Accueil > Avril / Mai 2012 / N°15
Eve : une tentative de putsch avortée
C’est une histoire d’association étudiante. Une assemblée générale tendue, un syndicat étudiant, l’Unef, désirant être éternellement majoritaire, une tentative de putsch, un contre-putsch, etc. Au premier abord rien de très intéressant pour les Grenoblois n’ayant jamais connu le campus, ou l’ayant quitté depuis longtemps. Mais en fait cette affaire nous concerne tous. Tout d’abord parce que la salle Eve (Espace de Vie Etudiante), même si elle est implantée sur le campus, est une des principales salles associatives de la cuvette et qu’elle a déjà dépanné nombre de groupes à la recherche d’un espace. Mais aussi parce que certains anciens militants de l’Unef sont aujourd’hui adjoints à la mairie (Jérôme Safar, Hélène Vincent, Laure Masson, etc) et ont su tirer profit de leurs méthodes militantes de jeunesse pour aujourd’hui gérer la ville. Observons un peu comment agissent leurs potentiels successeurs.
Vendredi 9 mars, 18h, à l’Espace de Vie Etudiante (Eve), une foule dense fait la queue pour pouvoir rentrer dans la grande salle. Les adhérents d’ Éponyme, l’association qui gère Eve, sont appelés au vote pour élire cinq bénévoles au conseil d’administration. D’ordinaire, cette élection est une simple routine, calme et paisible, mais aujourd’hui les enjeux sont politiques et la tension est grande. Plus de 200 personnes sont présentes et environ 70 d’entre elles possédent une procuration pour voter à la place de quelqu’un d’autre. Pourquoi un tel engouement ? Parce qu’aujourd’hui deux camps s’affrontent : d’un côté l’Unef (et ses inféodés), et en face « les autres », simples adhérents de l’association éponyme et/ou membres des dizaines d’associations adhérentes et partenaires de Eve depuis 8 ans.
Depuis le début du projet en 2003, les activités (bar, événements ou accueil d’associations) au sein d’Eve sont gérées par l’association étudiante éponyme. Mais depuis sa naissance, l’association est pilotée par le syndicat Union Nationale des Etudiants de France (Unef). Les conseils d’administration, composés majoritairement de membres de l’Unef, ont donc toujours bien pris soin de ne pas donner de pouvoirs à l’assemblée générale et d’élire des présidents estampillés « Unef ».
Depuis 2011, la gestion étudiante d’Eve est remise en cause par les présidents des universités de Grenoble, ce qui a entraîné un vaste mouvement de contestation (voir encart). Cette crise a à la fois soudé les utilisateurs pour la défense du bâtiment et ravivé les tensions entre l’Unef et les associatifs. Cette assemblée générale du 9 mars est donc un enjeu majeur pour le futur du bâtiment et pour l’Unef. Car LE syndicat étudiant - comme ils aiment s’auto-définir - est aujourd’hui en mauvaise santé. Si par un glorieux passé, ses membres ont régné sur le campus avant de briller au sein de nos institutions (comme Hélène Vincent ou Laure Masson, devenues depuis réspectivement adjointes à la jeunesse et à la démocratie participative à la mairie de Grenoble), aujourd’hui la section grenobloise gigote à peine. Le syndicat est discrédité par la cogestion incessante de la direction parisienne avec les gouvernants (ou par diverses affaires peu glorieuses à Grenoble [1]) et pris en étau d’un côté par les syndicats FSE (Fédération Syndicale Etudiante) et CNT (Confédération Nationale du Travail) et de l’autre par les corporations étudiantes.
Si la machine à faire des cartes d’adhérents marche encore grâce à des techniques de marketing rodées, les militants sont de moins en moins nombreux suite à une vague de démissions.
Le bureau national tente de réanimer la bête, envoyant tout d’abord une « suivie » - comme on dit dans le jargon - en la personne de Sandra Carvalho (chargée de communication au bureau national de l’Unef, étudiante en Master 2 de communication à Bordeaux), et mettant récemment la section sous tutelle de sa voisine lyonnaise. Pour eux, le moindre espace de pouvoir doit être durement sauvegardé et leur contrôle sur l’espace Eve leur permet d’avoir une bonne visibilité et d’être indispensables à la vie étudiante grenobloise.
Dès février lors de l’élection des membres « associations » (au nombre de 5) du Conseil d’Administration. d’Éponyme, les syndicalistes font adhérer, pour peser un peu plus dans le vote, des structures proches de l’Unef telles que Coopérative Etudiante de Grenoble, la mutuelle étudiante LMDE, le Mouvement des Jeunes Socialistes, l’Unel (LE syndicat lycéen) ou l’Association des Etudiants Vietnamiens. Cette fois, ça marche : bureaucratie hégémoniste : 1 – associatifs indépendants : 0.
Mais pour cette assemblée générale du 9 mars, les choses s’annoncent plus compliquées car des adhérents non-encartés ont lancé une rébellion sous le titre « Sauvons Éponyme », en proposant des motions à l’ordre du jour et en présentant pour les élections des membres « associatifs », non encartés à l’Unef. Leur objectif plus ou moins avoué est de casser l’hégémonie du « syndicat ».
