Accueil > Printemps 2024 / N°72

Attal est aux petits soins

Attal répare, Attal remplace

Plus c’est gros, plus ça passe. À la cité scolaire Europole de Grenoble, l’équipe enseignante vient d’assister impuissante à un cas flagrant de népotisme, déjà évoqué sur Place Gre’net (28/2/2024) et sur le site de Marianne (4/3/2024). La sœur de la suppléante de l’actuel Premier ministre (et ancien ministre de l’Éducation nationale), Gabriel Attal, prof d’espagnol, était mécontente de son emploi du temps. Son entregent lui a permis, contre toute logique et toute règle de gestion du personnel, d’obtenir la classe de son choix. Une des victimes de ce passe-droit, Federico, nous raconte cet abus de pouvoir macroniste.

Que se passe-t-il à la cité scolaire Europole ?

C’est finalement assez simple : j’ai une collègue prof d’espagnol au lycée Europole qui a, semble-t-il, obtenu de Gabriel Attal qu’il l’aide à se débarrasser des heures de « complément de service » qu’elle devait faire au collège. Ainsi, depuis la rentrée de janvier, elle a récupéré la classe de seconde qui m’était confiée depuis septembre, et j’hérite de ses heures de complément de service au collège, sans égard pour ce que j’ai pu mettre en place avec mes élèves ni pour mon statut.

Pourquoi ne veux-tu pas arranger la sœur de Claire Guichard, députée des Hauts-de-Seine et suppléante de Gabriel Attal ?

Je ne savais même pas que Mme Patacq-Crouzet était la sœur de la suppléante de Gabriel Attal ! Le fait est que cette collègue essaie depuis plusieurs années de se débarrasser des quelques heures de complément de service qu’elle est chargée d’assurer au collège Europole. Elle estime sans doute que sa place n’est qu’au lycée et qu’étant arrivé plus récemment, je devrais assurer le complément de service. Sauf que je ne suis pas censé faire ça ! J’ai été recruté par le rectorat sur un poste dit « chaire section internationale lycée », c’est-à-dire un type de poste obtenu par mutation particulière, sur dossier, qui est particulier aux sections européennes, internationales ou aux prépas. Nos postes ne sont donc pas équivalents et n’obéissent pas aux mêmes règles. Cette collègue pouvait tout à fait poser sa candidature pour ce poste et je ne sais pas si elle l’a fait, mais lorsque sa dernière tentative de se débarrasser de ses heures en collège a échoué en juin dernier, elle avait prévenu la proviseure, Mme Degroote, en lui disant, devant témoins, «  ça n’en restera pas là ! ». Elle devait donc penser qu’elle avait un autre moyen d’obtenir gain de cause.

Comment y est-elle parvenue ?

La veille de Noël, alors que j’étais grippé et fiévreux, je reçois un coup de fil du proviseur remplaçant de Mme Degroote. Il m’apprend qu’à la rentrée de janvier, je n’aurai plus ma classe de seconde habituelle mais des heures de « complément de service » à assurer devant une classe de quatrième. Il s’avère que la proviseure titulaire s’est mise en arrêt, apparemment pour ne pas avoir à exécuter cet ordre aberrant, et a été remplacée par un proviseur chargé de « résoudre les problèmes ». À la suite de ce coup de fil, j’ai adressé en vain plusieurs mails à ce remplaçant pour lui demander des explications et quand j’ai enfin fini par le rencontrer le 10 janvier, il m’a indiqué qu’il avait des ordres qui venaient d’en haut, plus haut que le rectorat, et qu’il était chargé de les appliquer. Il était fier de me dire que lui, il avait toujours appliqué tous les ordres qu’on lui avait donnés depuis l’époque Mitterrand, qu’il n’était pas là pour les contester. Ce qui est incroyable, c’est que nulle part il n’y a d’ordre écrit, ce qui, à mon avis, montre bien qu’on n’est pas dans une procédure normale de « nécessité de service » qui imposerait des décisions administratives en cours d’année. Là, il n’y a aucun caractère d’urgence. Au contraire, nous sommes en milieu d’année scolaire, chaque prof déroule son programme, ses activités et ses projets pédagogiques avec ses élèves dans un souci de progression. Il nous incombe d’assurer la continuité pédagogique, c’est notre boulot. Ici, ce sont finalement une proviseure en arrêt, un proviseur remplaçant, un prof d’espagnol, toute une classe de seconde et toute une classe de quatrième qui sont mis à contribution pour que madame la sœur de la députée puisse avoir les élèves qu’elle préfère.

Ils sont si affreux que ça les élèves de quatrième du collège Europole ?

Au contraire ! Honnêtement, enseigner à la cité scolaire Europole, c’est avoir en face de soi des élèves qui, en moyenne, sont mieux lotis socialement et ont moins de problèmes que les autres, voire sont franchement favorisés. Le collège est très bien classé au niveau national, ce n’est pas un « établissement difficile » où tu fais principalement de la discipline, pas du tout !

Cette affaire a-t-elle suscité des réactions ?

Huit syndicats ont fait un communiqué commun pour me défendre. Mes élèves et leurs parents se sont aussi émus de cette décision arbitraire. Ça m’a touché parce que c’est très difficile de se retrouver face à une administration qui refuse de te donner une quelconque explication, qui ne passe que par l’oral, qui te dit que ton travail n’est pas en cause, mais qui t’empêche de faire correctement ton métier, de traiter dignement tes élèves. Là, j’ai refusé de signer le nouvel état de service qui prévoit ces heures à assurer en collège parce que j’ai déjà celui que j’ai signé en début d’année et qui devrait faire foi pendant toute l’année scolaire. Mais le proviseur remplaçant m’a dit que ce n’était pas grave, puisque le nouvel état de service s’impose à moi du simple fait que je connaisse son existence, en l’absence de toute signature de ma part ! Et maintenant sur « I-prof », le site où tu trouves ton dossier administratif, il est indiqué que j’assure ces heures de cours à cette classe de quatrième depuis septembre, ce qui est bien sûr totalement faux ! L’administration a modifié mon dossier à mon insu et de façon rétroactive pour que cette décision prise en décembre n’apparaisse nulle part. Si elle était si légitime que ça, s’il s’agissait simplement, comme dit la députée Claire Guichard, de réparer une injustice faite à sa sœur, alors pourquoi falsifier mon dossier administratif ?

Gag de dernière minute

Le lundi 4 mars 2024, le rectorat rend publique une nouvelle version de la circulaire portant sur la rentrée 2024 et notamment les compléments de service, qui aligne les règles relatives aux « postes spécifiques » comme celui de Federico sur les règles relatives à l’ancienneté qui prévalent pour les autres postes. La phrase ajoutée stipule en effet qu’à partir de la rentrée 2024 « les enseignants sur poste spécifique réalisant, en dehors de leurs heures d’enseignement spécifique, un nombre d’heures au moins égal au complément de service dans la discipline ciblée peuvent être également désignés ». Quand le contournement de la loi par la clique à Macron devient trop visible, il suffit de changer la loi ! Mme Patacq-Crouzet est donc désormais tranquille : même dénoncée, l’embrouille maintenant légale lui profitera l’année prochaine et toutes les suivantes... Adieu, classes de quatrième honnies !