Qu’ils sont vides mes bureaux !
Alors que des milliers de personnes n’ont pas de logements, des centaines de milliers de mètres carrés de bureaux sont vides à Grenoble. Connaissez-vous l’immeuble des Reflets du Drac sur l’ancienne friche Bouchayer-Viallet ? Inauguré en grande pompe en 2009, loué dans toute le presse comme « un des premiers bâtiments tertiaires à basse consommation », les douze mille mètres carrés de bureau sont majoritairement vides huit ans après.
Il se voit de loin, ce gros bâtiment. Quand on passe sur la Rocade, on ne peut pas louper ce machin flambant neuf jaune et vert. Ça brille, c’est moderne, on se dit que ça doit servir à des choses importantes. En fait ça ne sert presque à rien.
Il y a deux entrées à l’immeuble des Reflets du Drac. Au 34, rue Gustave Eiffel, on peut facilement accéder au hall. Sur les 27 boîtes aux lettres, seules cinq sont occupées : on trouve les noms des Résidences Bernard Teillaud, de Tronics, du GIE Groupe 38, de Mup, ou d’Alpes Santé Travail.
Au quatrième étage, se trouvent les bureaux de ce « service interentreprises de santé au travail ». à l’accueil, une dame nous raconte la façon dont ces locaux sont occupés : « pour notre entrée, le rez-de-chaussée, le premier et le deuxième étage sont entièrement vides. Nous, on occupe tout le quatrième étage. Mais le troisième, cinquième et sixième étage, ils sont au moins à moitié vides. L’autre entrée c’est pire encore ». On a essayé d’aller voir au 32, rue Gustave Eiffel. Impossible de rentrer. Mais devant le bâtiment, il n’y a marqué que trois noms d’entreprise.
Chez Urbiparc, la filiale de Bouygues Immobilier qui a construit les Reflets du Drac avec la Caisse des dépôts, on ne répond pas aux questions à propos de ce bâtiment. Chez BNP Paribas, qui commercialise certains espaces de travail, on veut bien causer. Sylvain Michalik est directeur « sillon alpin » des opérations immobilières de cette banque. Au téléphone, lui nous assure qu’il y a seulement 20 % des locaux non commercialisés. On lui dit que ça ne correspond pas avec nos constatations sur place, mais lui campe sur ses chiffres. On a pourtant essayé d’aller aux rez-de-chaussée, premier, deuxième, cinquième et sixième étages du 32, rue Gustave Eiffel, mais on n’est tombés que sur des portes closes. On a juste croisé un homme, employé d’une société de nettoyage : il pensait également que la plupart des étages étaient entièrement vides.
Michalik explique que l’immeuble a longtemps été à moitié vide parce que « c’est compliqué de vendre des bureaux dans un nouveau quartier, donc les premiers bâtiments essuient les plâtres. Europole aussi a eu de grosses difficultés pendant dix ans mais maintenant c’est plein. » Selon lui, le gros problème pour l’immobilier de bureau, c’est la taxe foncière, bien trop élevée. La dame d’Alpes Santé Travail avait une autre explication sur le défaut de remplissage du bâtiment : « les loyers sont hors de prix aussi. Et puis, c’est soi-disant un immeuble high-tech, mais il y a des gros problèmes de climatisation et de chauffage. »
C’est toujours intéressant de revenir quelques années en arrière. En 2009, la multi-élue Geneviève Fioraso avait inauguré ce bâtiment sous les hourras de la communication : « L’immeuble dépasse de 50 % les performances de la réglementation thermique en vigueur (RT 2005). Il tire parti des potentiels naturels du site (hydrologie, solaire), combinés à une isolation “performante”, a indiqué Urbiparc ». Huit ans plus tard, force est de constater que ces prétentions ne font pas l’unanimité.
Des bureaux vides, il en existe pas mal à Grenoble. Selon le guide « marché immobilier d’entreprises » de la Fnaim 38 (Fédération nationale de l’immobilier) datant de février 2017, il y a 116 500 m2 de « stock disponible » de bureaux dans l’agglomération, et 151 982 m2 de stock disponible de « locaux d’activité ». L’Aepi (agence d’études et de promotion de l’Isère) parle elle dans un document de décembre 2016 de 136 070 m² de bureaux et 643 070 m² de locaux d’activité. Ces centaines de milliers de m² vides seraient-ils dus à la « paupérisation » voire « tiers-mondisation » dénoncées par la droite et l’extrême droite depuis l’arrivée des écolos au pouvoir à Grenoble ? La cuvette se viderait-elle de ses commerçants et entrepreneurs à cause du « diktat du vélo » et de la « chasse à la voiture » ?
Pas du tout : la Fnaim 38 se réjouit du nombre de transactions dans le domaine du commerce et affirme que « le nombre de transactions illustre que Grenoble reste une ville attractive », démontrant ainsi que les politiques écolos - stigmatisées comme « décroissantes » ou « obscurantistes » par les opposants - sont loin de gêner les acteurs économiques. En vérité, le grand business de l’immobilier d’entreprise s’accommode très bien avec d’un fort taux de vacance, afin d’avoir un maximum d’offres pour des entreprises susceptibles de s’installer. Et tant pis si depuis plus d’un an plusieurs familles vivent dans un campement de fortune, juste à côté des bureaux vides des Reflets du Drac.