Accueil > Décembre 2019 - Janvier 2020 / N°53

Friture sur la culture - épisode 1 -

T’Angot brutal à la MC2

Dans le panier de crabes de la culture grenobloise, son nom est tristement célèbre. Faut dire que c’est lui qui a le plus d’argent, et donc de pouvoir dans ce petit milieu où tout le monde se connaît. Jean-Paul Angot dirige depuis 2013 la MC2, l’une des plus importantes scènes nationales en France. En six ans, il est parvenu à obtenir de sacrés résultats : une vingtaine de départs de salariés depuis 2015, une grève, une fréquentation en baisse, des partenariats qui capotent et des finance­s en piteux état. Ce qui ne l’empêche pas de postuler à un troisième mandat. La culture c’est bien, le pouvoir c’est mieux.

Il y a cet énorme parvis, la longue volée d’escaliers, une façade ovoïde blanche, une allure de cargo (c’est d’ailleurs son ancien nom) et à l’intérieur, un amphithéâtre de 1000 places aux boiseries et à l’acoustique parfaites : la MC2 n’est pas une « maison » de la culture mais un temple. « Le directeur de la MC2, c’est le pape. Il faut baiser sa bague et se taire  », rigole Étienne [1], acteur culturel grenoblois, en référence à sa manière de traiter les partenaires locaux : avec dédain. 

Avec sa carrure de rugbyman, son regard tombant et le cheveu grisonnant et fou, Jean-Paul Angot en impose du haut de ses 64 ans [2]. Ce fan de musique rock dirige la MC2, un établissement public de coopération culturelle (un EPCC, largement financé par le ministère de la Culture) depuis 2013. La MC2 est aussi une « scène nationale  », un prestigieux label de l’État. Avec un budget de 12 M€ et des salles exceptionnelles, la MC2 offre un cadre dont rêvent de nombreux metteurs en scène et comédiens ou musiciens. 

Pour diriger cette grosse machine, le directeur reçoit des missions de la part de l’État : il doit proposer une programmation pluridisciplinaire (spectacle vivant, théâtre, danse et musique), ainsi que du soutien à la création. Sur ce sujet, Jean-Paul Angot s’en sort, même si d’après nos informations, la billetterie serait passée de 112 000 entrées en 2012-2013 (avant son arrivée) à 88 000 sur la saison 2017-2018. Parmi les autres missions, le directeur de la MC2 a une « responsabilité d’entraînement, d’animation et de référence pour le vaste paysage de la création et de la diffusion » et une « considération permanente portée au territoire et à sa population  ».

La MC2, c’est lui

Mais Jean-Paul Angot a une vision très personnelle du concept de « considération  ». « Monsieur Angot aime dire aux compagnies que c’est lui qui les aide, il oublie que le producteur c’est la MC2  », affirme Bruno, un autre acteur culturel. Pourtant, le carnet de chèques de la MC2 fait rêver les compagnies grenobloises. « Il y a une perte d’ambition de la Ville en direction de la création. Donc il n’y a plus d’alternative, la MC2 est seule à mettre de l’argent dans des productions […] Sur le spectacle vivant, il devient un adjoint bis à la culture, alors que ce n’est pas sa mission  », explique Romane [3], opposante à Piolle et proche d’Angot. Bruno est dépité : « Le budget d’aide à la création de la MC2 est bien plus important que celui de la Ville de Grenoble. Dans ce domaine, Angot est beaucoup plus puissant que l’adjointe à la culture. Du coup, sa situation de monopole est telle qu’elle dissuade qui que ce soit de le critiquer.  »

Cette puissance de feu aurait pu être féconde pour le territoire, s’il n’y avait pas tant de ratés. Il a eu ce partenariat éphémère avec le Prunier Sauvage, qui apparaît dans la programmation 2017 de la MC2 puis disparaît. Il y a eu ce projet de création longue mené par François Verret, un chorégraphe. Au bout d’un an, tout s’arrête. S’ensuit un contentieux réglé au tribunal en faveur de la MC2. Cette année, des liens avec le théâtre Sainte-Marie-d’en-Bas ou le Musée de Grenoble sont annoncés.

