Accueil > Mars 2011 / N°09

Entretien avec la tante et la mère de Karim B.

«  Tout le monde s’est bien servi de cette histoire  »

Sept mois se sont écoulés depuis les «  évènements  » de Villeneuve. Suite à la mort de Karim B., tué par la BAC (Brigade Anti-Criminalité) après un braquage, le quartier avait connu trois jours d’émeutes et un état de siège policier inédit. Si la fièvre médiatique s’est estompée, les habitants subissent toujours les retombées de cet emballement sécuritaire. La famille de Karim nous raconte.

La mère et la tante de Karim ont participé à l’entretien. Trois autres proches y ont assisté partiellement. La tante de Karim étant l’interlocutrice principale, nous avons synthétisé par commodité le propos en une seule voix, en intégrant les propos des autres lorsqu’il y avait consensus.

Qu’est-ce qui t’a le plus marqué dans ce qui s’est passé cet été ?

Pour moi, c’est la police, les «  services d’ordre  » qui ont provoqué les jeunes. Je suis sûre que s’ils n’étaient pas intervenus le jour même dans le quartier en insultant tout le monde, il ne se serait rien passé. Les jeunes ont réagi à cause des provocations policières. Il faut voir ce qu’ils ont dit quand Karim était par terre, fallait voir ça. Moi-même, j’avais une haine pas possible. Un mépris, il fallait voir  ! Il n’y avait pas une intervention de flics sans qu’ils les traitent de «  bâtards  », ou qu’on entende des «  casse-toi de là ou on va te fumer toi aussi  ». Ils braquaient les jeunes, n’importe qui… Pour moi, c’est eux qui ont foutu la merde franchement. Les flics impliqués dans la fusillade ont été évacués, et les autres ont débarqué immédiatement…
J’étais là quand il y avait le corps. Même pas dix minutes après que le drame se soit passé, j’étais en bas. C’est mon fils qui m’a réveillée. On essayait de couvrir le corps de Karim, pour tenter de calmer le jeu. Calmer les jeunes. Mais non, pour les flics c’était un plaisir qu’on le voit comme ça. Il est resté quand même jusqu’à quatre heures du matin, sans qu’on puisse s’approcher de lui, sans qu’on puisse le couvrir. J’ai vu les pompiers, l’ambulance du côté de la Bruyère. Mais ils ne sont pas intervenus. Le corps de Karim est resté exposé plus de trois heures, aux yeux de tous. Je pense qu’ils savaient très bien pourquoi ils ne laissaient pas intervenir ni les pompiers, ni l’ambulance... Mon fils pleurait, il disait  : «  Maman, il n’est pas mort, hein, il n’est pas mort.  » Moi j’avais compris tout de suite. Ça a été lourd pour tout le monde, aussi bien pour moi que pour tous les proches, mes enfants, les cousins de Karim, son oncle…
Il y a quand même des jeunes qui ont assisté à cette scène, dont le petit frère de Karim. Ils sont tous partis en courant de peur. Tu sais, quand ça tire de tous les côtés, tu ne sais pas d’où ça vient. Quand mon fils est arrivé en courant, il a vu son cousin par terre et le flic était encore là. Il a braqué mon fils, qui n’arrivait plus à bouger  : «  Casse-toi de là ou je te fume toi aussi  ». Ils nous ont tiré dessus quand même, à coups de flash-ball. Je suis partie en courant avec ma gandoura, j’ai dû me cacher derrière un mur  ! Tout ça pour qu’on se casse. On leur a dit  : «  Mais ce n’est pas possible, laissez-nous le couvrir…  »

Et en terme de présence policière ?

