Si tu habites dans la cuvette, tu le sais déjà : Grenoble est une ville-laboratoire, toujours « à la pointe ». Ici on aime innover, faire les choses un peu avant les autres, et s’en flatter : c’est bon pour l’ego, ça fait parler de la région dans la presse et ça donne des sujets de conversation aux repas de famille. Mais pour le plus grand malheur des élus, il y a un secteur où l’agglomération n’est pas du tout innovante : les transports. Bouchons, pollution, saturation : ça fait tache sur la belle carte postale de la cuvette et ça donne l’occasion aux patrons de la Chambre de commerce et d’industrie de faire des pétitions et de se plaindre d’une « région enclavée ».
Jusqu’à ce que les socialistes-managers de l’agglomération trouvent une parade : faire un téléphérique, ou plutôt un « tramway aérien » entre Grenoble et le Vercors. Tu nous diras : ça ne règlera rien aux problèmes des bouchons. Car cet axe où, selon eux, 4500 véhicules font tous les jours l’aller-retour entre l’agglomération et le plateau, n’est pas saturé comme la rocade ou l’axe Voreppe-Grenoble, où des dizaines de milliers de véhicules s’embouteillent matin et soir. Et effectivement, tu as raison mais là n’est point l’important : ce nouveau transport, « une première en France », « innovant », sera avec 10 kilomètres de trajet « un des plus longs téléphériques du monde ». Donc : ça fera parler positivement des transports à Grenoble et sur les cartes postale le visuel habituel des vieilles bulles de la Bastille, premier téléphérique urbain construit en 1934 et rénové en 1976, sera enfin remplacé par celui des cabines modernes du Vercors.
Avec ce genre de projets géniaux, le problème pour les élus, c’est de pouvoir les mener rapidement et de ne pas s’embêter avec des débats, des opposants, des recours, et autres vicissitudes de la démocratie. Cette fois, ils ont essayé de prendre tout le monde par surprise et ont dégainé le projet plus vite que leur ombre en conférence de presse le 19 mars dernier. Et d’un coup d’un seul, alors que le projet avait été à peine évoqué publiquement jusque-là, ils ont affirmé qu’un téléphérique reliera Fontaine à Lans-en-Vercors en s’arrêtant à Saint-Nizier-du-Moucherotte fin 2014, soit deux ans et demi plus tard.
Une telle précipitation t’étonne ? Ne t’inquiète pas, tu n’es pas le seul. Les habitants du Vercors ont même été les premiers surpris, la plupart des conseillers municipaux des sept communes du Vercors n’ayant même pas été mis au courant avant. Ceci n’a pas empêché Le Daubé de parler sur le coup d’une « satisfaction unanime des élus » (20/03/2012). Quelques jours plus tard, on a pu appréhender la fragilité de cette satisfaction, enrobée dans la langue de bois des élus. Pierre Buisson, président de la communauté de communes du Vercors a tenu à préciser que « nous ne ferons pas ce projet seuls, nous y associerons toute la population » avant d’avouer que « tout le monde en sait autant que nous, élus du plateau » (Le Daubé, 10/04/2012). Ce qui veut dire qu’eux – les élus du plateau – ne sont au courant de rien du tout. Quelques jours plus tard, « Franck Girard, maire de Saint-Nizier, a tout de suite dit qu’il n’avait ‘‘guère plus d’informations que le public’’ » (Le Daubé, 13/04/2012).
Éviter que cela soit un élément de débat
Mais alors, te demandes-tu, si ce ne sont pas les élus des communes concernées par le téléphérique, qui donc guide ce projet ? Si je te dis « agrandir l’agglomération grenobloise », « construire une grande métropole compétitive », « devenir une communauté urbaine », tu me dis.... ? Bingo : Marc Baietto, le président de La Métro, la communauté de communes de l’agglomération grenobloise. C’est lui, accompagné de « l’élu du plateau » Pierre Buisson, qui a mené la conférence de presse. A priori, seuls quelques adjoints de La Métro et maires du plateau étaient au courant de cette annonce. En tous cas le téléphérique n’a jamais été voté par une de ces instances supposées représenter les citoyens. Certaines mauvaises langues dénoncent cet abus de pouvoir de La Métro, qui n’a pas la compétence « transports » et qui n’a pas à intervenir en dehors de son périmètre. Cette ingérence peut d’ailleurs être interprétée comme une revanche de la part de Baietto : l’année dernière, les communes du Vercors n’avaient pas voulu rejoindre La Métro, pour l’aider à franchir le fameux cap des 450 000 habitants, nécessaire pour être une « communauté urbaine », ce qui pète un peu plus que « communauté de communes ». À l’époque, les élus du Vercors avaient promptement remballé le président de La Métro : « Le Vercors dit ‘‘non à la mammouthisation’’ » (Le Daubé, 16/04/2011). Une fois ces divergences résolues, la promotion du téléphérique serait donc pour le président de La Métro une manière de revenir sur le Vercors, « terre de Résistance », par la fenêtre des transports après s’être fait jeter par la porte de l’organisation territoriale.
