de lutter contre leur propagande LGBT et féministe et j’me suis pris un avertissement. » François-Marie réagit : « Faut leur dire que c’est l’enfant qui doit choisir, quand il a deux ans il peut pas choisir. C’est ça le droit de l’enfant. Bon je vous laisse je vais aller réciter un peu de Sanskrit là. » Valentin se fout de sa gueule : « T’es sûr que tu vends pas de la drogue ? » Je quitte la soirée la tête pleine, étonné par ce que je viens de voir défiler devant moi. Une alliance entre hippies et nazis ? Il fallait que j’y retourne.
Je me pointe à la manif’ le samedi suivant. Un bonne partie de la bande avec qui j’ai passé la soirée est là, autour de Jean-Luc et son drapeau dauphinois. On défile avec Grelive et leur sono. Jean-Luc est venu en famille, avec sa fille infirmière et son fils Guillaume, on défile ensemble. Lui est aujourd’hui à Civitas, il est également membre du Mouvement de la jeunesse catholique de France (MJCF), l’association de jeunesse de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X. Arrivé au boulevard Jean Jaurès, une bagarre éclate. Plusieurs personnes s’échangent des coups avant qu’une grenade lacrymogène ne vienne mettre fin à l’altercation, je retrouve Guillaume amoché : « Plusieurs gars m’ont entouré, il m’ont demandé si j’étais facho, je leur ai répondu que j’étais catholique et je me suis direct pris une patate. » On reprend la manif, il tremble et regarde en permanence autour de lui. Il me fait de la peine. « Il ne savent même pas frapper » enrage-t-il. On continue à marcher, on échange nos numéros et il m’invite à la messe du lendemain. « On fait ça derrière l’église Saint Jean dans un ancien garage, je t’envoie l’adresse par SMS. » Je lui dit être un néophyte total. « C’est pas grave tu te mettras à côté de moi et tu n’auras qu’à suivre. » On continue à discuter. Confiant, il me regarde et me lâche en souriant « Des fois je monte à Lyon pour faire quelques nettoyages nocturnes. » Horrifié, j’en suis maintenant à regretter que les coups n’aient pas été plus violents… Je rencontre d’autres membres de la Fraternité comme Antonio, petit patron qui fait du chant grégorien lors des messes : « À Grenoble c’est compliqué y a trop d’antifas, à Lyon y a plus de “fa”, comme à Valence et dans le nord-Isère. »
Quelques jours plus tard, je me rends une nouvelle fois à une soirée organisée par Grelive à Fontaine. En première partie de soirée, trois membres du « Collectif pour tous », l’homologue voironnais de Grelive, sont invités à partager leur expérience. Son fondateur Jean-Pierre Vallon est un curieux personnage. Il dirige pas moins de sept entreprises allant du courtage en assurances à la fabrication de matériel électrique en passant par la restauration. Il a même racheté le bâtiment de la Banque de France à Voiron, en assurant avoir investi 1,3 million dans le bâtiment. En octobre 2016, Jean-Pierre Vallon avait lancé le comité d’« En Marche ! » à Voiron se disant attiré par « la bienveillance dans les propos d’Emmanuel Macron ». Saluant une « victoire démocratique » au lendemain de son élection, il avait ensuite postulé pour être candidat macroniste aux législatives (le Daubé du 25/04/2017), avant de se faire recaler. Quatre ans plus tard, c’est un tout autre Jean-Pierre auquel nous avons affaire : « Après le premier confinement, on a voulu faire une action de réinformation sur le marché de Voiron, pour expliquer qu’il existait des traitements. On voyait que ça marchait pas vraiment, que les gens fuyaient et donc on s’est dit on va se rapprocher de “Laissons les médecins prescrire”. On a fait des flyers sous cette étiquette et là ça n’avait plus rien à voir parce que c’est comme si nous étions des médecins. » L’hiver 2021, une de leurs soirées organisée en plein couvre-feu avait été interrompue par la police. Ils se sont ensuite constitués en un collectif qui comportait une quarantaine de membres jusqu’à l’été dernier. « Le 12 juillet, y a un monsieur qui est passé à la télé, je crois qu’il s’appelle Emmanuel. Alors j’ai pas bien