Accueil > Fevrier-Mars 2020 / N°54
Courrier des lecteurs
La rédaction du Postillon tient à faire part à ses lecteurs de sa déception à propos du courrier reçu. En effet ces derniers mois, il est presque exclusivement positif, à tel point que le choix de la palme du fayot relève du casse-tête. Dans un souci de pluralisme et d’objectivité, on aimerait que notre rubrique Courrier des lecteurs soit plus représentative de l’avis de notre lectorat – et on sait que vous êtes nombreux à nous détester, ou du moins, à avoir plein de choses à nous reprocher (ou alors ceux-ci viennent toujours nous voir aux ventes à la criée). Lecteurs grincheux, à vos stylos !
Un coup de brosse à reluire !
Qu’est-ce qui a pu amener un Perpignanais habitué aux chaudes contrées du sud à se perdre dans une cuvette autant sibérienne que polluée ? Certainement pas un conseil curatif de Rika Zaraï ! Toujours est-il que, oublié sur un guéridon, j’ai appris votre existence en même temps que j’ai lu le n°52 du Postillon. Quelle ne fut mon agréable surprise, moi qui use le banc de la presse du tribunal de Perpignan, de lire enfin une analyse « correctissime » de la vente illicite de stupéfiants. Non, effectivement, le problème des drogues n’est pas créé par les habitants de cités oubliées, si l’on n’y avait pas recours aux trafics de drogues, on y vendrait du tabac de contrebande et si le hachisch devenait légal, on y vendrait du shit aux taux de THC prohibitifs ou de la meth ou de la cocaïne. L’important, c’est d’exciter le côté ultra snobinard de la clientèle. L’abandon de la « prohibition » n’a pas précipité les trafiquants dans les usines. Le problème de la misère est la misère, qui elle, engendre la démerde ! En revanche, le seul et véritable responsable du trafic, c’est le bobo, le fils à papa, le petit bourge snobinard en un mot, le consommateur. Sans son fric, plus de trafic et les miséreux qui vendent pour se payer leur propre dose sont encore et toujours financés par les salariés « privilégiés » de notre société. Et, lorsque l’Indépendant, chez nous et le Daubé, chez vous, font des articles élogieux sur une descente de police chez les miséreux, n’oubliez pas que ce sont les mêmes journaleux qui feront des articles tout aussi élogieux sur les festivals de musique plein air du coin... ceux-là même où les nuages de fumée n’ont rien à voir avec la pollution habituelle dans votre cuvette... ou les cachetons pris lors d’une teuf heavy métal ne sont pas non plus l’aspirine guérisseuse des maux de tête habituels que provoque ce type de musique à tout être humain normalement constitué. Ceci dit – qui ne vous apprend rien – j’espère que votre prochain rhume ne correspondra pas à mon prochain coup de soleil dans mon sud du sud !
La Palme de la fayote
On n’aime pas donner une récompense à une personne qui la demande, mais dans ce cas-là, comment pourrait-on ne pas décerner la palme de la fayote à Alice qui nous a envoyé ce mail ?
« Actuellement profiteuse du service public Pôle emploi, j’ai consulté avec curiosité et envie le poste que vous proposez dans le numéro 52. En effet, « la palme du fayot » semble tout-à-fait correspondre à mes compétences. Mais ce n’est pas là que je veux en venir. Je vous écris car vous m’intéressez, et je pourrais vous intéresser, vu que je possède une solide expérience de journalisme. Jugez plutôt.
Quand j’étais petite, entre ma collection de tickets de caisse et la vente de tulipes à ma mère (alors qu’elle m’avait déjà acheté les bulbes pour que je les fasse pousser, visiblement j’avais l’esprit start-up à 7 ans), j’ai créé un journal que je vendais à mes voisins, toujours le flouze, j’ai honte. J’écrivais des interviews, des articles, et même des gags ! Y avait aussi le courrier des lecteurs, mais j’en recevais peu, seule ma grand-mère m’envoyait les blagues douteuses qu’elle avait découpées dans des magazines, généralement Télé Loisirs, pour alimenter le « coin humour ». Je n’ai toujours pas déterminé si c’était saugrenu ou trop mignon. Vous, vous en pensez quoi ?