Mais le partenariat le plus problématique reste celui noué avec le CCN2, le centre national chorégraphique lui aussi sous tutelle du ministère de la Culture. Ce centre est hébergé au sein des 22 000 m2 de la MC2 depuis plusieurs années. Mais entre Jean-Paul Angot et les deux directeurs, Rachid Ouramdane et Yoann Bourgeois, rien ne va plus. « Au fil des mois, on n’a fait que rencontrer des difficultés », racontaient-ils au Petit Bulletin (12/02/2019). Depuis, ils gardent le silence radio, en attendant les résultats de l’Inspection générale des affaires culturelles venue en 2019 à la MC2 afin de comprendre le conflit en cours. Selon des sources, Angot ferait tout pour mettre des bâtons dans les roues du CCN2, qu’il voit juste comme un concurrent. « Les directeurs du CCN2 apportent une nouvelle manière de faire. Ce sang neuf fait peur à Angot. Leur action agit en miroir de la sienne, et le CCN2 lui montre qu’il est dépassé », estime Étienne. Plus généralement, il questionne le rôle de la MC2 : « L’impact de la structure sur les quartiers voisins de Malherbe et Villeneuve est nul. Le lieu n’est pas ouvert, c’est un bunker de la classe dominante. » Pas besoin d’un master de sociologie pour voir à quel point le public de la MC2 est homogène socialement : malgré les millions d’euros d’argent public dépensés, il n’y a jamais d’évaluation de la fameuse « démocratisation culturelle ».

Conseil d’administration absent, Angot puissant

Cette bunkerisation externe de la MC2 interroge en interne. D’autant que les documents s’accumulent, comme le « rapport Garance », publié en septembre 2018. Demandé par le comité d’entreprise grâce à un droit d’alerte, le rapport a été réalisé par un cabinet d’expertise comptable indépendant. La direction l’a toujours dénigré, notamment parce qu’un des membres de ce cabinet est un ancien administrateur de la MC2. À moins que ce ne soit parce que le rapport met le doigt où ça fait mal ? L’action du conseil d’administration (CA) de la MC2 est ainsi passée au crible. En effet, l’EPCC est doté d’un CA (regroupant les financeurs de la Métropole, de la Région, du Département, de la direction régionale des affaires culturelles ainsi que des élus représentants du personnel et des personnalités qualifiées) qui décide des orientations stratégiques de l’établissement et choisit les grandes directions sur le fonctionnement général. « La Cour des Comptes avait souligné que le conseil d’administration ne jouait pas son rôle. C’est toujours le cas », tance le rapport du cabinet Garance. Plus loin, le rapport enfonce le clou au sujet du CA car « l’intérêt porté aux questions sociales pourrait être qualifié de lénifiant parce que dépourvu de sincérité ». La situation financière est abordée dans les derniers comptes rendus du CA, comme la situation de mal-être au travail (voir encadré), mais des décisions peinent à émerger.

Ainsi, Geneviève Balestrieri, adjointe au maire de Jarrie, représente la Métropole et est présidente du CA (elle n’a pas souhaité répondre à nos questions). Elle ne participe pourtant que très peu aux débats d’importance – lors du CA de janvier dernier, elle a ouvert la bouche quatre fois. La petite élue de Jarrie ne pèse pas lourd face à un Jean-Paul Angot qui en impose par son envergure nationale : voilà plus de 40 ans qu’il roule sa bosse dans le domaine culturel.

De la petite compagnie à la grosse maison

Avant de devenir ce directeur controversé, Angot a connu bien des postes. Et tout commence à Grenoble. Romane se souvient : « Il est ingénieur et ami avec le président de la compagnie de Chantal Morel, qui met en scène du théâtre. Quand l’administrateur part, le président branche son pote Jean-Paul qui se découvre une grande attirance pour l’art de la scène. Il a gardé le virus depuis. » Son premier poste, en 1984, va l’emmener jusqu’au CDNA, le centre dramatique national des Alpes, financé par l’État, qu’il intègre en 1988 avec Morel et sa compagnie. Angot l’accompagne dans la création de pièces de théâtre à succès au sein du CDNA, cette structure de création artistique alors hébergée au sein de la MC2. Mais le duo se rend compte des dysfonctionnements de l’institution culturelle, notamment les dépenses de l’établissement qui scandalisent Morel et Angot.

À peine un an après leur arrivée dans le mini-temple grenoblois, le duo claque la porte du centre dramatique et co-signe un «  rapport de mission ». La liste des griefs est longue : un budget dédié à la création, mais qui ne représente qu’un quart des financements, « le maintien de gens incompétents, une organisation administrative relevant plus d’une usine de boutons-culottes que du théâtre  » ou la pratique des cocktails à outrance. « Angot a 35 ans et signe ce rapport qui parle bien de l’institution culturelle et de ses limites. Le document est encore lu par les professionnels de la culture. Et puis la parole critique est suivie d’acte, car ils partent. Cela a donné à Morel et Angot une aura  », assure Romane. Parmi les personnes rencontrées, ils sont plusieurs à soulever l’écart entre les écrits enflammés du jeune administrateur de 1989 et les décisions du directeur de la MC2 de 2019.