compris mais en tous cas le jeudi qui a suivi, on était 80 à la réunion, puis la semaine d’après on était 120 donc il a fallu qu’on déménage. » Pour accueillir tout ce beau monde, le collectif loue la salle de spectacle « Le Rubis » vide de ses artistes du fait des mesures Covid. Pour « 20 000 euros par an », ils accèdent ainsi à un espace de 400m2. Pour que chacun puisse participer aux réunions hebdomadaires, les membres se répartissent en sous-groupes : « Donc la réunion du jeudi on peut venir à partir de 17h et on rejoint le groupe avec lequel on a envie de travailler : soignants, parents/enfants, réinformation, organisation des manifs du samedi, logistique/événementiel pour l’organisation des concerts, spiritualité/bien-être, alimentation et intégration pour accueillir les nouveaux. » Une personne de Grelive assise dans le public pose une question : « Est-ce que vous êtes une plateforme qui vise l’abolition du passe sanitaire ou alors vous avez un agenda et une idée vous-même de qu’est-ce qu’il faut faire ? » Véronique, du collectif voironnais, lui répond : « C’est un collectif, le but c’est de réfléchir ensemble à comment créer un nouveau monde, à comment avancer, comment s’entraider, comment être solidaires, on a pas d’agenda autre que le but commun. Par exemple le mardi matin on peut venir dans les locaux prendre le café ou discuter. Il y a même des personnes qui peuvent aider comme des magnétiseurs etc., pour les soutenir parce qu’il y a quand même des choses qui sont dures pour certaines personnes. Si demain on a plus accès à rien, qu’on sait pas comment faire, au moins on sait où aller, on sait avec qui aller. » Jean-Pierre abonde : « Je pense pas qu’il y ait beaucoup de gens chez nous qui manifestent avec l’intention de faire reculer le gouvernement. La plupart des gens chez nous sont là parce qu’ils ont besoin de sentir qu’ils font partie d’un groupe, qu’ils ne sont pas seuls et d’ailleurs les samedis on rencontre toujours des nouvelles personnes qui viennent ensuite le jeudi rejoindre le collectif. »
Après un débat avec une ancienne gilet jaune sur la pertinence de manifester, de « gueuler » ou de celle de « se retirer en communauté », Véronique précise : « La colère, les guerres ne changent absolument rien, vous avez vu ce qu’il se passe en Afghanistan ? Aujourd’hui après 20 ans on recommence donc c’est pas ça qui va changer la vie. On a tous déjà gueulé et ça ne change absolument rien. Par contre ce qui change réellement c’est quand on commence à dire “moi votre monde je ne le nourris plus, même pas avec ma colère” parce que quand on combat quelque chose on le renforce tandis que si on va construire quelque chose à côté qu’est ce qui se passe ? Autre chose. Combien de Juifs ont été sauvés pas parce qu’ils ont gueulé mais parce qu’ils ont fait des choses de leur côté ? » Louis, le fils de Jean-Pierre, m’assure ensuite : « Ce qu’ils sont en train de faire à essayer de diviser les gens bah ça les unit encore plus. Je crois jamais avoir tissé de liens aussi forts avec des personnes qu’en ce moment, c’est fou ! » La présentation terminée, tout le monde va chercher une assiette de paëlla à 10 balles et se met à table sous les barnums en attendant les concerts de la deuxième partie de soirée. François-Marie prend la parole : « J’aimerais qu’on profite de ce genre de soirée pour que les personnes dont l’activité est impactée par la gestion du virus puissent venir devant tout le monde en disant voilà moi j’suis kiné, moi j’suis ostéo, moi j’suis prof de yoga, moi j’ai un commerce, moi j’ai telle activité, vraiment très rapidement voila, pas de façon commerciale. Donc je commence, comme ça, ça va décomplexer tout le monde. Moi j’ai une galerie/café sur la place Notre-Dame qui s’appelle La Vina. Donc on a pas besoin de passe, c’est un lieu bio équitable qui fonctionne depuis 17 ans avec beaucoup de difficultés en ce moment, c’est un lieu relais pour le tourisme solidaire, Survival qui est une ONG qui défend tous les peuples indigènes et la finance éthique à travers la NEF. On peut trouver tout ça, avec des livres, il y a des concerts de musique du monde, des spectacles parfois. »
