Accueil > Décembre 2011 / N°13

Ri-poste mediatique

En pleine grève, La Poste peut remercier Grenews

Fin octobre, alors que les facteurs du bureau de Poste d’Échirolles sont en grève depuis un mois [1] et décident de camper devant la direction régionale de La Poste dans le centre ville de Grenoble, Grenews publie (n°161) une double page intitulée «  Grenoble : on a distribué votre courrier   ». L’angle de traitement du sujet est simple  : le journaliste suit un facteur sur sa tournée toute une matinée. Il en a ramené quelques photos sympas et un papier. Deux pages qui auraient pu sortir tout droit des tiroirs du service communication de La Poste surtout en cette période de conflit social. Cet article a énervé certains facteurs. Lucile [2] , vénère, qui a travaillé au bureau Lionel-Terray, celui-là même où a été réalisé le «  reportage  » se livre à un petit démontage médiatique. Elle commente et complète pour Le Postillon quelques passages du papier de Grenews.

Grenews se lève tôt et témoigne : «  Il est 7h30 : Geneviève Serniguet, directrice de La Poste Grenoble Lionel-Terray, arrive sur place (…) Geneviève Serniguet détaille les différents services   ».
Lucile : «  Tiens, étrangement elle oublie de préciser que dans ce bureau, ils se sont chopé l’inspection du travail et ils vont avoir sûrement des PV, parce qu’il y a plein de facteurs qui finissent après l’heure. Elle a aussi oublié de parler de sa note interne qui a suivi, disant qu’à cause de l’inspection du travail, les chefs allaient devoir accentuer la surveillance et contrôler les cadences. Notamment en notant tous les facteurs qui partiront après 10h en tournée, jugés alors trop lents voire même soupçonnés de le faire exprès. La bonne tactique patronale de la terreur quoi, pour étouffer leurs torts. Heureusement les syndicats ont cassé cette note interne  ».


Grenews :
«  8h15. Petite pause café-clope. Excellente ambiance dans la plateforme de tri  ».
Lucile : «  Les postiers dont Grenews parle c’est une petite bande de facteurs qui ont des postes de «  sous-chefs  » créés par l’organisation de travail «  facteur d’avenir  » (cf Le Postillon numéro 8), même si officiellement ils n’ont pas de statut hiérarchique. Certains d’entre eux imaginent sûrement grimper les échelons et avoir des promos. Et ils participent bien au déni de la dégradation de nos conditions de travail : «  Oh ça y est il/elle fait sa pleureuse  », «  Tu te plains encore, il/elle est jamais content(e) celle/celui-là  », ou encore «  roh ça va c’est pas la mer à boire  », sont les petites phrases quotidiennes pour caricaturer et étouffer les contestations.
Grenews a peut-être oublié ce jour-là d’observer le reste du bureau : les gens sont surtout chacun assez tristes devant leurs casiers et il n’y a plus beaucoup de personne qui parlent. Et pour la majorité la «  p’tite pause café-clope  » s’est transformée en «  pas l’temps 
  ».

Grenews suit Jonathan : «  27 ans, bon vivant, papa d’une petite fille de 15 mois, facteur depuis 6 ans. C’est lui qu’on va suivre aujourd’hui sur ‘‘sa’’ tournée (…) 12H15 retour vers la Poste Lionel-Terray. (…) Jonathan finira son service dans l’heure après avoir traité les rebuts, les réexpéditions et les recommandés   ».
Lucile : «  Jonathan, c’est un facteur d’équipe, ça Grenews ne le précise pas. En fait il a une tournée allégée pour aller aider les rouleurs (facteurs qui n’ont pas de tournée fixe) qui eux ont des tournées normales et qui finissent parfois à 14h voire après... Vu qu’ils n’ont finalement pas l’aide de leur facteur d’équipe qui lui arrivera à finir à l’heure voire avant   ».