Je ne te dis pas  : hélicoptère, GIPN, GIGN… C’est simple on se serait cru à Beyrouth. Tu ne pouvais pas rentrer. «  Pas du quartier  ? Non, vous faites demi-tour !  » Franchement c’était un truc de fou. Je sortais de chez moi, pour descendre chez ma voisine qui habite au premier et dans le couloir, je trouvais les flics ! Tu sais c’est impressionnant  : avec les casques, les armes et tout, tu te dis  : «  Oh, on va où là  !  »
Ça a duré une petite semaine… Pour moi, c’était un an, je n’en voyais pas la fin. Et il fallait rouler au pas. C’est à peine s’ils ne te tiraient pas dessus, pour te dire de rouler au pas  ! Tout le long de l’avenue de la Bruyère, des camions, des camions, des camions  ! Ils étaient comme des fourmis. Tu sais, avec les fusils. Je me suis dit  : mais ils sont devenus fous  ! Toutes les voitures se faisaient fouiller ! Jour et nuit, on n’en pouvait plus. Ils ne nous laissaient pas dormir. T’avais l’impression que l’hélicoptère était à la fenêtre, tu n’avais pas besoin de lumière chez toi, c’était tout éclairé. Ou sinon, ils utilisaient un espèce de spot de lumière posé sur un camion.
Et je te raconte pas les perquisitions, combien on en a vues, avec les portes descendues. Des gens qui n’avaient rien à voir avec toute cette affaire, des gens qui dormaient, qui se faisaient descendre leur porte à 6h du matin et se faisaient plaquer au sol. Ma voisine c’est pareil, ils ont fait tomber sa porte pour chercher son fils  : ils savaient qu’il était incarcéré depuis huit ans ! Ils ont fait tomber les portes chez ma sœur : son mari, ils l’ont jeté en l’air comme une marionnette. Ils ont fait tomber les portes chez la voisine aussi. Et l’après-midi même du décès, chez la mère de Karim, ils ont fouillé et ils sont partis. Alors qu’ils savaient très bien qu’il ne vivait pas là. Ils sont quand même rentrés le jour même du deuil  !
Sinon, ils ont aussi perquisitionné toute une coursive de l’Arlequin : mon père, qui vient juste d’avoir 90 ans s’est fait perquisitionner ce jour-là, un peu plus et ils lui descendaient sa porte ! Ce jour-là d’ailleurs, ça a été un véritable laboratoire de perquisition à grande échelle. Sinon, une voisine a fait une attaque à cause d’eux ; une autre s’est fait voler 150 euros dans son sac à main pendant la perquisition. C’est des voleurs, si si, je t’assure. Une dame qui s’était fait défoncer la porte leur a demandé qui allait la réparer. Et tu sais ce qu’ils ont dit  ? «  Dites à vos enfants qu’ils vous la payent ». A une autre, ils lui ont même dit, droit dans les yeux : «  C’est pas nous  » alors qu’ils venaient à peine de défoncer la porte ! Quand ils sont venus chez moi et que je leur ai demandé pourquoi ils fouillaient, qu’est ce qu’ils cherchaient, ils m’ont répondu  : «  Estimez-vous déjà heureuse qu’on ait sonné ». Il y en a plein, des exemples comme ça. Moralement, ils nous ont tués. Je sais pas comment je fais pour tenir, je ne sais pas comment je n’ai pas encore atterri chez les fous, franchement ! On dirait qu’on est de la merde, on a l’impression d’être dans un camp. Un peu plus et ils nous mettaient des barbelés autour de Villeneuve ! Ils en font trop, franchement. Surtout depuis que Sarko a donné le feu vert. C’est de pire en pire.

Qu’est-ce qui a changé à Villeneuve depuis tout ça, dans la vie quotidienne, et par rapport à cette présence policière ?

Il y en a moins, mais dès qu’ils interviennent, il y a toujours beaucoup de provocations. Il y a deux jours, il y a un camion de CRS qui s’arrête, il y en a un qui descend et qui chante «  les enfants de la patrie  » en regardant les jeunes. Ça veut tout dire ça  ! Une autre fois, des jeunes étaient assis en bas du 10. Les CRS passent, ils avaient un drapeau algérien dans le camion et ils dansaient avec, comme ça. Ils se foutent de la gueule du monde. C’est de la pure provocation  ! L’autre soir ils étaient là, dans le jardin, juste pour se faire voir ; ou alors ils tournent par trois, sans raisons particulières, avec un air de défi. Ils ne mettent pas de l’ordre, ils mettent du désordre  : c’est pas le service d’ordre, c’est le service désordre  ! Ils sont là tous les jours pratiquement. C’est l’UTEQ maintenant qui tourne. Eux, ils ne savent que mettre les petits contre les murs. Les petits partent s’entraîner au foot et les flics les bloquent. Quand tu leur demandes pourquoi ils font ça, ils te disent  : « Vous ne savez pas ce qu’il se passe dans le quartier  ». Mais qu’est-ce qui se passe dans le quartier  ? A les entendre parler on dirait qu’il y a des trucs graves. Bien sûr qu’il y a des trafics souterrains, mais pas grand-chose. Ils disent tous  : «  Villeneuve, Villeneuve  ». C’est facile de salir un quartier. Les bastons au Jardin de ville, la Grande Rue qui crame, on n’en parle pas. Mais dès qu’il s’agit de Villeneuve...
Sinon c’est triste. Quand je vois les jeunes, on pense tout le temps à ce qui s’est passé et je repense à lui. Tu sors, tu es obligé de penser à ça. Tu les vois les jeunes, ils ne sont plus pareils. Quand tu vois ton ami d’enfance, avec qui tu as grandi, se faire tuer sous tes yeux, tu ne peux pas oublier une scène comme ça. D’ailleurs il y en a plein qui restent toujours assis là où y avait le corps de Karim. Ils sont tout le temps assis là-bas, moi la première. C’est un besoin que j’ai.
La vérité maintenant, c’est que c’est triste. Avant tu les voyais sur la place du marché, maintenant, il n’y a plus personne et il n’y a plus de bar non plus. Le quartier est mort. Tu descends, tu les vois, tous les jeunes traîner. Il n’y a rien ici pour les aider. Encore avant, il y avait le 110, ils pouvaient aller là-bas, ils faisaient un billard, ils étaient en terrasse, ils rigolaient, ils se racontaient des conneries. Maintenant il y a la boulangerie, le taxiphone, le presse-tabac, c’est tout. Tout ce qu’il y a. Pas que pour les jeunes  : pour tout le monde, il n’y a rien. C’est fini. De toute façon, c’est eux qui l’ont voulu. à ton avis pourquoi ils ont fait des cités comme ça, des cité-dortoirs. Ils y ont mis des familles nombreuses, ou difficiles : ils savaient très bien. Maintenant j’entends plus mon fils me dire «  on va au foot salle  » ou bien «  on va au lac  ». Du plus petit au plus grand, tout le monde partait, avant, quand il y avait Karim. Maintenant je n’entends plus ça. Terminé  ! Tu descends en bas, ils sont assis, ils tiennent les murs et ils subissent les provocations de la police.

