Accueil > Hiver - Printemps 2022 / N°64
Les conditions de travail à Métrovélo, c’est toujours de la *erde
Derrière la « marque », l’arnaque
Que se passe-t-il à Métrovélo ? Depuis notre précédent article du mois de septembre (« Pour pédaler, cliquez ici » dans le n° 62), évoquant de nombreux dysfonctionnements – notamment informatiques – et un profond malaise, le service a changé de nom pour répondre désormais à l’appellation poétique de Mvélo+. Une opération de « rebranding » accompagnée d’une situation sociale encore empirée : les départs de salariés et les opérations d’enfumage s’enchaînent.
Sans doute avez-vous vu ces grandes publicités placardées un peu partout en ville. Avec à chaque fois des phrases où il manque les M. « Profiter d’une pièce de théâtre de *olière » « visionner le dernier *atrix au ciné », etc., et en dessous cette petite explication : « Vos sorties culturelles commencent forcément par M. » Cette coûteuse campagne de propagande a donc pour but de faire connaître M, la nouvelle « marque unique des mobilités sur l’aire grenobloise », créée par le Smmag (Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise), l’autorité organisant tous les transports sur la grande région grenobloise. En 2019, son périmètre d’action s’est étendu de la cuvette grenobloise aux territoires du Voironnais et du Grésivaudan, préfigurant ainsi le futur agrandissement de la métropole et la cohorte d’inepties marketing qui vont avec. Il n’y a pas si longtemps, ce genre de structure publique de transports en commun se contentait de construire des lignes de tram et de planifier les horaires adéquats des lignes de bus. Mais aujourd’hui, il faut aussi que les « mobilités » aient une « marque ».
Peut-être avez-vous appris que Métrovélo avait changé de nom. Métrovélo, c’était le service de location de vélos de la Métropole, les fameux milliers de vélos jaunes qui envahissent les moindres recoins de la cuvette. Pourquoi changer un nom qui était connu de tous ? Dans la version officielle, c’est pour des raisons géographiques, à cause de l’élargissement du périmètre du Smmag : « Le nom Métrovélo est devenu obsolète : “métro” ne doit plus apparaître, car le service ne se concentre plus sur la Métropole mais va maintenant jusqu’au Grésivaudan » peut-on lire dans un mail interne. D’où cette opération de « rebranding », toujours selon ce même mail, soit une « stratégie de marketing pour établir une nouvelle identité de marque ». La « marque » a depuis fin septembre pour nom Mvélo+, barbarisme choisi car « M représente la marque des mobilités du Smmag. Vélo+ est le nom choisi par les élus du territoire. Le + évoque le panel de services proposés aujourd’hui (location vélos et consignes mais aussi animations, déploiement...). »
Plutôt que des « + », les salariés et les usagers voient eux des « - ». « Tu vois cet organigramme ? Eh ben depuis octobre, lui s’est fait virer, lui est en arrêt maladie longue durée, lui n’a pas été reconduit... » Selon Jean-Pierre, quatorze des quarante salariés de Mvélo+ ne sont plus dans la boîte depuis cet automne et la grève qui avait agité le service de location de vélos. Une grève un peu médiatisée que n’a pas du tout appréciée la direction de Cykléo, l’entreprise gestionnaire de ce service. « Tous les CDD qui avaient fait grève n’ont pas été reconduits et d’autres personnes ont été embauchées à la place. Il y a eu deux mises à pied pour des raisons farfelues. Depuis, on subit de plus en plus un management par la peur et la mise en concurrence, en faisant miroiter des places à certaines personnes. Suite à la grève, on a aussi eu des représailles : on ne bossait que quatre jours par semaine, depuis on est repassé à cinq. »
À cause de ces potentielles représailles, Jean-Pierre est un pseudonyme. Ses doléances, rejoignant celles des autres salariés rencontrés également anonymes, sont pléthoriques. En ce mois de janvier, les arrêts-maladie et les démissions continuent à s’enchaîner, et la qualité de service à se dégrader. « À la base, on est quasiment tous des passionnés de vélo, on a envie de faire du bon travail, de participer au développement de ce mode de transport dans la cuvette, alors c’est dur de voir ce gâchis. »
Il y a toujours les gros bugs du système informatique, évoqués dans le précédent article, entraînant quantité de situations kafkaïennes. Des personnes ayant réservé des vélos sur internet n’en trouvent pas en agence. D’autres ne parviennent pas à ouvrir le silo où est garé leur vélo avec leur badge et manquent leur train.
