« Il faut que les élus apprennent à se taire, et que le peuple apprenne à parler »
Elle a le même âge qu’Emmanuel Macron (39 ans), mais pas le même genre d’ambition. Antonietta a été adjointe à la culture de Saint-Martin-d’Hères, ville de 35 000 habitants, entre 2008 et 2014. Depuis elle a complètement quitté la politique classique, sans pour autant abandonner la volonté d’agir sur le monde.
Je vais être honnête : je ne suis pas beaucoup l’actualité politique de Saint-Martin-d’Hères, si ce n’est le projet inepte de giga-centre commercial Neyrpic. Alors je n’ai aucun avis sur l’action d’Antonietta à la ville, sur la qualité de son mandat et de ses réalisations. Mais ce qu’elle retire de son passé d’élue est assez original pour mériter une petite interview.
Être élue locale, c’est quand même une drôle d’idée. Comment ça t’es venu ?
J’ai toujours été très politisée. Je suis née pendant la dictature au Chili, et j’ai passé mes premières années dans le milieu du MIR, mouvement de la gauche révolutionnaire. À un moment, c’était devenu trop dangereux de rester là-bas, alors mes parents ont décidé d’émigrer. J’ai donc grandi dans un monde qui n’avait rien à voir avec celui-là. Quand je suis arrivé en France, à sept ans, ça a été un choc. À Grenoble, tout était bétonné et « froid ». Je me demandais comment c’était possible qu’un monde comme ça existe.
Adolescente, j’ai commencé à m’engager dans la vie publique. J’ai voulu devenir pompière et j’ai poussé la porte de la caserne à 11 ans. Et puis la politique m’a attirée. Vers 15 ans j’ai adhéré à la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), me suis activée un peu, avant de partir dans d’autres villes plusieurs années. En 2006, suite à un appel du Conseil national de la résistance qui m’a touchée, je suis allée voir une section du parti communiste de Saint-Martin-d’Hères où j’habitais. Je n’étais pas très à l’aise dans les réunions, à part avec quelques très vieux militants, qui eux avaient un vrai discours politique, avec du sens. Les autres étaient un peu bloqués en Russie. Pour les élections municipales de 2008, on m’a demandé si je voulais être sur la liste. J’ai accepté, avant tout parce que je voulais voir ce que c’était l’exercice du pouvoir, ce que ça allait éveiller chez moi. Je n’avais aucune naïveté sur le personnel politique, mais j’avais vraiment besoin de comprendre les mécanismes du pouvoir.
Alors comment ça marche, ces mécanismes ?
Les élus n’ont souvent pas de personnalité propre. L’exercice du pouvoir est un exercice qui isole les gens. Tu peux vite te faire complètement avoir, et ne faire que ce qu’on attend de toi. Moins t’as de personnalité, moins t’as de choses à dire, plus tu feras un bon élu. Bon moi je suis assez contente parce qu’on n’a jamais réussi à m’enfermer, à me faire rentrer dans une case.
Un des problèmes de base, c’est que c’est une fonction qui prend 70 heures par semaine si tu veux bien faire ton travail. Il y avait les conseils municipaux, et ma commission, celle de la culture, qui se réunissait une fois par mois. Mais aussi un bureau municipal par semaine, et une réunion des élus communistes par semaine. Avant toutes ces réunions, il faut lire des dossiers et réfléchir dessus, sinon t’y vas pour faire du tourisme, et tu donnes carte blanche aux techniciens. Mais ce n’est pas possible de s’intéresser à tout, alors souvent tu fais juste de la représentation.
Comme dans d’autres communes, c’est avant tout un petit cercle regroupant le maire, le premier adjoint, le directeur général des services et le directeur de cabinet qui prenait les décisions importantes. Les autres élus ne sont pas là pour faire de la politique, mais juste de la représentation. J’ai très peu entendu de discours politique, le quotidien portait seulement sur la gestion. Assez vite, les élus en arrivent à avoir peur des gens. Quand ils croisent des habitants, soit ils se taisent, soit ils sont sur la défensive. Et pour tous les problèmes, ils se défaussent en disant « c’est pas moi c’est les autres ». Faire de la politique de nos jours c’est faire de la communication et tant pis si on est à des années lumières de ce que l’on pense. Ce qui me semble important comme l’écoute, l’échange, le respect je ne l’ai pas trouvé dans ce milieu ; j’ai surtout trouvé du mépris.
En fait, tu étais déçue parce que tu n’avais pas tout le pouvoir ?
Je ne m’attendais à rien, je ne suis pas arrivée à la mairie avec plein d’espoir. Mais c’était important que je vive cette expérience. Maintenant j’ai l’impression d’avoir fini un parcours de vie. J’en sors renforcée dans des convictions autogestionnaires. Il faut que les élus apprennent à se taire, et que le peuple apprenne à parler. Il faut tout reconstruire par le bas. C’est important que les gens puissent faire leurs propres choix à l’échelle à leur échelle.
L’enjeu, c’est de redonner confiance et espoir aux gens. Pour que chacun comprenne qu’il est capable de fonctionner avec d’autres, de s’impliquer. Pour qu’on réapprenne à écouter et discuter au sein d’une assemblée, dans plein de sortes d’assemblées différentes. Aujourd’hui, la prise de parole est pervertie par l’idéologie ambiante, celle du capitalisme. Il faut qu’on redécouvre le pouvoir de la parole, qui ne doit pas être laissé à des élus ou à des médias.
Ce qu’on va vivre les prochaines années, avec les crises sociales et écologiques, risque d’être extrêmement violent. Je viens d’un état terroriste, et j’en ai retenu qu’il y a toujours une manière de résister. Il faut encourager les nouvelles générations à se révolter, à dire non. Ne serait-ce qu’immiscer l’idée de résistance dans la tête des gens, c’est important. Il y a de vrais exemples pour s’inspirer, comme le mouvement zapatiste, ou les femmes kurdes. Il suffit de regarder au bon endroit.