Accueil > Printemps 2025 / N°76

Zéro emploi net

Que se cache-t-il derrière l’annonce récente de licenciements à venir sur les sites français de STMicro ? De réelles difficultés économiques ou une triviale volonté de mieux satisfaire les actionnaires ?

« STMicro pourrait supprimer jusqu’à 3 000 emplois en France et en Italie. » Fin janvier, alors que les annonces de licenciements s’enchaînent dans la Cuvette et dans tout le pays, cette annonce a fait l’effet d’une petite bombe. Pour comprendre à qui elle est spécialement destinée, il faut voir quel média a sorti cette information en premier. « Bloomberg news » est un site spécialisé dans l’économie et la finance, surtout lu par des investisseurs et autres détenteurs de capitaux.

Cette annonce est donc à destination de tous ceux qui ont de l’argent à placer, et vise à les rassurer. En début d’année STMicroelectronics «  a vu le cours de son action toucher un plus bas sur 52 semaines, chutant à 23,81$ » (Investing.com, 13/01/25). Déjà en novembre 2024 on parle de « grosse baisse de régime » et la fin de l’année ne fait que le confirmer : « Le chiffre d’affaires de l’exercice 2024 a diminué de 23,2 % pour s’établir à 13,27 milliards de dollars.  »

Cette annonce de réduction des effectifs sonne un peu comme une promesse : ne vendez pas vos actions, un bon plan social va mettre les choses en ordre et l’action va repartir à la hausse. Pour l’instant, la situation est pourtant loin d’être catastrophique pour la multinationale franco-italienne. Même s’il a reculé de 63 % en 2024, le bénéfice de l’entreprise est néanmoins toujours largement positif : 1,56 milliard de dollars ! Selon la CGT de ST Crolles, l’année dernière a été marquée «  par une augmentation de 50 % des dividendes versés (0,06 $ à 0,09 $ par action), et par un programme de rachats d’actions [le capital étant alors divisé en moins de parts, leur valeur augmente] pour un montant de 1,1 Md$ sur 3 ans soit un peu plus de 366 M$ par an !  »

Dans une période moins faste économiquement que les années post-Covid, la multinationale s’applique donc à toujours mieux rémunérer ses actionnaires et à réduire ses coûts humains. Et malgré les 2,9 milliards d’euros donnés par l’État français, l’investissement sur ses sites de production français ne semble plus faire partie des priorités.

Lors du Capital Markets Day du 20 novembre 2024, STMicro dévoile un peu plus ses plans : délocalisation d’activités vers l’Asie, restructuration des sites industriels et des sites de conception présents sur le territoire national et en Europe et des mesures visant à diminuer les effectifs du groupe « afin de satisfaire un plan d’économie de plusieurs centaines de millions d’euros à l’horizon 2027  » (selon la CGT de ST Crolles).

Conséquence de ces choix stratégiques : diminution de la production des plaques les plus anciennes (200 mm) et concentration sur les unités de production les plus récentes (300 mm). Néanmoins, l’extension pour laquelle la subvention a été accordée prévoyait 3 nouveaux modules de 300 mm. Deux ans et demi plus tard, un seul est en activité. Pourtant en 2023, STMicro Crolles a touché 521 millions de la part de l’État français (les comptes 2024 ne sont pas encore sortis).
Conséquence directe : un premier arrêt de la production des plaques 200 mm se met en place à Crolles pour les vacances de février. La cinquième semaine de congés payés pouvant être imposée par l’employeur, tout le personnel de Crolles qui travaille dans les unités de 200 mm sera en congés du 26 février au 5 mars 2025, ce qui fait un arrêt de la production d’une semaine et des économies de 7 millions d’euros, d’après la direction. Le site de Tours a également été arrêté selon la même procédure du 2 au 6 janvier, et celui de Rousset du 12 au 19 février. Les contrats intérimaires sont également suspendus.

La grande valeur ajoutée de cette extension, bien mise en avant dans les médias en 2022, étaient les 1 000 postes supplémentaires pour la Cuvette grenobloise, même s’ils étaient très chers payés à 2,9 milliards d’argent public. Deux ans et demi plus tard les 1 000 emplois sont impossibles à retracer concrètement, le personnel étant toujours la variable d’ajustement dans la montagne russe du marché des semi-conducteurs. La seule constante c’est que ST fera toujours tout le nécessaire pour maintenir ses marges et engraisser ses actionnaires.

Si l’extension du site de STMicro à Crolles a pu déroger à la loi ZAN (zéro artificialisation nette) c’est au nom d’un projet soi-disant « d’intérêt général », incluant notamment les créations d’emplois. Aujourd’hui les hectares urbanisés en plus semblent plutôt relever de la logique ZEN : Zéro Emploi Net.