Mais l’aberration atteint les sommets avec les agences mobiles. Mises en place après le premier confinement, elles sont censées permettre aux habitants du vaste territoire aujourd’hui « couvert » par Mvélo+ (la métropole plus le Voironnais et le Grésivaudan) de pouvoir louer un vélo à côté de chez eux. Alors tous les jours, trois salariés se déplacent en camion pour aller tenir des permanences dans des grosses villes ou des petits villages. Mais faute de terminaux de paiement à disposition, il est impossible de prendre un vélo sans avoir réservé sur internet trois jours à l’avance, ce qui fait que personne ne vient. « Depuis deux ans, ces agences ont seulement loué une trentaine de vélos, assure Jean-Pierre. C’est hallucinant. Comme on doit couvrir tous les villages, certaines journées des agents se retrouvent à faire des permanences à Miribel-Lanchâtre ou Saint-Barthelémy-de-Séchilienne, enchaîner six ou sept petites communes de suite en restant un quart d’heure à chaque fois, où forcément personne ne vient. De toute façon, en un quart d’heure, ils ne peuvent rien faire. Le temps de déballer le stand, ils doivent déjà le ranger et repartir... Les rares habitants qui remarquent “l’agence mobile” rigolent : comment imaginer qu’on puisse louer un Métrovélo à trois vitesses dans ces communes de montagne ? » Le pire, selon Jean-Pierre, c’est que malgré ce ridicule raté « il faut faire comme si ce service fonctionnait, alors que c’est de l’argent public jeté par les fenêtres. »
Pour Cykléo, qui doit assurer les missions fixées par l’appel d’offre de la Métropole, l’apparence semble bien plus importante que la réalité. Jean-Pierre raconte : « Deux dimanches de suite, l’agence de la gare a été fermée faute de personnel. Mais sur la porte, il y avait un petit mot qui disait que c’était à cause du Covid. Les autres dimanche, l’agence est ouverte, mais pas l’atelier, parce qu’il n’y a que deux personnes sur quatre. Comme l’ouverture de l’atelier le dimanche est dans le contrat avec la Métro, Cykléo devrait avoir normalement des pénalités. Alors on nous oblige à mentir, et à ne pas mentionner ces fermetures du dimanche. » Des injonctions au silence qui ulcèrent les salariés rencontrés : « Le chef d’exploitation s’énerve dès que des mails racontant les dysfonctionnements aux autres salariés sont envoyés sur notre liste interne. Il nous demande de “ne pas se servir de notre boîte mail professionnelle comme d’une tribune”. Il nous a même interdit de parler aux élus. »
Et les élus, justement, qu’en pensent-ils ? Si Sylvain Laval, le président du Smmag a rencontré trois salariés cet automne, il n’est pas revenu, contrairement à sa promesse, constater au plus près les dysfonctionnements du service. Malgré les rapports remis au Smmag montrant l’inutilité du service de l’agence mobile, le même fonctionnement a été reconduit pour 2022. « Des tournées totalement contre-productives, un gâchis de temps, de compétences et d’argent public... » se désespèrent les salariés. Quant au coût de l’opération de « rebranding » voulu par les élus, impliquant une grosse opération de communication et le « restickage » de nombreux véhicules du service, des quelques 12 000 vélos et des supports en tout genre, il n’a pas été communiqué. « Je ne peux pas vous le dire, c’est secret » nous a répondu la chargée de communication. La pente très glissante prise par ce service est, elle, de plus en plus visible.