Grenews donne de nouveau la parole à la directrice : « 8h45  : la directrice nous parle des engins électriques  : les ‘‘quatre Berlingos très silencieux et les vélos qui réduisent les troubles musculo-squelettique (TMS)’’  ». Elle aimerait en avoir plus à l’avenir   ».
Lucile : «  Y a deux ou trois vélos électriques pour 60 facteurs. Quand t’arrives en CDI, t’es censé avoir un vélo (non électrique), moi ils m’ont donné un vélo tout pourri. Ils sont tous dans un état catastrophique. On a tous des sciatiques à cause du tri et des à-coups en vélo. Les facteurs sont de plus en plus stressés et tendus, alors leurs dos morflent plus. Et encore plus avec l’accumulation de fins de semaine surchargées. Je pense que s’il y avait un réel contrôle au niveau des arrêts maladie causés par les maladies professionnelles musculo-squelettiques, La Poste aurait de nombreux comptes à rendre...  »

Grenews : «  11h49 : La plupart du courrier que l’on distribue est administratif, affirme Jonathan. Je crois que le courrier de particulier à particulier représente 3% du trafic   ».
Lucile : «  Ça c’est un chiffre de la com’ de La Poste, il a bien récité son texte. Le courrier de particulier à particulier, une lettre toute simple, ça leur rapporte pas beaucoup de fric. La Poste préfère les gros contrats de pub ou des courriers d’entreprises. Grenews n’en fait pas mention mais je pense que la publicité représente la moitié du courrier qu’on distribue, c’est énorme   ».

L’hebdomadaire complète son publi-reportage avec trois petits encarts, le premier est intitulé «  Le conflit  » qui évoque la grève en cours, le second «  La plateforme  » qui vante la mécanisation du centre de tri de Sassenage et le dernier liste les bureaux de poste de la ville.
Lucile : «  Le petit encadré sur le conflit ? Ouais, c’est cool  ! Forcément quand tu lis ça après les énormes deux pages où on te fait croire que tout va bien, que le mec il rentre à l’heure, qu’il a un boulot sympa, tu te dis que ça fait pitié leur conflit. Ça décrédibilise complétement cette lutte. C’est écrit «  Une vingtaine de facteurs  », comme si c’était une douzaine d’œufs. Peut être qu’ils étaient vingt à Échirolles mais ils ont rassemblé énormément de facteurs dans les autres bureaux de Poste qui n’arrivent pas à créer des grèves aussi solides. Y a plein de bureaux où les facteurs aimeraient lutter comme à Échirolles   ».

Grenews traite le conflit en «  portant la plume dans la plaie  » tel Albert Londres : «  Cette dernière [la direction] estime avoir fait, après négociations, «  des propositions concrètes  » jugées alors insuffisantes par les grévistes  ».
Lucile : «  On comprend rien à leur encart sur la grève. Ces trois petits points ca fait comme si c’était «  T’as vu la direction a quand même fait des efforts mais c’est les grévistes qui trouvent que c’est insuffisant et en plus ils ne veulent rien entendre   ».

Grenews : «  La Plateforme. Le centre de tir de Sassenage est un formidable outil logistique qui permet d’organiser les flux et d’affiner le tri pour une meilleure distribution   ».
Lucile : «  Il faut rappeler qu’une centaine d’emplois ont disparu au centre de tri de La Poste en cinq ans. Et la mécanisation, c’est surtout un outil de gestion du personnel, les machines ça risque pas de faire grève ...
Ces machines font du tri mécanique. La boîte nous dit pour justifier ses réorganisations de tournées (tournées augmentées en trajet pour supprimer des postes) que grâce aux machines, le facteur est «  allégé  » sur le tri qu’il effectue le matin et gagne donc du temps. Mais en réalité ça foire. Tous les jours, y a au moins une caissette de courrier sur trois qui n’est pas triée comme elle devrait l’être
  ».

Lucile conclut «  Pourquoi Grenews n’ a pas fait deux pages sur le conflit social du bureau d’Échirolles au moment de la grève plutôt que ces deux pages de publicité ?  »

Notes

[1Les postiers luttaient contre une énième restructuration de leur bureau qui allait entrainer la suppression de 4 tournées et 5 emplois. Ils ont finalement réussi à faire reculer, en partie, la direction de La Poste en maintenant 2,34 emplois et deux tournées. De plus, 6 CDD passeront en CDI.

[2Pseudo.