Entretien avec des habitants de la Cité Viscose à Échirolles
« On est peut-être pauvres, mais on n’est pas cons »
Le 18 avril, une trentaine d’associations d’habitants et de copropriétés, de Grenoble, d’Échirolles, de Pont-de-Claix et de Saint-Martin-d’Hères appelaient à un rassemblement devant la mairie de Grenoble pour réclamer un « chauffage urbain plus juste ». Ils s’insurgent contre les tarifs prohibitifs pratiqués par la CCIAG (compagnie de chauffage de l’agglomération grenobloise) aux usagers, qui dégage une marge de plus de 6 millions d’euros (voir encart).
Les premiers à se mobiliser sur cette question ont été les habitants de la Viscose d’Échirolles, scandalisés d’avoir vu leur facture de chauffage bondir suite à l’arrivée de la compagnie de chauffage dans leur quartier. En deux ans, ils sont parvenus à imposer cette question dans le débat public local et à rallier d’autres groupements d’habitants à leur combat. Une mobilisation précieuse pour ceux qui regrettent que les associations d’habitants ne s’occupent souvent plus qu’exclusivement des crottes de chiens ou des « incivilités ». Alors Le Postillon est allé à la rencontre d’habitants de la Viscose, pour tenter de comprendre comment s’est déclenchée cette lutte non achevée.
L’entretien s’est déroulé avec deux membres de l’association des habitants de la Viscose. Par commodité, nous avons regroupé leurs paroles dans une seule voix.
Pourquoi avez-vous commencé à vous mobiliser ?
Avant, la plupart se chauffaient à l’électrique : tout le monde gérait son truc et faisait comme il voulait. En 2008, ils ont mis le chauffage urbain dans toute la cité en nous promettant qu’on serait mieux chauffé. Mais quand on a vu les premières factures, tout le monde a vite déchanté. Pour un F5, certains devaient payer 700 euros. C’est un mois de salaire d’un retraité.
Le chauffage urbain peut être rentable, mais il faut l’installer dans une maison HQE. Ici, on est dans des bâtiments énergivores... Les travaux d’isolation ont été très mal fait. Quand elle a rénové les bâtiments, l’OPAC 38, le propriétaire [NDR : c’est un bailleur social], a fait au minimum, a tiré sur toutes les dépenses, ce qui fait que c’est très mal isolé. Nous on chauffe les oiseaux. Ici les oiseaux n’émigrent pas l’hiver, ils sont bien sur nos toits. Avec le chauffage urbain, tu ne peux pas décider de chauffer ou pas. Tu ne peux rien faire et à la fin tu es obligé de payer. Avant, le mec qui n’avait pas d’argent ne se chauffait pas, mettait trois pulls et voilà, c’était fini. Maintenant si tu ne payes pas, on te fait venir les huissiers.
Pour résumer, ils ont trouvé une façon de prendre de l’argent aux habitants sans qu’ils puissent se retourner contre qui que ce soit. La société de chauffage construit un monopole sur toute une partie de l’agglomération, et après tu n’as plus le choix.
Comment expliquez-vous que vous ayez été les premiers à vous activer sur cette question ?
Nous ce qu’on a fait ce n’est pas extraordinaire, c’est juste qu’on n’a vraiment plus supporté ce sentiment d’injustice. Cette injustice, qui existe depuis tout le temps, et qui est bien colmatée ailleurs. Ici elle l’est moins parce que c’est un quartier populaire, dans le bon sens du terme, ce n’est pas un quartier à risques, il ne se passe jamais rien de violent, tout se déroule dans une atmosphère super cool, familiale, conviviale. C’est une des plus vielles cités ouvrières : elle a été construite en 1927. La plupart des gens sont là au moins depuis 1950. Ça donne cet esprit très fort, des familles sont là depuis 50 ans, de père en fils, t’as même des petits fils, les mecs venaient de partout, Pologne, Algérie, Tunisie, Russie, Yougoslavie, Auvergne, Bretagne,... Il y a toujours eu plein de jardins ouvriers qui sont encore là aujourd’hui. Il y a cette histoire qui fait que la Viscose n’est pas noyée par la société, ce n’est pas une cité dortoir, même si elle est en train de le devenir....
Ils se sont dit « Là-bas il n’y a rien qui se passe », donc ils ne vont rien dire et on peut faire ce que l’on veut. Manque de pot, on a relevé la tête. Nous on est peut-être pauvres, mais on n’est pas cons. Ils ne s’attendaient pas à qu’on ne se laisse pas faire. On s’est même posé la question : est-ce qu’ils n’ont pas fait exprès de faire ça, augmenter les charges, pour faire évacuer le quartier.