En tout cas, le président de La Métro veut faire vite et précise à cette occasion sa vision de la démocratie. Dans Le Daubé (11/05/2012) il affirme que « la réalisation proprement dite devrait débuter au deuxième semestre 2013. Il faut surtout éviter que ce soit un élément de débat au moment des municipales de 2014 ». C’est vrai que c’est quand même pénible quand il y a des éléments de débat importants au moment des élections. Un peu plus, et les citoyens pourraient donner leur avis.
Concrètement, te demandes-tu, comment fonctionnera ce téléphérique ? Regardons un peu ce qu’on sait déjà car quoi qu’en disent les élus, les grandes lignes du projet sont déjà bien définies. Le « tram aérien » fonctionnera aux mêmes horaires que le tram normal et débitera une cabine toutes les trente secondes. Ce qui fait, pour une durée annoncée du trajet de vingt-neuf minutes, cent seize cabines se baladant de cinq heures du matin à une heure du matin entre Fontaine et Lans-en-Vercors. La réalisation et l’exploitation de l’innovation seront confiées à un opérateur privé, car, selon le président de la communauté de communes qui a investi plus de quatre-vingt-dix millions dans un stade de football, « On sait que les finances des collectivités, et notamment de La Métro, ne permettent pas d’y aller tout seul. Si on part sur une réalisation financière par le public, on en parlera encore pendant des années. Or là, il faut passer à l’acte » (Le Daubé, 20/03/2012). Le privé est effectivement une bonne solution pour « éviter que ce soit un élément de débat » et pour que les collectivités locales se débarrassent de ce fardeau que représente le service public des transports. Il n’y a que le prix de la construction qui a l’air encore très variable selon les sources : de 40 à 50 millions d’euros pour Marc Baietto, 180 millions d’euros pour Pierre Jaussaud, expert en câble dans Le Daubé (05/03/2012). C’est vrai qu’on est pas à quelques dizaines de millions d’euros près. On attend avec impatience de savoir quelles publicités l’exploitant choisira de mettre sur les cabines pour combler le déficit de son exploitation [1].
Des habitants plutôt pour mais en manque d’informations
Et les Vertacomicoriens (habitants du Vercors), qu’en pensent-ils ? Lors d’une petit virée sur les « quatre montagnes » (nom de cette partie-là du plateau) j’ai causé avec une trentaine de personnes, majoritairement « pour », quoique souvent en attente de précisions. Rachelle, une jeune autostoppeuse, trouve le projet sympathique mais s’interroge sur le futur prix, annoncé pour l’instant entre 3 et 5 euros le trajet : « Quand on est jeune, il n’y a pas de boulot ici, à part les postes de saisonniers, alors il faut descendre à Grenoble. Mais c’est la grosse galère pour se déplacer et en bus on paye onze euros pour faire l’aller-retour à Grenoble. Si avec le téléphérique, c’est le même prix ou plus élevé, on continuera à faire du stop. » Selon elle, « les gens autour de moi sont assez partagés. Moi je trouve que c’est bien pour le futur du plateau, pour le tourisme. Ceux qui sont contre c’est souvent parce qu’ils ne veulent pas voir de pylônes dans leur jardin ou à côté de chez eux. » Deux marcheuses ne sont pas contre mais regrettent « n’être au courant de rien. On nous a rien dit, même mon frère conseiller municipal à Lans ne savait pas. On ne sait pas où vont être les pylônes, ni rien. Faudrait quand même qu’ils nous informent. » Laurence a une ferme et partage cet avis : « Potentiellement, la ligne va passer juste à côté de chez moi mais je ne sais pas encore exactement. Normalement elle passera assez loin pour que les gens dans les cabines ne nous voient pas sur notre terrasse, mais on ne sait pas exactement. On attend. » On voit ici que l’adhésion des habitants, proclamée par certains élus ou par un sondage par internet [2] est pour l’instant toute relative et dépendra beaucoup de l’évolution du projet.
