Accueil > Octobre 2016 / N°37

Fonte des budgets à Fontaine

Comme toute la gauche de gauche, les communistes sont censés être contre l’austérité. À Grenoble, ils se sont d’ailleurs insurgés contre le « plan de sauvegarde » présenté par Piolle. Mais au pouvoir, les grandes envolées lyriques sonnent souvent un peu faux. À l’heure de la baisse des dotations de l’état, comment gère-t-on les restrictions budgétaires dans la banlieue rouge ? Reportage à Fontaine où syndicalistes et agents sont de plus en plus remontés contre la politique menée par le maire Trovero.

« Il s’agit d’une politique de la terreur et du harcèlement ! L’ambiance est malsaine. » Il fut un temps où la CGT ne critiquait jamais le PCF. Époque révolue : cette phrase a été prononcée par une syndicaliste cégétiste, à propos de la « politique de management » de la municipalité communiste de Fontaine. Ces derniers temps, l’ambiance n’est pas à la franche camaraderie entre le personnel municipal fontainois et la nouvelle équipe de Jean-Paul Trovero, élu maire en 2014 après 30 ans de règne de Yannick Boulard.
Que lui reprochent les agents ? En vrac : mal-être général, restrictions budgétaires, clientélisme, gestion opaque des embauches, contractuels non renouvelés, départs à la retraite non remplacés, manque de transparence et de communication, fermeture annoncée d’équipements... À Fontaine comme ailleurs, l’heure est aux économies, la commune n’échappant pas à la baisse de la dotation générale de fonctionnement (DGF) versée par l’état aux collectivités.

Toutefois, le malaise ressenti par le personnel de la ville de Fontaine n’est pas dû uniquement à cette politique d’austérité, loin s’en faut. « La moitié de nos revendications ne sont pas financières, affirme ainsi Flora, représentante syndicale FO. On soulève également des questions de gestion et de moralité. » Illustration ce mardi 13 septembre où, suite au mouvement de grève lancé à l’appel de l’intersyndicale CGT-FO-FAFPT, près de 200 agents se sont réunis devant l’Hôtel de ville. Très vite, une immense clameur a parcouru le hall puis le premier étage : les manifestants ont envahi l’édifice, interpellant le maire au son de « Trovero, Trovero ! ». L’édile n’a alors eu d’autre choix que de venir à leur rencontre. Parmi eux, des membres de chaque service municipal : éducation, espaces verts, services techniques, entretien, bibliothèque, communication... Tous remontés comme des coucous et porteurs de revendications multiples.
Joëlle, Carine et Danielle sont fonctionnaires territoriales depuis de nombreuses années au service éducation, où le ras-le-bol est particulièrement intense. Comme la plupart de leurs collègues travaillant dans les écoles, elles rament pour joindre les deux bouts. En cause, un faible nombre d’heures et des difficultés à bénéficier des heures complémentaires, principal moyen d’arrondir les fins de mois pour les agents à temps partiel. « Le chef de service ne fait jamais remonter mon nom pour intégrer mes heures complémentaires, ça devrait être fait par ordre d’arrivée mais ce n’est pas le cas, dénonce Joëlle, titulaire à 46 %. Mais si je suis malade, je perds mes heures. L’an dernier, j’ai été opérée en juillet et je n’ai pas pris de vacances pour ne pas perdre quelques centaines d’euros. » Danielle est encore plus remontée : « Quand les gens parlent trop, on les met au placard. Depuis la rentrée, on m’a retirée des cantines pour me mettre au ménage aux services techniques et enlevé toutes mes heures complémentaires, tout ça car je fais partie du syndicat ! »

« On est dans le flou total »

Flora égrène les maux de la gestion municipale : « une impression de flou, un certain clientélisme, des règles d’embauches peu claires. » Un de ses collègues n’hésite pas à accuser : « Ça permet à certains élus ou chefs de service d’embaucher les gens qu’ils veulent. » Stéphanie, secrétaire de la CGT Territoriaux Fontaine, pointe quant à elle la « forte pression subie par les agents, dont beaucoup sont en alerte RPS (risques psychosociaux). Mais à chaque fois qu’on sollicite un rendez-vous auprès de la hiérarchie, on nous répond que ces personnes sont fragiles. »
Patrick, employé aux services techniques depuis neuf ans, confirme : « Une grande partie du personnel est en état de souffrance ». S’il admet que « Jean-Paul Trovero subit aussi les conséquences de la baisse des dotations de l’état », il estime néanmoins qu’ « aucune organisation n’a été mise en place » pour y faire face : « Quand un départ à la retraite n’est pas remplacé, la mission est reprise par un agent. Tous les profils de poste ne sont pas refondés par rapport aux nouvelles missions. On est dans le flou total ! Pour mon cas personnel, on est passé en octobre 2015 de quatre agents à deux, dont un reclassement. Il y a quelques mois, j’ai dû faire un séjour aux urgences cardiologiques à la clinique Belledonne : rien n’avait été préparé, ça a désorganisé le service. »

« On nous demande de maintenir le même niveau de service public avec moins de personnel », s’insurge Stéphanie. Cas plutôt frappant, celui de la bibliothèque municipale. Après consultation du personnel et de la population, elle a vu augmenter ses horaires d’ouverture et le nombre de ses animations. Mais en même temps, la structure a perdu un des deux postes de l’espace multimédia, occupé par un agent en CDD depuis des années. Les agents sont ainsi floués à double titre. D’une part car ils se retrouvent en porte-à-faux vis-à-vis du public. D’autre part car la bibliothèque est maintenant citée en exemple par la municipalité, sur le mode « comment faire plus avec moins de moyens »... Une expérience que les élus seraient tentés d’appliquer à d’autres services.

