« Avec la biologie de synthèse, vous avez un avantage, c’est que le grand public pour le moment ne connaît pas. Et donc vous n’avez pas encore de réaction par rapport à cela ». Ces propos sont du député socialiste Daniel Raoul, qui s’adresse à Geneviève Fioraso lors d’une table ronde de l’OPECST à propos de la biologie de synthèse. Cet « avantage », Fioraso entend bien le conserver et écrit son rapport pour proposer des solutions afin qu’il n’y ait « pas de réaction par rapport à cela ».
Qu’est-ce « cela » ? La biologie de synthèse est une discipline émergente, « science » pour les uns, « technologie » voire « technoscience » pour les autres. Ce serait « l’exemple, par excellence, de technologies convergentes, relevant à la fois de la nanotechnologie, de la biotechnologie et des technologies de l’information », les fameuses « NBIC » (Nano-Bio-Info-Cogno), tant promues par les transhumanistes pour « améliorer » l’homme par la technologie et œuvrer au développement de cyborgs.
Le but de la biologie de synthèse est d’assembler les organismes vivants. C’est la fameuse image du jeu de Lego où les briques sont des séquences ADN. En maniant l’électronique, l’informatique, la cybernétique et le vivant, les spécialistes veulent créer des virus, des bactéries artificielles et autres organismes vivants inédits. Ils parlent de « nouveaux OGM », voire d’ « OEGM, organismes entièrement génétiquement modifiés » (Le Monde, 23/05/2010).
En clair, il s’agit de recréer la vie par des moyens artificiels, afin de dominer « la complexité du vivant », ce « verrou à lever pour la biologie de synthèse » selon Fioraso. En recréant artificiellement l’assemblage hasardeux des molécules du vivant, le but est de tout artificialiser pour tout rationaliser. Une volonté de contrôle total, où le hasard de la nature n’a plus sa place.
Pour la nouvelle ministre de la recherche, la biologie de synthèse va sauver le monde : « le potentiel des applications de la biologie de synthèse concerne tous les enjeux auxquels notre planète et ses habitants sont aujourd’hui confrontés : des bio-carburants moins consommateurs d’énergie et moins émetteurs de gaz à effet de serre, de nouvelles thérapies, plus ciblées, plus efficaces et comportant moins d’effets secondaires, la lutte contre les pandémies, le développement de technologies de bio-remédiation utiles à la dépollution, et plus généralement la recherche fondamentale en biologie, la santé, l’alimentation, l’environnement, la chimie verte, les biomatériaux, l’énergie, etc. »
Le paradis. Imaginez : outre l’émergence d’une « nouvelle génération de biocarburants », la biologie pourrait « contribuer à fabriquer de l’électricité synthétique », de quoi ravir ceux qui jugent notre consommation d’énergie non-négociable. Elle pourrait également sauver l’agriculture par le « développement de nouvelles cultures transformées » ou par « la production de nouveaux types de pesticides, qui ne créeraient pas de dommages pour l’environnement et la santé ». Bref, la biologie de synthèse entend apporter des solutions technologiques aux nuisances résultant d’autres technologies (cancers, maladies, pollution, surconsommation d’électricité). La députée-proche-du-peuple oublie de citer, parmi « tous les enjeux auxquels notre planète et ses habitants sont aujourd’hui confrontés », la dictature de l’économie, l’écart croissant entre dominants et dominés, ou la déliquescence des liens sociaux. Est-ce parce que la biologie de synthèse ne fera qu’accroître ces désastres ?
Quant on fait de la biologie de synthèse, on risque des accidents de biologie de synthèse. Selon Fioraso, « les spécialistes sont, en matière de bio-sûreté, confrontés à un double risque : celui du bioterrorisme, dont le détournement éventuel de la BS à des fins terroristes est un aspect, et celui de la biologie dite ‘‘de garage’’ facilitée par la vente en ligne de séquences d’ADN ». Mais si elle en parle, c’est avant tout pour minimiser l’avis de ceux qui s’inquiètent : « Malgré de fortes divergences d’appréciation, les scientifiques s’accordent tous sur le fait qu’il existe des moyens de nuire plus simples et plus dangereux que les produits de la BS [NDR : BS désigne la biologie de synthèse dans le rapport] - comme l’anthrax. Ce point de vue est toutefois contesté par le professeur Pier Luigi Luisi, qui estime que, parce que la BS peut créer des formes de vie nouvelles contre lesquelles il n’existe pas de défense, possible, elle est susceptible de présenter des risques supérieurs à l’anthrax ».