Les commerçants sont pour, forcément. La buraliste de Saint-Nizier, une salariée du musée des automates et le boulanger bio de Villard-de-Lans applaudissent des deux mains. Le buraliste de Lans-en-Vercors est quant à lui davantage partagé : « En tant que commerçant, je suis pour mais en tant qu’habitant je suis plutôt contre. Je comprends tout à fait ceux qui n’ont pas envie que les cabines passent à côté de chez eux. C’est très dur de se faire une idée définitive. »
Étonnamment, la personne la plus sceptique rencontrée travaille à l’office du tourisme de Villard-de-Lans : « Pour moi, c’est n’importe quoi. Je pense que ça ne va pas se faire. Comment ça pourrait marcher ? Comment feront les gens qui arriveront à Lans-en-Vercors pour aller à la station de Lans [NDR : la station est située à six kilomètres du village], ou à celle de Villard ou ailleurs ? Il prendront des navettes ? Il en faudra vraiment beaucoup... Et puis franchement les pylônes, c’est hideux. » La laideur de l’infrastructure fait aussi peur a un habitant, employé municipal, rencontré en train de tondre sa pelouse qui trouve « qu’il y a déjà trop de monde dans le Vercors. Avec ça, il y en aura vraiment trop et donc je vais partir ».
Si cela peut te rassurer, sache que ceux qui sont contre le projet ne sont pas tous aussi désabusés. Certains sont même plutôt actifs : un « collectif de citoyens du plateau du Vercors même pas élus mais concernés par l’intérêt public » a diffusé un journal de quatre pages, baptisé Le Téléféérique très critique envers le projet. Comme d’habitude, l’anonymat de ce texte a beaucoup fait jaser le journaliste du Daubé et certains habitants pour qui la signature est plus importante que le propos. Voici quelques morceaux choisis : « Nous serions le premier parc naturel à réintroduire une espèce en voie de disparition chez les autres : le pylône. Bel effort de la CCMV [NDR : Communauté de communes du massif du Vercors] pour dynamiser le tourisme. Encore plus de mécanisation, voici qui ira à ravir sur les plaquettes promouvant notre bel espace naturel. (…) Dans un bel élan de solidarité La Métro évoque les écoles, les familles à revenu modeste, les touristes d’un jour, qui, pour la modique somme de 8€ par personne, pourront venir prendre l’air autour des gares d’arrivée et intermédiaire. Et après ? Qu’ils marchent donc. Pour ce prix-là ce public vient déjà sur le Vercors à un tarif ultra compétitif en montant à deux, trois ou quatre dans une voiture avec luges et skis si la saison s’y prête. (…) Des cars il n’y en aura plus. Trop ringard, trop polluant, trop ‘‘service public’’ probablement. On cite Pierre Buisson : ‘‘Une partie de ces liaisons [par car]n’aura plus d’utilité quand le transport par câble fonctionnera’’. Tous ceux que le bus ramassent aux arrêts intermédiaires seront eux aussi obligés de prendre une voiture ! S’ils en ont une, on pense aux jeunes. Ceux qui actuellement ont fait le choix du car, devront passer au téléphérique, soit du service public au service privé avec aucune garantie sur l’évolution des prix ».
Sur les forums internet [3], les arguments « contre » vont de coups de gueule d’internautes pour qui « la bagnole, c’est la liberté », à la dénonciation des problèmes techniques comme le fort vent soufflant régulièrement sur le plateau, en passant par l’inquiétude face à la future densification urbaine et spéculation immobilière que ce nouveau mode de transport ne manquera pas d’entraîner.
La montagne-dortoir rêvée des ingénieurs
Cette question de la densification et de la surenchère immobilière n’inquiète jamais ni les promoteurs immobiliers, ni les élus. Pierre Buisson, le président de la communauté de communes du Vercors se veut rassurant : « Nous n’allons pas interdire l’urbanisation mais densifier les endroits où c’est déjà construit. Il y a aujourd’hui 11 800 habitants permanents sur le plateau, nous tablons sur 15 000 habitants d’ici 10 ans, mais c’est un chiffre à ne pas dépasser. Là notre souci est d’accueillir mieux le visiteur d’un jour, pas d’accueillir plus de résidences principales » (Le Daubé, 20/03/2012). Belles paroles qui ne résisteront certainement pas à la nécessaire rentabilisation de la future ligne de téléphérique. Car puisque le « visiteur du jour » ne remplira pas les cent-seize cabines tournant continuellement entre le plateau et l’agglomération, l’opérateur privé devra faire pression sur les élus pour la construction de « résidences principales » de personnes travaillant à Grenoble et utilisant quotidiennement le téléphérique. Pour la construction d’un tram, un « contrat d’axe » est signé avec les communes traversées les obligeant à construire des milliers de logements afin de rentabiliser ce « transport écologique » (voir Le Postillon n°15). Un dispositif similaire sera-t-il mis en œuvre pour les téléphériques ?