Projet de fusion des centres sociaux

Soumis à un feu roulant de questions, Jean-Paul Trovero a répondu aux agents comme il l’avait fait avec nous quelques jours plus tôt : en causant chiffres et gros sous. Rappelant que la baisse des dotations de l’état entraîne pour Fontaine une perte de 1,7 million d’euros [pour un budget de fonctionnement 2016 de 28,8 millions d’euros], le maire nous a détaillé les principaux leviers utilisés pour réaliser des économies : la réduction de la masse salariale (19 postes transférés à la Métropole et 10 postes supprimés) et la hausse de 6 % des impôts locaux. Quid des équipements ? Fontaine suivra-t-elle l’exemple grenoblois ? « Pour l’instant, aucune décision n’a été prise mais j’ai demandé à chaque élu et service de réfléchir à la pertinence de chaque équipement pour maintenir un service public de qualité », répond-il.

Stéphanie croit savoir que trois d’entre eux seraient voués à fermer : la salle Jean Jaurès, le gymnase Berlioz et le centre de loisirs de Saint-Nizier-du-Moucherotte, basé dans la commune du Vercors mais géré par la ville de Fontaine. « La salle Jean Jaurès est depuis longtemps prévue à la démolition, même sans mesure d’austérité, et l’espace Fugain a été construit sur le même périmètre, précise l’édile. Quant à la disparition potentielle du gymnase Berlioz, elle a déjà été actée dans le cadre de la ZAC Portes du Vercors. »
Dernier point chaud, peut-être le plus polémique : le projet de fusion des centre sociaux Romain Rolland et George Sand qui, selon une source bien informée, serait bien dans les cartons. Un dossier sur lequel le maire ne se mouille pas, tout en confirmant qu’ « une réflexion est en effet menée sur l’avenir des deux centres sociaux ».
Si l’impact de la baisse des dotations de l’état est une réalité qu’admet sans problème Stéphanie, existe-t-il des choix politiques alternatifs permettant de limiter la casse, pour les agents comme pour les habitants ? « On pourrait déjà évoquer l’embauche de cinq personnes au cabinet par M. Trovero, contre une seule pour M. Boulard, souligne cette dernière. Ou alors revenir sur l’achat de voitures de fonction neuves pour les élus. » Dans l’édito du Fontaine rive gauche d’avril 2017, Jean-Paul Trovero s’est par ailleurs vanté de « diminuer de 10 % [son] indemnité et de supprimer un poste de collaborateur du maire ». Mais il oublie de préciser une chose, rappelle un agent : « Sa première décision d’élu a été d’augmenter son indemnité », fixée à 4356 euros brut, soit un montant supérieur à celle du maire de Grenoble (4219 euros). La gratuité du périscolaire ou des bibliothèques, acquis à mettre au crédit des communistes, est en revanche peu discutée. Cependant, Flora avance elle aussi quelques « pistes d’économies », évoquant « le nombre de cadres et de catégories A embauchés et les cabinets extérieurs grassement payés pour réaliser des enquêtes. » Et puis, la jeune femme rappelle une évidence : « La baisse des dotations, c’est M. Trovero qui l’applique. Il a voulu se présenter, qu’il assume d’être notre employeur. »  

En Isère, c’est l’austérité partout
Malgré l’annonce par le gouvernement, début juin, d’une réduction de moitié de la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF), le budget des communes reste fortement affecté par ce manque à gagner. Comme à Grenoble ou Fontaine, les plans d’austérité sont devenus la norme partout dans l’agglomération et le département. Et à chaque fois, « la principale variable d’ajustement est le personnel territorial, à droite comme à gauche », déplore Damien Martinez, secrétaire départemental de la CGT services publics. Non remplacement des départs en retraite, restructuration des services... Autant de mesures sources de mal-être pour le personnel : « On a vu le mouvement de grève à Fontaine, à Saint-Martin-d’Hères les agents se sont mobilisés plusieurs fois, à Bourgoin idem. On constate aussi une explosion des arrêts maladie : à Roussillon, c’est plus 458 jours. » Pour l’instant, peu de communes ont annoncé des fermetures d’équipements mais ça ne saurait tarder. À Meylan, où la DGF est réduite de 800 000 euros, le premier adjoint Jean-Claude Peyrin (Républicains) estime, dans le bulletin municipal, « ne plus avoir les moyens d’offrir le niveau d’équipement habituellement réservé à une ville de 30 000 habitants et [qu’ils] devront se résoudre à réduire la voilure ». Il affirmait cependant, en 2015, vouloir « maintenir, parmi les investissements prioritaires, la vidéo-protection » et « réaliser un dispositif anti-intrusion dans le parc du Bruchet ». Comme quoi, certaines décisions relèvent encore de choix politiques assumés...