Plusieurs personnes se relaient ensuite au micro : un soignant suspendu, un entraîneur de foot, une dame qui propose de faire un salon de thé chez elle. Il y a aussi des propositions moins conventionnelles comme celle de Clarance : « J’accompagne des gens avec de l’hypnose, avec l’EFT [Emotional Freedom Techniques, NDLR] différentes méthodes. Si vous avez des traumatismes, si vous avez des émotions négatives et Dieu sait que des émotions négatives on peut en ressentir pas mal en ce moment voilà bah j’peux vous aider à transformer ça en quelque chose de positif pour justement continuer à rester bien dans la lumière et bien dans la bonne direction. » Anne-Marie propose la même chose mais cette fois à travers « l’accompagnement quantique ». Un dernier gars prend le micro : « Je suis accordeur relationnel, j’accompagne des individus soit à être en accord avec eux-mêmes soit à être en meilleur accord relationnel avec d’autres. Sinon je fais aussi chanter les gens en karaoké live comme je vais faire ce soir. » Je me retrouve à table avec Franck, qui ne rate pas une soirée et Raoul, un menuisier hypnothérapeute. On parle des difficultés à boucler les fins de mois, Franck est ouvrier à Ad Plating sur une chaîne de traitement de pièces métalliques. Raoul nous dit être encarté à l’UPR, le mouvement de François Asselineau. C’est par un groupe local qu’il a participé à sa première manif. « Je sais pas si tu sais mais Asselineau c’est un franc-maçon. » lui rétorque Franck. « Ah si c’est un franc-mac’ c’est pas nos potes. » lui répond Raoul. « Tu les aimes pas non plus ? C’est ceux qui gouvernent tout quoi. La franc-maçonnerie c’est la République hein. » Et de baratiner sur la « mafia sataniste », Macron devant la pyramide du Louvre « quand il lève les bras ça fait le compas et l’équerre », Mélenchon et Attali qui en sont aussi, « le nouvel ordre mondial », le concours de l’Eurovision où il y a « tous les symboles maçonniques ». Une fois Raoul parti, Franck se penche vers moi en parlant doucement : « Raoul c’est pas un peu juif non ? Parce que j’ai hésité à lui dire que les francs-maçons sont de mèche avec les Juifs… »
Je suis ensuite retourné manifester avec eux un autre samedi. Avant de démarrer, François-Marie nous salue en rigolant « Ça va les fachos ? » J’y ai fait la rencontre de François, un pote de Franck, complètement parano disant s’armer en vue d’une guerre civile avec les Noirs et les Arabes. Un autre soir, il me confie se sentir seul, me disant qu’il n’avait presque pas de famille comme Franck, que ce qui lui restait c’était nous. Il me faisait de la peine. Les manifs se sont ensuite amenuisées à la faveur de la suspension du passe devenu vaccinal. Depuis, les membres de Grelive continuent leurs soirées, tractent, font des réunions, des actions en justice. Leurs mails traduisent la difficulté à s’organiser collectivement, où les actions attirent peu de monde comparé au nombre d’adhérents. Ils traduisent l’épuisement parfois, comme lorsque leur secrétaire a jeté l’éponge en disant : « Si je ne trouve pas un travail dans la semaine je vais me retrouver comme une clocharde et dormir sous les ponts ! Je ne vois pas l’intérêt de poursuivre les manifestations en tournant en rond et faire des meetings alors que les gens en ont rien à foutre de ce qu’on raconte et que tout le monde dit que Macron est une femme et Brigitte Macron un lézard et que nous sommes gouvernés par des intraterriens qui sortent de la Terre avec une échelle et font de la magie noire ! Votre dévouée secrétaire qui vous demande pardon car je vous aime tous énormément et je tiens absolument à ce que vous sachiez que je vous aime et que je veux absolument conserver nos liens d’amitié qui me sont précieux car je vous aime tendrement ! (sic) »
