La CIA a-t-elle coulé le Quick ?
Le complotisme est aujourd’hui omniprésent sur internet. Dans la vraie vie grenobloise, il y a Julien (pseudo), qui dit être suivi et torturé à distance par l’OTAN. Il tient à faire connaître sa souffrance quotidienne par tous les moyens possibles. Par mail (que je reçois régulièrement), sur de larges panneaux lors des manifs contre la loi travail. Ou sur sa voiture, recouverte d’autocollants. Que se passe-t-il dans sa tête ?
Sur sa photo de profil sur Change.org, Julien apparaît détendu. Bandana blanc au front, lunettes de soleil, il est adossé contre une pierre, en montagne. Mais Julien n’est pas si détendu dans la vie IRL (in real life). Il se sent suivi par de nombreuses personnes. Et il en souffre. C’est ce qui s’appelle un « Gang stalking » comme le décrit Julien lors d’une Nuit Debout, le 20 avril : « Je leur raconte mon supplice de TI (pour Targueted Individual, une personne ciblée, ndlr). [...] Grâce à des recherches militaires secrètes débutées dans les années 50, l’OTAN et ses services secrets peuvent manipuler les esprits à distance, par satellites. » Instructif.
Julien se dit « torturé 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, depuis 18 ans » par ces services secrets. Il ressent des « douleurs atroces dans [son] ventre ». De plus, il se sent suivi. Il a d’ailleurs filmé (et mis en ligne sur Youtube) ses poursuivants, qu’il décrit comme de « faux passants » ou de « faux conducteurs ».
Ces « gang stalkers » sont supposés le suivre, où qu’il aille. Dans le cas de Julien, ce serait à cause de son orientation sexuelle. Sa vie est devenue un enfer puisque, non content de le suivre, les services secrets le torturent grâce à « plusieurs moyens […] : par des véhicules stationnés autour ou par des appartements voisins (où sont cachés des canons à micro ondes). »
Son objectif, depuis l’an dernier, est de sortir sa souffrance de l’anonymat. Parce qu’ « il faut bien que tous ici prennent conscience que demain ce problème pourrait toucher n’importe lequel d’entre nous » a-t-il lancé en avril au micro d’une AG de Nuit Debout. Pour cela, quoi de mieux que prendre la parole lors d’AG ouvertes à tous, de l’ingénieur-montagnard au punk à chiens ?
Nuit Debout, manifs et CIA
Alors fin avril, Julien a installé son stand devant la MC2. Panneaux « Stop Gang Stalking », polycopiés et bibliographies à l’appui. Au départ, tout va bien. Julien dénonce le harcèlement policier. Évidemment, dans un premier temps, l’écho est très positif à Nuit Debout. Problème : au bout de deux jours, certains nuit-deboutistes ne goûtent pas ses autres prises de positions. Ils lui enlèvent ses panneaux, lui demandent de partir. À plusieurs reprises, des gars de la sécu officieuse l’accusent : « ils m’ont dit que je représentais un mouvement complotiste et fasciste. Ils m’ont dit ‘‘il cherche à nous manipuler, à nous infiltrer, à nous récupérer et à salir notre image’’ ». Dégagé manu militari, Julien revient à la charge. D’abord en AG, où il commence par un coup de gueule au micro : « j’avais envie de m’immoler par le feu devant vous tous ! ». « C’était pour les faire réagir face à leur action de sabotage contre mon atelier » assume-t-il. Puis, il installe sa voiture, transformée en panneau ambulant, sur le parking de la MC2, cachée aux yeux de la sécurité nuit-deboutiste.
Sa volonté de faire connaître sa situation l’a aussi poussé à fréquenter les nombreuses manifestations contre la loi travail. On pouvait le distinguer sous son panneau « Notre torture est réelle », sac à dos et lunettes. Il ne s’y est pas fait que des amis. « J’ai eu des ennuis dans les manifs à cause de jeunes trotskistes qui ne m’aiment pas car je critique la mainmise de la CIA en Europe. Eux prétendent que je suis un timbré qui croit à un monde dominé par des lézards verts camouflés sous une peau humaine. Mais la vraie raison, c’est que les trotskistes ont toujours été financés par la CIA. » Gauchiste - 0. Julien - 1
A première vue, Julien pourrait paraître un peu crédule. Il s’en défend. Dans le civil, il est ingénieur système (responsable de l’installation et de la maintenance des équipements informatiques et des logiciels d’une entreprise) plutôt haut niveau et revendique un QI de 140. Il a travaillé un temps à HP en 1998. C’est d’ailleurs là où tout a commencé.
Le jour où Julien est devenu complotiste
Lors d’un déménagement au sein de sa boîte, il va faire une rencontre des plus troublantes. « J’y ai travaillé pendant deux mois, pour la hotline de l’intranet européen. Je n’y connaissais rien donc on m’a formé là-bas […] On était dans un open space. Il y a des bureaux vides. Au bout de quelques jours, un groupe s’installe dans le même open space. Finalement, je me mets à écouter (j’étais en formation, c’est bien normal). J’écoutais leur conversation franco-anglaise. Et j’ai réalisé qu’ils parlaient de moi. Ils avaient un nom de code. Ils parlaient de Nathalie. […] Les Américains qui parlaient de moi faisaient référence à ma sémantique et ma sémiologie. Ils étaient en train de faire une étude de mon comportement. Et trouver mes failles (...) Après quelques semaines, je m’énerve. Et je leur gueule dessus : ‘‘ça suffit maintenant, votre petit jeu ! Je sais qui vous êtes’’ Et la dame se lève et me demande : ‘‘mais comment tu as fait pour nous identifier ?’’ donc elle confirme. Je les ai vus face à face ! » Depuis, son cauchemar est quotidien.