Et la réaction des habitants depuis ça  ?

Tous les gens qui ont connu Karim, qui savaient qui il était réellement, tous ces gens-là ont été marqués. Alors oui, les gens qui ne l’ont pas connu, ils vont te dire que c’était un délinquant. Ils vont le pourrir parce qu’ils ne savaient pas qui c’était, cette personne. Tandis que tu descends ici, les commerçants, ils vont t’en dire autant que moi. C’était quelqu’un d’apprécié dans le quartier, ce n’était pas une crapule, comme les médias le présentent. Certains le surnommaient Robin des Bois  !
Et puis, il y a ceux qui veulent partir du quartier. Ceux-là, ils n’ont pas essayé de comprendre pourquoi les jeunes ont réagi comme ça. Tout de suite ça a été  : «  Ils ont brûlé les voitures et patati…  » Mais ceux-là, ils étaient enfermés chez eux. S’ils avaient été en bas comme nous, ils auraient vu les provocations, les insultes. Il y a aussi ceux qui se disent : «  Si la police vient chez eux, c’est qu’il y a de bonnes raisons.  » Et alors même que les jeunes ont été relâchés, ils ne cessent pas de soupçonner ; ces mêmes voisins qui venaient taper à nos portes pour nous demander de la nourriture et autres services, ils nous regardent encore aujourd’hui en chiens de faïence. Faut arrêter d’inventer et de polémiquer comme ça. Les jeunes qui tiennent les bancs ou les murs, donnez-leur des trucs, donnez-leur des formations, des salles. Dans le quartier il n’y a plus rien, il n’y a pas d’association pour eux  ; la mission locale, ils ne font que se balader avec leur cartable, ils n’aident pas les jeunes. Par rapport à mon époque, ils ne font plus rien. Tu vas dans tous les autres quartiers de Grenoble, ils ont des salles. Pour le Ramadan, les gens peuvent se réunir, boire un thé, jouer aux cartes. Ici il n’y a rien. C’est normal qu’ils tiennent les murs et les bancs.

Vous avez l’impression qu’il y a un acharnement sur la famille, sur les proches, les amis  ?