Actuellement, 40% de la population active du Vercors et 60% de celle de Lans travaillent dans l’agglomération grenobloise. Ce chiffre explosera avec le téléphérique et entraînera une surenchère immobilière. « C’est une certitude » dit même François Nougier, militant écologiste du plateau pourtant favorable au projet (Le Daubé, 03/04/2012). Qui viendra acheter des terrains dont le prix aura explosé - alors qu’ils sont déjà à peu près aussi chers que ceux de l’agglomération - si ce ne sont des cadres à hauts revenus travaillant dans les grandes entreprises technologiques de la presqu’île scientifique ?
Ça tombe bien, les élus ont déjà prévu d’agrandir la ligne au moins jusqu’à la presqu’île, soutenus sur ce point par l’ADTC (Association pour le développement des transports en commun) qui juge que « pour les habitants du plateau travaillant dans l’agglomération, et en particulier sur la presqu’île, l’attractivité nécessiterait un prolongement de cette liaison jusqu’au Polygone (futur terminus tram B) pour éviter une rupture de charge supplémentaire et un temps de parcours encore plus élevé par rapport à un trajet en voiture ». Chasser les personnes modestes et devenir la montagne-dortoir rêvée des ingénieurs ayant la bonne conscience de ne pas prendre leur voiture pour se rendre à leur boulot : voilà le destin du Vercors augmenté par « l’attractivité » du téléphérique.
Ce projet de remontée mécanique n’est pas le premier à voir le jour dans la région. Cela fait par exemple des années qu’un projet de téléphérique Grenoble-Chamrousse est régulièrement évoqué par les élus, comme à l’occasion de la candidature de Grenoble aux Jeux Olympiques de 2018. Devant le manque d’adhésion populaire et la mobilisation de certains habitants situés sur le trajet, il est pour l’instant mis au placard [4]. Une liaison entre Crolles et Brignoud fut également envisagée pendant dix ans avant d’être abandonnée l’année dernière, là aussi à cause du manque de soutien au projet des habitants. On a également parlé de liaisons Meylan- Saint-Martin-d’Hères ou Échirolles-Vizille.
Cette liaison sur le Vercors, dont le trajet est moins polémique car survolant essentiellement des zones boisées, est donc pour les élus une manière de concrétiser enfin un projet, en espérant qu’il fasse boule de neige. Ils parlent déjà de la suite avec gourmandise : « “Nous voulons voir vers Villard-de-Lans et Corrençon” [NDR : c’est-à-dire prolonger le téléphérique jusqu’à ces communes], imagine Pierre Buisson, le président de la Communauté de communes du Vercors. Côté agglo, on prévoit (aussi) de tirer le câble jusqu’à Saint-Martin-le-Vinoux. Michel Destot, maire de Grenoble : “Vous dites pourquoi pas la Chartreuse, j’ajoute : et pourquoi pas Belledonne ?” » (Grenews, 19/03/2012). « Après, une troisième extension pourrait gravir la Chartreuse et se diriger vers le Sappey, voire le col de Porte » (Le Métroscope, avril/mai 2012). Belledonne, la Chartreuse, le Vercors : voilà la future proche banlieue de Grenoble.
Un téléphérique solidaire ?
Tu as sûrement déjà remarqué que les politiques essayent toujours d’enrober leurs projets de mots et d’expressions un peu poétiques. Pour Marc Baietto, le téléphérique est un moyen « d’ouvrir la montagne à ceux d’en-bas et la ville à ceux d’en-haut » (Grenews, 10/05/2012). « Ouvrir la montagne », c’est le cas de le dire, surtout avec le déboisement nécessaire et la construction de nombreuses routes forestières sous la ligne pour les secours. Claude Comet, la conseillère régionale écologiste en charge de la montagne et du tourisme, s’emballe : « C’est un acte historique et d’anticipation par rapport aux problèmes auxquels nous sommes confrontés. C’est un projet de territoire et de solidarité entre le haut et le bas pour ne pas réserver l’accessibilité à une élite. Il y a une vraie urgence post-carbone » (Le Daubé, 06/04/2012). Les membres d’Europe-Ecologie sont à fond pour le projet et n’ont peur de rien pour le défendre, quitte à parler d’une « solidarité entre le haut et le bas » dont on a du mal à voir le rapport avec une liaison câblée, à moins de parler des nuisances partagées. François Nougier, candidat suppléant aux prochaines législatives, va jusqu’à mépriser les remarques bassement terre à terre des habitants mécontents : « Avant de penser petit, il faut se poser de réelles questions : comment amène-t-on le touriste à respirer l’air frais de nos montagnes ? » (Le Daubé, 06/04/2012) Voilà effectivement la « réelle question » qui travaille davantage les élus que l’avis des habitants : comment attirer « le touriste », produit que les territoires se disputent et qu’il faut faire venir à tout prix dans sa région pour « respirer l’air frais de nos montagnes » et vider leur porte-monnaie. Et même dans un des plus vieux parc naturel régional, ça se passe comme ça.