Pourtant, sa prise de conscience parait bien tardive. Ce n’est qu’en 2015 que Julien tombe par hasard sur le site d’un français, sujet aux mêmes souffrances. C’est à ce moment qu’il commence à avaler des livres aux auteurs plus ou moins douteux. Dans sa bibliothèque, on retrouve le docteur Rauni Kilde (qui s’est longtemps consacré aux enlèvements extraterrestres), ou encore John Hall, spécialiste du contrôle mental.
Après HP, il part bosser un temps pour le CEA. Aujourd’hui, il est employé par une boite qui l’envoie à droite et à gauche, dans de grandes entreprises de la région. Durant l’été, il a recouvert sa voiture d’autocollants. Les mêmes qu’il brandissait à Nuit Debout ou durant les manifs : « notre souffrance est réelle. »
Son employeur n’a pas trop apprécié. « Ils m’ont fait faire des missions sous-qualifiées pour me dégoûter » : après une placardisation, Julien galère de plus en plus. « En juin, ils ont pris le prétexte de mes autocollants pour déclarer que je n’était pas sain d’esprit, alors que cela fait 18 ans que je vis ainsi. » Direct, son chef l’envoie faire une visite à la médecine du travail. Lorsqu’il prend le rendez-vous avec le doc’, Julien s’emporte. Il termine maladroitement son mail par cette phrase : « Sur ce je vous redis un : adieu. »
Ni une ni deux, la médecine du travail panique, et fait remonter l’info aux pompiers. Ces derniers débarquent chez Julien, pour tentative de suicide. Visiblement, Julien voulait encore vivre. Sa réaction ne se fera pas attendre. Suite à l’intervention des pompiers, il s’énerve : « cette mise en scène grotesque et affligeante que vous avez déclenchée chez moi dépasse les bornes. Jamais on ne m’avait humilié de cette façon, comme si j’étais un criminel, car une imbécile de fausse psychologue aurait diagnostiqué un suicidaire en puissance chez moi. Alors ne recommencez jamais une telle chose, SVP ! » Épisode cuisant s’il en est. « Il y avait un camion et cinq pompiers devant ma porte. Tous les voisins de l’immeuble regardaient la scène. »
« Dois-je vivre dans un camping car ? »
Pour le moment, Julien est en arrêt de travail. Il vient de faire parler de lui dans Le Daubé (30/08/2016) car il s’inquiète de la disparition des Quick, qui vont être transformés en Burger King, et de la disparition de ses burgers préférés. Sur Change.org, il a intitulé sa pétition : « ‘‘Burger King’’ doit garder le ‘‘Quick’n’Toast’’ et le ‘‘Long Bacon’’ et le ‘‘Giant’’ de ‘‘Quick’’ ! ». Vingt-et-une signatures pour l’instant.
Sinon, il vit dans sa maison, à l’extérieur de Grenoble. Début septembre, il n’était vraiment pas au top de sa forme : il a évacué sa maison en catastrophe pour se réfugier chez sa mère. Les douleurs qu’ils subissaient étaient trop fortes. « Le micro-ondage depuis la maison derrière la mienne était trop fort, dans tout le corps et dans le cerveau » témoigne-t-il.
La faute aux « faux voisins ». En effet, Julien surveille régulièrement les maisons qui l’entourent. Julien les accuse d’être des membres des services secrets. à chaque déménagement de l’un d’eux, il se méfie. Surtout, parce que « leurs canons à micro-ondes ne marchent vraiment bien et très fortement qu’à très courte distance » assure-t-il. Julien a compris leur petit jeu : « je vous parie qu’ils [les faux voisins, ndlr] ont tout prévu pour apparaître comme une famille normale : ils font des barbecues, ils emmènent les enfants à l’école. Ils vont travailler et ils reviennent avec des heures de bureaux. »
Régulièrement, Julien ressent ces douleurs, et demande de l’aide autour de lui. Plus précisément, il supplie : « Si les douleurs faisaient craquer ma volonté et mon mental, alors les militaires prendraient le contrôle de mon cerveau. Tel un zombie, ils me feront faire n’importe quoi. Comme massacrer des gens. »
Mais Julien a la solution. Il lui suffirait d’utiliser un brouilleur d’ondes très puissant. Ces brouilleurs sont utilisés notamment pour les électro-sensibles (des personnes souffrant des ondes wifi ou de téléphone portable, une maladie non-reconnue). Julien s’en sert pour contrer l’armée et les services secrets. Problème, ce genre d’appareil est illégal. La gendarmerie l’a d’ailleurs averti : l’Agence nationale des fréquences et de la direction du contrôle du spectre a détecté de fortes perturbations des réseaux de télécommunication sur toute la ville de Julien.
Il a dû se débrouiller autrement. Aujourd’hui, il demande à son petit cercle s’il devrait vivre « en camping-car et dormir dans des parking différents tous les soirs ? Ou bien en tente ? »