Après les ors du CDNA, Morel va créer inlassablement des pièces dans un local de la rue Saint-Laurent quand Angot va dévier de cet axe. Les mois passent, et le tandem s’éloigne jusqu’à rompre. « Il y a eu un schisme, ou plutôt un désaccord professionnel. Jean-Paul a eu besoin d’aller voir ailleurs », poursuit Romane. Il va prendre le vert, et retrouve finalement une place à Nancy, comme directeur adjoint en 1994. Sa carrière est relancée dans le petit cercle des scènes nationales.



La carrière chahutée

En 1996, il progresse et pose ses valises à Valence, où il travaille à la Comédie. Angot y est co-directeur, mais les finances sont en berne. En 2000, il annonce un déficit de 700 000 francs. En 2001, le Ministère de la Culture met au jour un déficit de 5 000 000 de francs « lié aux exercices antérieurs de 1997 à 2000  ». L’écart est mystérieux mais Jean-Paul Angot démissionne. En 2002, il quitte Valence et commence une petite traversée du désert. Petite car en 2004, celui qui dirige alors la MC2, Michel Orier, l’appelle pour lui proposer de devenir directeur adjoint de la MC2 qui s’apprête à ré-ouvrir.

Deux ans plus tard, Angot s’en va prendre la direction de la scène nationale de Chambéry, l’espace Malraux, d’une taille moyenne avec un budget de 4,5 millions d’euros. Quand Michel Orier s’apprête à quitter la MC2, en 2012, l’ancien directeur adjoint se positionne. Une short-list est dressée mais une grande opacité couvre la succession d’Orier. Même Le Daubé (01/11/2012) relève : «  Cette procédure aura fait dire à nombre d’observateurs que Michel Orier avait ficelé sa succession avant de partir à la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture.  »

Un tel parcours lui aura permis d’étoffer son réseau. D’autant plus qu’il est présent dans d’importants syndicats de la profession, comme l’Association des scènes nationales (ASN), et est élu au Syndéac, le syndicat des entreprises artistiques et culturelles. Il garde un œil sur les 74 autres scènes nationales en France. Isabelle [4], une salariée, constate : « Il pense pouvoir profiter de son réseau, y compris au ministère de la Culture.  » Du coup, Angot se sent les mains libres. « Malgré son attitude avec les salariés, personne ne l’arrête. Par son silence, le CA le valide, alors pourquoi arrêterait-il ?  », se demande-t-elle. Aux manettes de la MC2, Jean-Paul Angot reprend en main l’organisation, les postes et les missions des salariés avec des résultats détonants : en six ans, il y a eu une vingtaine de départs, un procès aux prud’hommes et une grève en 2017 qui a marqué la profession, tant elles sont rares dans le milieu fermé et discret des scènes nationales. Pourtant, à Grenoble le 13 décembre, les 19 salariés de la technique se mettent en grève et rejoignent leurs 34 collègues (sur 54 permanents) de la partie administrative. En cause : la gestion financière et les situations de souffrance au travail. Au bout d’une semaine de spectacles annulés, Angot s’incline, et accède aux demandes des salariés. « D’après les fuites du ministère, il était sur un siège éjectable lors de la grève  », a appris Isabelle. Clothilde [5], salariée partie en 2017, complète : « Angot a sévèrement tremblé lors de la grève, mais il s’est couché au bon moment.  »

Départs et prud’hommes

Le cas de Géraldine Garin est emblématique de la souffrance à la MC2. Cette secrétaire générale est recrutée par Michel Orier et va assurer l’intérim entre l’ex et le nouveau directeur en 2013. Françoise [6] travaillait alors à la MC2 : « Géraldine Garin a dédié sa vie à la MC2, elle respirait et dormait MC2. Mais elle est partie du jour au lendemain car elle a été arrêtée par son médecin pendant deux ans.  » Au bout de cet arrêt, Géraldine Garin demande une rupture de contrat qui sera refusée, et se fait licencier pour inaptitude. L’ex-secrétaire générale a depuis gagné une procédure aux prud’hommes.