Moi aussi j’ai lâché l’affaire. Si je suis retourné rapidement à une soirée, j’ai surtout suivi leur activisme par internet, qui m’a semblé surtout tourné, ces derniers mois, autour de l’invitation de quelques « stars » nationales des covido-sceptiques, notamment à Voiron. Je suis mitigé sur les constats à porter sur cette aventure. J’y ai trouvé des phénomènes semblables à ce que l’on observe dans les dérives sectaires, des personnes en détresse, esseulées, à qui l’on vient apporter des solutions miraculeuses. L’écrasante majorité est de bonne foi, attirée par des valeurs de d’entraide et de solidarité même si celle-ci ne s’est manifestée que lorsqu’on les a interdit de resto et de ciné. Elles ont trouvé une sociabilité dans ces collectifs, de la tendresse et de l’amitié. Des réponses simples et rassurantes à des phénomènes complexes, une prise sur le monde quand il leur échappait, épuisées par deux années de pandémie et de sa gestion kafkaïenne. Elles sont confortées dans leurs positions par le procès en complotisme que leur fait le gouvernement uniquement soucieux de « les emmerder ». Ces personnes ont adopté un fonctionnement en vase clos qu’il sera dur de briser. L’extrême droite, pourvoyeuse historique de théories du complot, a naturellement intégré cette nouvelle composante. La gauche, maladroite et divisée sur ces sujets reste, elle, inaudible. En difficulté financière, François-Marie compte aujourd’hui quitter la cuvette et passer la main sur sa galerie et le collectif en continuant d’y participer. Il a récemment été contacté par Martine Wonner, la députée LREM du Bas-Rhin bien allumée qui a depuis monté son parti. François-Marie avait accepté de se présenter pour elle aux législatives contre Véran mais il est inéligible pour un an faute d’avoir rendu ses comptes de campagne à l’heure lors des dernières élections départementales. Grelive continue de proposer des soirées à Fontaine, la dernière en date invitant à rencontrer pêle-mêle un « lithothérapeute » (la santé par les pierres), l’imam de la Villeneuve et une « art-thérapeute » faisant une « démonstration de danse derviche, qui mime la terre tournant autour du soleil, voie d’élévation psycho-spirituelle et de transe. » Là-dessus, on ne peut pas leur reprocher d’être sectaires.
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Suite à l’article du dernier numéro sur Grelive « La convergence des flûtes », nous avons reçu trois réactions de personnes citées dans l’article. En voici des extraits :
« Dans son dernier numéro, Le Postillon a manifestement cherché à nuire et faire mal au collectif Grelive (Grenoble Liberté et Vérité sur le covid-19), qui se bat depuis deux ans et demi pour défendre les droits fondamentaux en France, soudainement abolis par son gouvernement le plus corrompu depuis la dernière Guerre. (…) Vous résumez Grelive comme une “alliance” entre nazis et hippies, c’est-à-dire entre le Mal absolu et les idéalistes un peu planants donc déconnectés. (…) La flûte dont joue le système, c’est vous. (...) La “gauche” n’est pas “inaudible”, vous le savez, elle a soutenu les mesures sanitaires, avec la CGT, les Verts, les socialistes et les antifas, la France Insoumise et parfois les a trouvées trop molles... L’extrême-droite aussi d’ailleurs. La vérité est que Le Postillon n’a aucune déontologie journalistique et qu’il fait le contraire de ce qu’il prêche et nourrit ce qu’il prétend combattre. (...) Je ne suis ni l’initiateur, ni l’organisateur des soirées que vous décrivez auxquelles je participe parce que j’y connais du monde. J’ai souvent demandé de ne pas citer Grelive pour des activités ou des propos qui ne le représentent pas. (…) En fait, Grelive se bat sur le terrain et reste debout pour toutes les valeurs sencées être celles du Postillon, de l’Extrême-gauche, de la Gauche, du Centre et de la Droite traditionnelle, et même de l’Extrême, des intellectuels, de la Culture... qui tous pourtant l’attaquent ou l’ignorent... en attaquant ou ignorant la souffrance et le viol des droits de la population, française, ou immigrée d’ailleurs, cette dernière population étant de façon écrasante d’accord avec nous et nous le faisant savoir.
