La chambre régionale des comptes semble avoir une petite passion pour la ville d’Échirolles, troisième ville du département avec 36 000 habitants. Quatre ans seulement après son dernier rapport, elle a effectué un nouveau rapport de gestion, rendu au mois de septembre. Entre autres éléments, on a vu réapparaître un nom qu’on croyait disparu de la vie politique.
Emmanuel Chumiatcher. Ancien adjoint au bétonnage entre 2008 et 2020, il est connu comme le spécialiste des allers-retours express entre la majorité et l’opposition. Jugez plutôt :
En 2013, alors quatrième adjoint « à l’aménagement urbain » dans la municipalité d’union de la gauche dirigée par le communiste Renzo Sulli, il crée avec les autres membres du Parti socialiste, ceux d’Europe-Écologie-Les-Verts et des membres du Modem, la liste « Échirolles, c’est vous ! » Après avoir porté pendant des mois la nécessité d’une liste alternative à celle menée par le maire PCF Renzo Sulli, il jette finalement l’éponge fin novembre 2013, juste avant la primaire devant décider du nom de la tête de liste, qu’il convoitait. Si certains de ses ex-colistiers pensent qu’il est parti parce qu’il allait perdre cette primaire, lui évoque des désaccords politiques, autour du positionnement politique et de la nécessité de s’allier avec Renzo Sulli au second tour. N’empêche que sa désertion trouvera un heureux débouché : Renzo Sulli lui trouvera finalement une place sur sa liste et il sera de nouveau adjoint pendant le mandat 2014 – 2020, à la deuxième place cette fois, toujours « à l’aménagement urbain ».
En 2019, rebelote ! Emmanuel Chumiatcher s’engage avec la liste dissidente Échirolles A’Venir, menée par le membre de la France insoumise Alban Rosa. En septembre, il déclare au Daubé avoir une « totale confiance en Alban Rosa pour mener de front les grands enjeux de la Ville et de la Métropole » (29/07/2019). Ses mots envers la quatrième candidature de Renzo Sulli sont assez durs : « Ce n’est pas une candidature qui met au cœur l’intérêt de la ville : il demande plutôt un chèque en blanc aux Échirollois. En faisant ça, il vole la démocratie aux Échirollois. » Cette fois, les liens avec l’éternel maire semblent définitivement coupés. Mais en février 2020, nouveau coup de théâtre : il quitte la liste Échirolles A’Venir, arguant cette fois de désaccords sur les sujets de l’aménagement urbain, la liste dissidente critiquant trop le « bétonnage » qu’il a porté pendant deux mandats.
Aujourd’hui, il se défend : « J’ai été carré sur mes convictions. C’est les autres membres de la liste qui ont changé d’avis : pourquoi ont-ils dit qu’on était des bétonneurs, alors qu’ils avaient voté toutes les délibérations sur l’aménagement urbain ? Où est la cohérence ? » Alban Rosa donne sa version : « Il visait la deuxième place de la liste : comme on ne la lui a pas donnée, il a prétexté un désaccord pour se barrer. » Cette fois, son changement de fusil d’épaule se réalise trop tard, à un mois des municipales : il ne peut donc pas intégrer la liste de Sulli. Ça ne l’empêche pas de soutenir finalement publiquement celui qui « vole la démocratie aux Échirollois ». De façon totalement désintéressée ?
En se plongeant dans le parcours d’Emmanuel Chumiatcher, on peut raconter une histoire du Parti socialiste. Ayant grandi en banlieue parisienne, il se fait les dents dans le syndicat étudiant Unef à la fin des années 1980, abandonnant rapidement ses études pour gravir les échelons : gérant de l’Unef-Id, secrétaire général de SOS-Racisme. Fort classiquement, il décide comme la plupart de ses camarades d’entrer en politique, dans l’aile gauche du parti socialiste, tendance Julien Dray et Mélenchon. Reste la question de l’implantation électorale : avec d’autres « camarades », Élisa Martin, Laurent Berthet, Olivier Royer, ils décident de « se parachuter » dans l’agglomération grenobloise, d’où vient Olivier Royer qui raconte : « On s’est investi dans la fédération du PS de l’Isère, où s’affrontaient Destot, Migaud et Vallini. Suivant les moments, Chumiatcher défendait tout et son contraire. » En 2001, tous les deux – Royer et Chumiatcher – sont élus à Échirolles, rejoignant ainsi Laurent Berthet, élu depuis 1995, Elisa Martin ayant choisi elle Saint-Martin-d’Hères.