Bien sûr. Je ne sais pas comment cette histoire va finir. Un jour il y en a un qui va péter les plombs et qui va se balancer par la fenêtre. Ils vont arriver à ça. C’est vraiment un climat de peur. J’en connais une qui m’a dit qu’elle allait se jeter par la fenêtre  : deux fois de suite ils sont venus. La première fois ils ont défoncé la porte, la deuxième fois, ils ont sonné. Ils s’étaient rendu compte que c’était une famille normale, pas une famille criminelle. Ils cherchaient chaque fois son fils. Ils le prennent, ils le relâchent, ils le reprennent, ils le relâchent. Faut arrêter. Elle voyait son fils partir pour 20 ans. Et en fait il n’y est pour rien du tout dans cette affaire. Sur le coup quand ils ont arrêté cette personne, ça a été une arrestation avec caméra. C’est passé directement à la télé. Quand tu vois ton fils à la télé, présenté comme le «  complice  », comme celui qui a fourni les armes… Alors que ce jeune il y était pour rien. Ils sont venus le chercher pour un crachat. Parce que l’endroit où ils ont tué Karim, les jeunes restent toujours à cet endroit. Il y en a qui crachent, qui fument  : ils ont pris le crachat de ce petit jeune, et ils sont venus le chercher. Alors marche dans la rue et crache plus  ! Quand ils sont venus, il dormait, il a vu les fusils et les Rangers sur son lit, ils ont traversé le sommier à lattes, et ils l’ont braqué comme ça. Depuis il a été relâché mais il a quand même fait de la garde à vue, c’est traumatisant. Ceux qu’ils ont arrêtés, les médias les ont présentés comme les complices assumés. Mais c’était la honte pour la police, parce qu’après, aux infos, ils ont bien dû dire que c’était pas eux. Comment tu veux qu’ils deviennent pas fous, les jeunes  ? C’est normal après qu’ils aient de la haine. Que de la haine. On va où  ? Soit ils ont des indics qui les renseignent mal, soit ils ont pété les plombs.
Ils se sont servis de l’histoire de Karim. Moi je pense qu’ils ont fait tout ça en sachant qu’ils étaient en tort. C’est eux qui ont foutu la merde donc ils se sont dit  : on va faire tomber les portes, on va fouiller tout ça, on va trouver des armes, de la drogue. Pour encore plus gonfler l’affaire. Mais dans les familles chez qui ils ont fait tomber les portes, ils n’ont rien trouvé, au contraire, c’est eux qui ont tout cassé. Tu es impuissant, tu subis. Et ce n’est pas fini. Ils se sentent forts.

D’ailleurs, les suites judiciaires et policières, où en êtes-vous  ?

On a porté plainte. Pour le moment il faut qu’on épluche le dossier. On ne veut pas en rester là, ça c’est sûr. Ils savaient très bien que c’était lui. Ils auraient pu le cueillir après. Le laisser partir et après le prendre. Il y a plusieurs versions et franchement, toute cette histoire ne tient pas debout. Eux ils disent  : «  légitime défense  ». Karim avait des armes lourdes sur lui. Ils disent qu’il a tiré le premier. On ne saura jamais la vérité. Avec la balle qu’il s’est pris dans le pied, il devait déjà être à terre. Ils avaient les moyens de l’arrêter autrement, sans lui tirer une balle dans la tête. Ils pouvaient tirer sur la voiture, dans les roues. Et encore. Le jeune de Vaulx-en-Velin qui s’est fait tuer en Suisse, ils ont crevé les quatre roues, mais ça ne les a pas empêché de lui tirer une balle dans la tête. Ils veulent tuer. En France, depuis que Sarko leur a donné le feu vert, ils se disent  : «  c’est de la racaille en moins. On va nettoyer les quartiers à coup de Karcher  » ; Non, on ne saura jamais la vérité. Karim est parti avec, et le flic a été médaillé. Les poursuites, ça sert probablement à rien. C’est un flic. Mais on veut savoir pourquoi Karim est mort ce soir-là. Et puis, de toute façon, l’enquête n’est pas finie. Ils sont venus chercher mon fils pour des empreintes trouvées sur le sac, parce qu’ils étaient partis en vacances avec. Ils n’ont rien, mais ils cherchent toujours à emmerder. Ils sont allés chez les gens avec ce qu’ils avaient trouvé par terre autour du corps de Karim  : les mégots, les crachats. Et comme Karim avait une voiture volée, qui tournait dans le quartier depuis pas mal de temps, ils ont trouvé 17 ADN sur cette voiture. Ces 17, ils ne sont pas encore allés les chercher. C’est pour ça, six mois après, ce n’est pas fini. Ils ne s’arrêteront pas là, ça c’est sûr et certain.
Une autre question qu’on se pose, mais on n’aura jamais la réponse  : qu’est-ce que la BAC faisait au casino, avant même que le braquage ait lieu ? Ils l’attendaient  ? Ce n’est pas leur secteur, c’est celui de la gendarmerie… Il y a une journaliste qui est allée voir le patron du casino  : personne ne veut parler ! Il y a quelque chose de bizarre derrière tout ça… Je ne pense pas qu’on connaîtra un jour réellement toute la vérité.
Mais les flics, eux, ils se régalent. Quand ils ont tué Karim, ils se sont félicités. Un flic a dit à celui qui avait tiré : «  Bien joué  ». Enlever la vie à quelqu’un, ce n’est pas drôle, mais qu’est-ce tu veux, il y en a qui n’ont pas de cœur. Si ça leur arrivait, ils verraient un peu la douleur, ce que c’est de vivre un drame comme ça. Mais ils ne savent pas ce que c’est  : ils vivent dans des résidences, ils ont des bons boulots, leurs enfants vont dans des écoles privées. Les enfants des quartiers difficiles, il y a qui et quoi pour eux, franchement  ? Ici, il y a que des gens défavorisés. Ils nous stockent tous dans des endroits comme ça. Et dès la primaire, les enfants sont stigmatisés. Ça parle sur eux, même parfois les ASEM, les instituteurs et les agents de service : « On ne t’a jamais appris à tenir une fourchette ? », «  dis-donc, ta mère ne t’a pas appris à te laver et à t’habiller ? », etc. Ça commence comme ça. La destruction d’un enfant, ça se joue très tôt, à l’école. Et puis à 14 ans ils les virent des lycées et des collèges. Comme ça, allez casse-toi. Et après, on s’étonne que le gamin fasse des conneries. Le frère de Karim, qui a été incarcéré hier, ils l’avaient jeté du collège à 14 ans sans aucun suivi, personne derrière, en sachant que la mère était seule et malade. A mon époque, il y avait des éducateurs ou des éducatrices qui l’auraient aidé à faire des démarches, tu vois  ? Aujourd’hui, ils en ont rien à foutre, et tout le monde se renvoie la balle. On accuse les mères. Mais les mamans peuvent pas être derrière le dos de leur fils toute leur vie. Et puis la vie, elle est dure. On ne peut pas comparer un enfant qui vient d’une famille aisée, et un autre qui vient d’une famille qui connait la misère.