Mais bien sûr, dans un autre article juste après, le Postillon dénonce l’attaque injuste des complotistes par les intellectuels. (...) Un double discours, conscient ou pas, qui rappelle beaucoup celui du gouvernement et révèle l’absence de réflexion du journal. (…) J’ignore le parcours de beaucoup de gens que vous citez et il est tout à fait possible que, exactement comme vous, des personnes aient un double langage, et fassent preuve d’hypocrisie et de dissimulation pour des intérêts particuliers et irresponsables. (...) Je me bats aux côtés de toutes sortes de personnes, comme autrefois les résistants étaient royalistes, anarchistes, communistes et les soldats des FFI, FFL, des tirailleurs sénégalais de toute l’Afrique et d’ailleurs, contre un même ennemi. Je me bats personnellement contre tous les racismes et sexismes, c’est pourquoi je déteste le personnage d’Eric Zemmour. (…) Une question : pendant la deuxième guerre mondiale, un résistant de droite était-il plus dangereux qu’un collabo de gauche ?
J’ai plusieurs fois fermement demandé à ce que le monsieur cité arrête de distribuer ses tracts de façon irresponsable sur le Protocole des sages de Sion... tout comme j’ai demandé au Postillon de faire preuve de lucidité, d’honneur et de courage dans cette période. En vain. Depuis bientôt deux ans et demi, Le Postillon s’est refusé à donner une parole directe et franche à ceux qu’il qualifie encore de “covido-sceptiques”, comme Grelive, préférant utiliser leurs manifestations pour se vendre et financer le salaire de sa peur. (…) Eh oui, si on trouvait des solutions, ça ne serait pas bon pour le commerce... Point commun avec l’industrie pharmaceutique : entretenir le pessimisme et le désespoir, distiller la résignation et le sommeil, c’est tellement confortable. (…) »
François-Marie
« (…) Dans votre article, vous publiez l’enchaînement suivant : « Et soudain arrive Valentin...son frère…salut nazi » : 3 phrases après le dévoilement (inexplicable) de mon identité arrive le reductio ad hitlerium ; sophisme redoutable anéantissant tous les débats intellectuels et fréquemment utilisé pour discréditer un adversaire lorsqu’on manque d’arguments. Tout d’abord, je suis allé à cette “soirée festive” sans connaître personne et réciproquement : personne ne me connaissait. Je n’ai donc aucune influence dans un groupe politique ou associatif comme Grelive (je m’y rendais pour la première fois). La seule raison pour laquelle vous dévoilez mon identité est la suivante : mon nom de famille pourrait donner du crédit à la thèse vendeuse de papier et sensationnaliste : « Une alliance entre hippie et nazis ? » Je déplore ces méthodes que je juge honteuses et sans apport journalistique ni intellectuel. (…) Je n’ai donc ni l’appartenance militante ni l’idéologie des autres personnes citées dans l’article, la lutte contre le passe sanitaire nous rassemblait mais nous pouvions exprimer nos désaccords et divergences : c’est d’ailleurs le but d’un rassemblement unitaire. En revanche, il est décent d’avoir “l’art de la conversation” et de s’intéresser aux différents convives en fonction de leurs sensibilités, parcours, luttes ou connaissances en commun. Malheureusement, vous omettez de dire que je me suis opposé à plusieurs protagonistes cités dans l’article. Ce fut notamment le cas lorsque je me réjouissais de la diversité politique et sociologique des différents manifestants face à un protagoniste souhaitant politiser voire radicaliser le mouvement ou lors de ma blague volontairement et exagérément sarcastique sur M. Ferrari. (...) Je conteste les citations que vous rapportez, celles-ci sont sorties de leurs contextes ou incorrectes. (…) Vos accusations de conspirationnisme ou fascisme paralysent tous les débats d’idées, annihilent l’intelligence et la raison (...). Votre article me met véritablement en danger socialement et professionnellement, vous n’êtes pas sans ignorer que la mort sociale d’un individu passe par la pseudo-justice médiatique. Sur ce point, j’invite vivement vos lecteurs à consulter votre édito “Gloire aux pseudos” (Le Postillon, Octobre 2011, disponible en ligne) afin de constater votre “flagrant délit” de deux poids deux mesures. (…) »
Valentin
« Votre convergence des flûtes n’est que du pipeau !! Vous avez la critique bien facile par derrière !! Vous ? Qui avez incendié le pont de Brignoud-Crolles, vous ne manquez pas d’air !! Comme disait Coluche : À bon entendeur, salaud !! »
Franck
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