Pour rester majoritaire, les membres locaux de l’Unef utilisent la fameuse méthode Carignon (voir Le Postillon n°9) en faisant adhérer un maximum n’ayant rien à voir avec la structure. Ils organisent donc la venue de nombreux « amis » militants Unef de toute la France ; la présidente Unef Grenoble (Katia Bacher) ayant assez d’audace pour faire des cartes d’adhérents à éponyme à la chaîne pour ses petits camarades qui viendront remplir les urnes. Car ici on noyaute et on assume. En face les « associatifs » ont été obligés de réagir : après avoir diffusé un texte de ralliement signé par 90 personnes, ils ont incité des utilisateurs du bâtiment à adhérer à l’association et à venir à l’assemblée générale, afin de contrer la tentative de putsch.
Face à cet afflux, l’Unef tente une magouille : suite à des vérifications zélées à l’entrée, l’assemblée générale commence avec plus de deux heures de retard, ce qui arrange bien le syndicat qui compte sur le découragement des simples étudiants pour pouvoir faire le vote en majorité. Le fier militant unéfien, a, quant à lui, toute la nuit pour voter. Il faut dire que l’Unef nous offre ce soir-là un magnifique panorama des villes françaises avec la venue de militants lyonnais, stéphanois et parisiens ou encore bordelais, et nous fait l’honneur de présenter une partie des élites nationales : en guest star on peut donc reconnaître Sandra Carvalho (voir plus haut), Benoît Soulier (responsable national de la communication et étudiant en Master 1 Infocom à Lyon 2) et Nicolas Merigot (membre du burau national et étudiant à Evry). Que des têtes qui dans le coin ne sont connues ni d’Eve, ni d’Adam.
En plus de ses dévoués, l’Unef a fait appel à ses fidèles alliés, à savoir les Jeunes socialistes, dont les membres isérois sont présents en nombre. Tous ces clones voteront comme un seul homme, ou plutôt deux, car chacun est muni d’une procuration...
Mais cela ne suffit pas : proposées par la mouvance « associative », deux motions (et une troisième proposée en réaction par l’Unef) sont placées à l’ordre du jour, au grand dam de l’ancienne présidente Unef et actuelle du CA d’Éponyme Hayat Loulki qui dirige la séance avec autorité. Les trois motions sont votées, les deux premières portant sur la convocation d’une assemblée générale extraordinaire souveraine dont le but est notamment de modifier les statuts de l’association, ainsi que de refuser de signer une nouvelle DSP (délégation de service public, qui permet pour l’instant à Éponyme de gérer le bâtiment) si elle n’est pas en gestion étudiante et associative.
Premier échec pour les bureaucrates qui tenteront quand même de se battre jusqu’au bout. Mais malgré de magnifiques discours lyriques plein d’assurance et de certitudes, les apprentis-politiciens ne gagneront qu’un siège sur les cinq mis au vote. Il s’agit donc d’une défaite pour LE syndicat, qui a dû payer beaucoup de billets de train pour rien. Si la victoire n’est pas totale pour les « associatifs », l’Unef étant toujours en position majoritaire au sein d’Éponyme (11 membres sur 19 au CA), les adhérents sont parvenus à repousser le putsch.
Bureaucratie hégémoniste : 1 – associatifs indépendants : 1.
À minuit, l’assemblée générale est enfin terminée. Peu après et un peu plus loin, des dizaines d’œufs et quelques navets volent - en guise de cadeau d’adieu (ou peut-être d’au revoir) - sur les cadres de l’Unef. Qui repartent dans leur ville respective finalement couverts de la couleur de leur syndicat : jaune.
La gestion étudiante d’Eve menacée
Depuis 2011, l’avenir d’Eve est incertain. Des rumeurs lancées par les divers politiciens de la vie étudiante grenobloise et par le recteur lui-même décrient une mauvaise gestion étudiante de l’endroit. Le Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES), nouvelle mégastructure préfigurant la future Université unique de Grenoble, a donc répété sa volonté depuis plusieurs mois de retirer la Délégation de Service Public (DSP) à Éponyme pour organiser une gestion tripartite de Eve, en confiant la gestion du bar (et donc l’autofinancement de l’association) au privé ou au CROUS, en prenant le contrôle du personnel et du matériel et de l’utilisation des salles. Le but : ne rien laisser faire aux étudiants et à leurs associations par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Face à cette attaque, un comité d’usagers s’est monté avec le soutien de 1700 signataires et plus de 50 associations [2]. Ils ont réussi pour l’instant à faire reculer le PRES, qui a prolongé la gestion étudiante jusqu’à septembre alors qu’elle devait s’arrêter initialement en mars. La suite est très incertaine et le comité de soutien appelle à la poursuite de la mobilisation.
Notes
[1] Notamment le bidonnage d’une interview pour Grenews, où le président de l’Unef de l’époque avait menti au journaliste en se faisant passer pour un étudiant à la rue.