Et les médias, dans tout ça  ?

Ils sont venus au moment où c’était chaud, ils allaient vers les jeunes. Alors les jeunes disaient «  cassez-vous  », qu’est-ce que vous voulez, il n’y avait plus de confiance. Faut voir comme certains journalistes se sont fait jeter. Et les images diffusées par les médias, c’était choquant, franchement. Sur France soir, ils ont montré le cercueil de Karim quand même. Ce n’est pas une chose à faire. Tous ceux qui ont vu l’émission nous ont dit  : «  Comment ça se fait que vous ayez laissé faire ça  ?  » On n’était même pas au courant. Ils ont même été à la morgue ! Le temps que je sorte pour les insulter, ils étaient partis. Je les aurais bouffés, ils ont un sacré culot. Si on n’avait pas été là, ils se seraient fait passer pour des amis et auraient pris le corps en photo. Pour avoir un scoop. Il y a eu aussi les arrestations en direct. Non mais franchement. Ou encore, la fois où ils ont interviewé des jeunes dans une émission, je ne sais plus laquelle. Les jeunes ont dit  : «  Faut qu’il y en ait un de la BAC qui meure  ». Les journalistes, franchement, pourquoi ils laissent passer un truc comme ça  ? Ils savent très bien que les jeunes sont dans la douleur, dans la souffrance  : sérieusement, va pas les enfoncer, va pas donner ça à la télé. Tu ne prends pas les jeunes comme ça, à chaud. La polémique elle ne s’arrête plus après. Comment tu peux t’amuser comme ça avec des jeunes dans la détresse  ? Aide-les, diffuse des images du quartier, montre dans quoi ils vivent justement, comment ils traînent  : fais un reportage pour essayer de faire bouger des personnes, pour aider ces jeunes. Je ne comprends pas la gamberge qu’ils ont, ces types. C’est des pourritures. Peut-être qu’à la fin du mois, ils ont 100 euros de plus sur leur salaire. Mais c’est n’importe quoi franchement. Aujourd’hui, y en a pas un qui a intérêt à se balader et à les questionner, avec ce qu’ils ont vu là, ça ne passera pas. Parce que tu ne passes pas des choses comme ça, tu te rends compte  ?
Enfin, tout le monde s’est bien servi de cette histoire. Que ce soit les médias ou les politiciens : ça a fait gonfler leur audience, et ça a augmenté le quota de la délinquance. Et les chiffres, ça permet de justifier les institutions. Regarde aussi certains habitants du quartier, qui n’ont pas hésité à faire jouer leurs assurances en cramant volontairement leurs voitures pendant les émeutes. Regarde certains commerçants qui ont dit avoir été menacés par les jeunes, juste pour pouvoir changer de locaux. Tout le monde s’est bien servi de la mort de Karim. Et pendant qu’on accuse les jeunes, on passe sous silence les vrais problèmes.

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