La tradition veut que les militants zélés ont quelques facilités à trouver du travail dans les collectivités gérées par les membres de leur parti. Chumiatcher en obtient un à la communauté de communes de Grenoble, au sein du Plie (plan local d’insertion et d’emploi). Olivier Royer raconte : « Après lui, j’ai été engagé sur ce même poste, tous les collègues étaient surpris de me voir vraiment bosser… » Chumiatcher fait un tour au service communication de Bourgoin-Jallieu, puis Destot lui trouve un emploi de cadre bien payé à la Ville de Grenoble en tant que « chef de projet » à la Plateforme. Cet homme de convictions semble donc posséder de multiples compétences professionnelles.
Ce n’est visiblement pas l’avis de l’équipe de Piolle, arrivée à la mairie en 2014, qui ne perçoit pas exactement en quoi consiste son travail et qui finit par se séparer de Chumiatcher en le licenciant en 2017. Quelle injustice pour un tel travailleur ! Heureusement, il y a les indemnités d’élus jusqu’en 2020 et puis le chômage, qui s’arrête en 2021.
Incroyable coïncidence : à ce moment-là, Renzo Sulli, finalement réélu maire d’Échirolles, cherche une personne d’expérience pour suppléer les départs dans le service « Ville durable » afin de travailler sur le projet GrandAlpe. Qui pourrait mieux faire l’affaire que l’ancien adjoint à l’aménagement urbain ? Alors Emmanuel Chumiatcher est embauché pour trois CDD consécutifs, entre juillet 2021 et avril 2022… ce qui suscite plusieurs questionnements de la chambre régionale des comptes (CRC). D’abord parce qu’il a été recruté « sur un emploi inexistant [...] alors que la commune disposait de toutes les ressources internes pour remplir les missions qui ont été dévolues à M.Chumiatcher. » La CRC s’étonne aussi d’un « niveau de rémunération dépassant celui des autres ingénieurs. [...] Sa rémunération [de 3 686 euros net par mois], basée sur celle d’un ingénieur hors classe, ainsi que son classement à un échelon spécial (hors échelle A) apparaissent irréguliers, car disproportionnés au regard des qualifications et de l’expérience professionnelle de l’intéressé. » Pour couronner le tout, la CRC s’indigne d’un « montant de prime de fin d’année irrégulier » et de « la création d’une société (de conseil) sans autorisation de l’employeur. »
Dans sa réponse à la CRC, la ville d’Échirolles explique tous les choix effectués et pointe les « erreurs d’analyse de la chambre », défendant le choix de cette « personne compétente, disposant de la connaissance nécessaire desdits projets, de l’historique de chacun et de la volonté de mener à bien ceux-ci ». C’est d’ailleurs à se demander pourquoi les collectivités ne font pas plus souvent : embaucher les anciens élus par souci d’efficacité.
Comme le dit la ville d’Échirolles, cela a évité « à la Ville la dépense considérable qu’aurait été le recours à des prestataires extérieurs, tel qu’un cabinet d’assistance à maîtrise d’ouvrage. » L’intéressé, lui, ne voit pas pourquoi la CRC lui cherche des noises : « La Ville a démonté tous leurs arguments. Ma rémunération était équivalente à l’emploi que j’occupais avant à la Ville de Grenoble, quitté quatre années auparavant. Quant à ma microsociété, il n’y avait aucun conflit d’intérêts avec le travail que je faisais à la Ville. » D’autres s’étonnent quand même de cette « coïncidence » : « Cela paraît évident qu’il s’agit d’un emploi qui semble injustifié en échange de service rendu » tacle Alban Rosa. « Je ne vois pas quels services j’ai pu rendre à Sulli, si ce n’est que j’ai été fidèle aux politiques urbaines menées pendant douze ans de mandat » répond Emmanuel Chumiatcher. Reste à savoir ce qu’il fera pour les élections de 2026...