En terminale, il a fallu décider de mon orientation. J’hésitais entre une prépa B/L, une prépa scientifique et une fac de psycho : mon prof de philo, beau gosse au demeurant, m’a largement conseillé la prépa B/L. J’aurais pu appeler les numéros qui étaient au dos des blagues de Télé Loisirs, « Aurore, médium de naissance » ou « Steve voyant réputé 35 ans d’expérience », peut-être aurais-je eu une révélation, toujours est-il que j’ai sauté sur les rails dorés de la Science Dure pour devenir ingénieur en mécanique. Mes études terminées, j’ai travaillé deux ans dans une grosse boîte où j’ai fini par couler (j’aurais dû m’en douter, dans une entreprise du bassin grenoblois…). Au début, ça m’énervait quand les grands chefs parlaient avec leur langage « corpo » qui ne veut rien dire. Puis rapidement j’en profitais pour faire un bingo, et attendre patiemment la fin du blabla pour me gaver de viennoiseries miniatures. Bon, je ne vais pas vous décrire ici toutes les incohérences que je vivais, il n’y a rien d’original, vous en parlez déjà dans vos numéros. Le problème, c’est que je ne tiens pas longtemps à tordre mes valeurs dans tous les sens, alors je suis partie. Et j’ai un scoop : hors du moule, la vie retrouve son sens. Pourtant j’adore la pâtisserie, et sans me vanter mon entremet trois chocolats remporte régulièrement l’approbation – la palme du fayot se rapproche ! – Dans ma quête d’absolu, je lis le Postillon, et je sens souvent une profonde connexion avec mon être intérieur. (…) En ces temps d’épidémie de rhinopharyngite, je vous prie d’accepter mes salutations les plus glaireuses. »
Fais dodo Gr’noblo, mon p’tit frère…
« J’ai lu attentivement votre article sur Raise Partner et j’ai trouvé que votre approche n’allait pas à son terme. (…) Il me semble que vous restez à côté de l’analyse de l’essence particulièrement vomitive d’une telle entreprise lucrative. Si Raise Partner “travaille dans l’optimisation fiscale, en développant et vendant des logiciels supposés améliorer la “gestion des risques” dans le secteur des investissements financiers », comme vous le dites, et qu’elle a comme clients des « fonds d’investissements », l’indigeste hic est bien que cette fantaisie-entrepreunariale-de-jeunesse co-construite par M. et Mme Piolle, outille l’ère ultime du capitalisme le plus létal au vivant.
Maman Piolle est en haut qui fait du gâteau ($$$). Je veux parler du capitalisme financier dont les échanges spéculatifs quotidiens représentent de mémoire plus de dix mille fois le montant des biens échangés réellement. Or, le capitalisme financier n’est rien sans les logiciels ultra-rapides (« Scannez 1,5 milliard de portefeuilles en 25 minutes, optimisez un portefeuille en moins de 350 ms… » www.raisepartner.com) vendus par Raise Partner et d’autres à Bloomberg, Finastra, etc. Ils sont un des rouages essentiels de ce système « qui épuise les hommes et la nature », menant inexorablement le vivant vers l’extinction pour paraphraser Marx. Ils sont les « armes » d’un système létal. Fais dodo, bobo, mon p’tit frère… Maman Piolle est en haut qui fait des armes anti-bio, Papa Piolle est en en bas qui marche pour le climat…
La disparition du système de retraites par répartition débouchera inéluctablement sur la collecte de quantité inouïe de capitaux par les fonds-de-pensions tels BlackRock qui spécule avec deux à trois fois le PIB français. Ces machines de guerre sont les plus gros acteurs du capitalisme financier et ont besoin des « armes » de Raise Partner pour agir. Papa est en bas qui défile contre la « réforme » des retraites…
Depuis plus de 30 ans, nous vivons les affres du néo-libéralisme, qui n’a de cesse d’offrir, au prétexte de favoriser l’investissement, des pans entiers des services publics au capitalisme financier ? Éducation, hôpitaux, logement social, la liquidation planifiée par Macron n’a pas d’autre finalité que de créer les « opportunités d’investissements » pour les fonds-de-pension, les « Partners » de Raise. Papa est en bas qui sauve les « communs »…
L’autre jour un responsable syndical du secteur de la santé interrogé sur la vente potentielle de la clinique mutualiste racontait comment les cliniques sont aujourd’hui rachetées par les fonds de pension du fait de leur grande rentabilité ! Papa est en bas qui soutient les salariés de la clinique mutualiste…
Finalement, tout cela n’est pas très nouveau à Grenoble. Le développement économique passé de la ville a été intimement lié à la guerre (le gaz moutarde à Pont-de-Claix, les obus à Bouchayer, l’implantation du CEA…). Aujourd’hui, la guerre qui est faite au vivant, humain, animal et végétal, est d’abord financière et les logiciels d’investissement de Raise Partner y contribuent largement. Rien n’a donc changé : « Ici c’est Grenoble ! » Pourquoi les gentils-amis-du-vivant de « Grenoble en commun » ferment-ils ainsi les yeux sur l’implication de Papa et Maman Piolle avec ce « marchand-d’armes-du-Capitalocène » qu’est Raise Partner ? Sans doute parce que leur maigre ambition de « survivre à l’Anthropocène », alors qu’il faudrait « sortir du Capitalocène », s’accommode parfaitement des activités de telles sociétés. C’est vrai que de « Grandir ensemble », titre du livre du candidat Piolle, à « Partenaire de croissance », traduction de Raise Partner, il n’y a l’espace que de quelques nuances… Réveille-toi Grrr’noblo mon frère ! »
Raphaël Juy, membre de la liste d’Éric Piolle en 2014.