Essayons donc de ne pas « penser petit ». Notre société est travaillée par le culte de la mobilité, valeur centrale guidant l’aménagement du territoire et l’organisation de nos vies. Selon Jean Viard, sociologue médiatique et auteur d’Éloge de la mobilité (éditions de l’Aube, 2008) : « alors que nous parcourions en moyenne 5 kilomètres par jour en 1950, nous parcourons aujourd’hui 45 kilomètres par jour en moyenne, soit 9 fois plus ». Cette mobilité, outre qu’elle fait perdre énormément de temps dans les transports, entraîne de nombreux gaspillages énergétiques contribuant aux records de consommation marquant l’évolution de nos sociétés. Pics de consommation que les fameuses « énergies alternatives » ne pourront pas soutenir, à moins de se transformer en industries dévastatrices [5] .
Cette question est soigneusement évitée par les promoteurs des « nouvelles mobilités », vantant sans cesse la formidable « liberté » due à l’accroissement de la mobilité, « liberté » tellement appréciée par ceux passant quatre heures par jour dans les bouchons parisiens. Pour les planificateurs, qui ne veulent pas penser à réduire les déplacements, la mode est à la promotion des modes doux et de la fameuse « mobilité durable », défendue notamment par Pierre Jaussaud, expert judiciaire grenoblois ès transport par câble. Comme les choses sont bien faites, le monsieur est par ailleurs directeur d’une société, EF Câbles, œuvrant dans le même domaine. Ne reculant devant rien, il est même allé en 2009 jusqu’au Parlement européen de Strasbourg intervenir au Forum « Green Connected Cities », promouvoir le transport par câble, seule façon pour lui d’œuvrer à une « mobilité durable ». C’est lui même qui quinze jours avant la conférence de presse lançant le projet Grenoble-Vercors avait lancé un vibrant appel dans Le Daubé (05/03/2012) en affirmant que « la liaison Grenoble/Vercors paraît vitale », rien que ça. À moins qu’elle ne soit vitale pour son entreprise comme pour tous ceux voulant tirer profit du business à venir du transport par câble, alter-ego des entrepreneurs-opportunistes subitement convertis au solaire.
Le téléphérique, s’il ne brûle pas de pétrole, consomme en revanche beaucoup d’électricité. Cela n’a pas l’air de chagriner les nombreux écologistes soutenant le développement de ce « transport écologique ». Jamais n’est remis en cause ce non-sens qui veut que des personnes (aisées et « ayant le choix » pour la plupart dans ce cas-là) choisissent d’habiter à trente kilomètres de leur lieu de travail et de faire quotidiennement le trajet. Ni l’absurdité voulant que la montagne, devenue un bien de consommation comme les autres, doive être rendue plus « accessible » à tous en permettant au touriste venu de loin de faire son petit aller-retour en téléphérique dans l’après midi comme à l’ingénieur d’aller faire une petite rando à skis en « tram aérien » avant d’aller bosser. Le tout, la conscience tranquille, en utilisant un transport en commun.
En dehors de rares baladeurs du dimanche et de quelques perdus, le chemin pédestre allant de Fontaine à Saint-Nizier est généralement désert. Comme s’il était devenu inconcevable de se rendre en montagne à pied, comme si pour aller marcher en montagne, les transports motorisés étaient devenus indispensables.
Qu’il est loin le temps où la montagne imposait sa loi aux humains voulant en profiter, en leur réclamant adaptation, temps, effort, humilité. Aujourd’hui, la montagne s’aseptise et les trois massifs ceinturant Grenoble sont de plus en plus considérés comme une banale zone résidentielle et un parc d’attractions.