« C’est en train de devenir une cité-dortoir », c’est-à-dire ?
Ici, il y a 14 hectares, alors ils veulent reconstruire des bâtiments, notamment des logements sociaux. On est pour les logements sociaux. Mais tu prends Seyssins, Meylan, La Tronche, Corenc : ces communes n’ont pas de logements sociaux et préfèrent payer les amendes. Alors ils vont transformer notre quartier en construisant partout, notamment sur des jardins sauvages.
Ici il y a une histoire, tu vois comme à Versailles. Mais à Versailles ils font attention de bien conserver cette histoire, le château, les murs,... tandis qu’ici on s’en fout. C’est l’histoire de quoi ? De pauvres mecs de cité ouvrière, de résistance pendant la guerre. Une histoire pas vraiment importante pour eux, à part de temps en temps pour les commémorations. Ah si, ils ont construit un musée dans le quartier. Dans le musée on met tout, et à côté on démolit. Ça sert à quoi ?
Ici on a une qualité de vie. Mais eux, l’OPAC 38 ou la mairie, ne se posent pas la question sur la qualité de vie.
Pourquoi avez-vous « relevé la tête » alors que l’ambiance générale est plutôt à la résignation et à l’acceptation ?
Aujourd’hui les ouvriers n’ont plus d’argent. A un moment quand tu n’as plus d’argent, tu es obligé de relever la tête. Et quand tu lèves la tête tu t’aperçois que c’est démentiel, qu’on est vraiment des grosses vaches avec des gros tétons et qu’on nous ponctionne partout. Il y a des gens qui ont travaillé quarante ans et qui à la retraite n’ont plus rien. Un ami portugais, ça fait cinquante ans qu’il est là, il ne peut même pas aller chez lui parce qu’il n’a pas d’argent. Il a quatre-vingt balais et il est en train de jardiner. Mais il ne jardine pas comme le vieux retraité dans sa villa, parce que ça lui fait plaisir, non, ça fait partie des comptes, il fait deux jardins par an parce qu’il n’a pas le choix. Ces gens là ne vont pas voir l’assistante sociale, ils gardent leur dignité.
Quelle suite pour la mobilisation ?
C’est vraiment les habitants qui bossent, qui se mobilisent ; l’association est juste là pour aider et accompagner mais pas pour faire. Certains habitants qui ont beaucoup participé au départ sont aujourd’hui crevés. Mais maintenant d’autres prennent le relais. On avait des militants politiques, des vieux, qui nous donnaient un coup de main. C’était vachement bien parce qu’ils avaient de la gamberge. Nous on était impulsifs, eux nous aidaient à mieux travailler cette impulsion.
Pour le 18 avril [NDR : jour du rassemblement devant la mairie], on va faire du porte-à-porte, on ne va pas distribuer des tracts dans les boîtes aux lettres. Nous on donne les tracts de la main à la main. C’est mieux parce que dans la boîte aux lettres, avec toutes les pubs, les gens ne regardent pas. Alors qu’en direct ils le prennent et ont beaucoup plus de chances de le lire. Nous c’est comme ça qu’on travaille. Le 18 avril c’est pour lutter au niveau de l’agglomération. Nous on continuera après, dans le quartier
Un article sur ce sujet « Cité Viscose : la hausse des charges ne passera pas » était paru dans Le Postillon n°2 (octobre 2009).
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La compagnie de chauffage est une grande famille.
La compagnie de chauffage est le genre de service public « moderne » qui se soucie énormément du bien-être de ses actionnaires, en dégageant une marge de 6 millions d’euros et en leur donnant 900 000 euros de dividendes pour la saison 2008/2009. Une sorte d’impôt caché pour ses actionnaires publics que sont la ville de Grenoble à 52%, la Métro à 5% et la ville d’Échirolles à 1%, et un gros cadeau pour Dalkia, actionnaire à 42% de la Compagnie de Chauffage et filiale de Véolia Environnement.
Cette entreprise peut compter sur son directeur de communication, Philippe Langenieux-Villard, ancien conseiller en communication de Carignon, pour se construire une belle image auprès des collectivités. Est-ce pour cette raison que Destot lui permet de gagner de l’argent sur le dos des habitants grenoblois ou est-ce parce qu’un de ses fils, Vincent Destot, est lui-même salarié d’une de ses filiales « Citélum » au Brésil ?)]