L’ancienne cadre de start-up Fioraso ne veut surtout pas que ces risques empêchent le développement de la biologie de synthèse. Elle rassure, en prônant « en parallèle à la recherche fondamentale et à la recherche appliquée de la BS, encore largement en amont des applications industrielles à grande échelle, des recherches en biosécurité, en bio-sûreté et en écotoxicologie ».
Il est facile de deviner le destin de ces recherches, à peu près aussi utiles que les recherches sur la radioactivité menées « en amont de la construction des centrales » l’ont été aux victimes de Tchernobyl et Fukushima. D’autant que Fioraso refuse tout arrêt de la recherche et de l’innovation en biologie de synthèse, le temps de savoir la nature exacte des dangers. Elle plaide pour « une nouvelle approche du principe de précaution. Loin de moi l’idée de vouloir remettre en cause ce principe intégré dans notre Constitution, mais il m’apparaît nécessaire de revenir à son état d’esprit initial, en réaffirmant qu’il est un principe d’action, et pas un principe ‘‘de parapluie’’ ou un frein qui empêcherait les recherches ».
Le risque pour Fioraso, ce n’est pas la fabrication de nouvelles armes bio-chimiques, ni la guerre bactériologique, mais que la France soit « distancée par les autres pays » dans la course à la biologie de synthèse.
Il faut donc éviter toute contestation semblable à celle qui a gêné le développement des OGM ou des nanotechnologies. Fioraso tente de tirer des leçons des échecs passés. « Si l’on présente la biologie de synthèse comme l’eldorado de la biologie du XXIe siècle, on prend en effet le risque de susciter des craintes, de la part des médias, des politiques, du public ». A propos du débat sur les nanotechnologies, « on ne peut que déplorer la méthode choisie qui – en affichant ses prétentions médiatiques, et en refusant de cadrer les questions – a donné un appel d’air aux contestations les plus extrêmes et a ainsi suscité son propre échec. Ce constat orientera nos préconisations pour la BS ». Autrement dit, on fera un débat très « cadré » et surtout « loin des médias ». Entre députés, chercheurs et industriels ?
Conclusion ? « Il apparaît donc opportun et raisonnable d’adopter une approche positive des potentialités offertes par la biologie de synthèse. D’ailleurs, l’attitude ouverte de l’opinion publique à l’égard des applications médicales des OGM démontre que les avancées auxquelles il sera possible de parvenir, grâce à la biologie de synthèse dans le traitement de maladies telles que le paludisme ou le cancer, peuvent bénéficier d’un a priori favorable. De même, la question de l’accès à l’énergie est cruciale ». Voilà un manuel de manipulation de l’« opinion publique » pour scientistes, déroulant la meilleure façon de vendre leur produit. Fioraso milite dans ses recommandations finales « pour un développement maîtrisé, en toute transparence, de la biologie de synthèse » en mettant en place « une filière complète et intégrée » notamment par les très grenobloises « synergies entre l’industrie et la recherche ».
Pour y parvenir, la ministre aimerait compter sur les journalistes, qu’elle voudrait mieux formater : « Je déplore que les médias soient très peu formés aux questions scientifiques, sauf de rares exceptions. Au Royaume-Uni, les journalistes sont accueillis régulièrement par la Royal Society, pour prendre connaissance de l’état de l’art dans un champ scientifique. Il conviendrait de poser la question aux Académies pour qu’elles se tournent également vers les journalistes. On peut regretter que ceux-ci aient des a priori, car au lieu de décrire la science, ils l’interprètent ».
Pour la patronne de la SEM Minatec, la science, ce n’est pas de la politique. Il n’y a qu’à « décrire », pas à « interpréter ». Comme si la technologie devait fatalement piloter le monde. Comme s’il était impossible de s’interroger sur ce fait politique et de le contester.
Dans la pensée de Fioraso, la contestation du développement technologique comme idéal social est inconcevable. C’est au supposé philosophe Jean-Marie Besnier de lui expliquer – en vain - lors d’une table ronde de l’OPECST les intentions des opposants aux débats sur les nanotechnologies : « Ils posaient la question : pourquoi veut-on ce monde-là ? Ils ne posaient pas la question de savoir si les chaussettes avec nanoparticules étaient nocives ou pas. Ils posaient la question : pourquoi voulez-vous qu’on fasse ce monde-là ? » Et c’est cette même question que l’on doit poser à propos de la biologie de synthèse.
1 – Toutes les citations de ce texte sont issues du rapport de Geneviève Fioraso sur la biologie de synthèse, disponible sur le site internet de l’assemblée nationale.