Le rendu du procès est instructif. D’abord, cet arrêt maladie est la conséquence d’un « burn out majeur et d’un syndrome dépressif réactionnel », selon le rapport de la médecine du travail du 21 janvier 2015. Pour motiver son jugement, le Conseil prud’hommal « considère, à la lecture de l’ensemble des documents, qu’il existe, depuis 2013, une dégradation des conditions de travail […] se traduisant par une surcharge de travail des salariés, des difficultés de communication et un mode de management de nature à accroître cette dégradation des conditions de travail  ». À l’issue de ce procès, en septembre 2017, Géraldine Garin obtient logiquement des indemnités importantes. Ce qui chagrine les partisans du directeur. Véronique [7], salariée à la MC2 et proche d’Angot, estime « que la dette initiale de la MC2 est aggravée depuis par les indemnités pour Mme Garin. Je sais que Jean-Paul Angot a fait un travail considérable pour limiter la casse pour les salariés, même si ce n’est pas clair pour eux.  »

Effectivement c’est loin d’être clair. Nous avons recensé d’autres personnes ayant quitté le Cargo à des postes mineurs, mais aussi en haut de la pyramide, comme une directrice adjointe, un administrateur ou un directeur administratif et financier. Ces exemples de départs de cadres de la MC2 ne sont pas isolés, et interrogent sur la gestion du personnel par Angot (voir encart).

Un trou

Ces départs plombent les finances – d’après les estimations du rapport Garance, 300 000 € sont dédiés aux licenciements et procès. Cet élément aggrave la dette de l’établissement, qui est déjà importante en 2004, lors de la réouverture. En effet, le nouvelle MC2 démarre avec 150 000 € de report à nouveau négatif [8]. Depuis qu’Angot est à la direction, celui-ci s’est considérablement creusé. 

Certains points financiers ne mettent pas nécessairement en cause Angot (sous-estimation des coûts de fonctionnement de 200 000 € en moyenne, baisses des contributions pour 248 000 € depuis 2005 et un dossier judiciaire « amiante » coûteux pour la MC2). Pour le reste, c’est bien le directeur qui a décidé de laisser filer le report, avec, dit-il, le soutien du CA. Selon le rapport Garance, il serait de 491 000 euros à la fin 2017. À cela se rajoute le déficit récurrent à la MC2, en moyenne de 60 000 € par an (jusqu’à 121 000 € en 2016). Là encore, les financeurs laissent faire.

On remarque notamment d’importantes dépenses pour des cabinets d’avocats. Entre 2014 et 2017, la MC2 paie 213 000 € à des cabinets, dont plus de la moitié au cabinet parisien Baron & Aidenbaum. Que ce soit pour répondre à la cour régionale des comptes (CRC), pour s’occuper des dossiers amiante ou du CDNA, Angot appelle le cabinet sans en référer au conseil d’administration. « Nous n’avons pas trouvé trace [durant les quatre derniers exercices] que le conseil d’administration en ait été vraiment informé », estime le rapport Garance.

C’est une habitude, car dès son arrivée, Jean-Paul Angot a une vision personnelle du pouvoir au sein de la MC2. En 2013, il finalise l’absorption du CDNA par la MC2, le même où Angot a fait un passage éclair. Lors des tractations, le directeur du CDNA Jacques Osinski entre en conflit avec le directeur de la MC2. « Il a eu besoin d’arranger Osinski car la situation était bloquée. Du coup, il lui a fait un chèque », analyse Romane. «  L’ensemble des montants engagés par le CDNA, la MC2 et le ministère de la Culture à l’occasion du départ de M. Osinski s’élève ainsi à 930 000 €  », d’après les documents de la CRC qui parlent d’un financement excessif. Il y a aussi l’indemnité gonflée (26 000 au lieu de 6000 €) à Osinski, décidée par Angot alors qu’il « n’avait ni mandat ni titre pour signer ce protocole d’accord  », et sans en référer au CA. Bref, des milliers d’euros sortent, ce qui fait rager Bruno : « On attend moins de justifications quant au projet culturel du directeur de la plus grosse maison de la culture de France que ce qu’on demande à une petite compagnie de théâtre.  »

Une réélection à risque ?

Malgré ce bilan, Angot en veut. Son mandat de trois ans arrive à terme en 2020, et il avait jusqu’à la fin de l’année pour se représenter. C’est chose faite : il nous a annoncé vouloir rempiler pour un troisième mandat. « Être directeur de la MC2 c’est la reconnaissance de son parcours et il a besoin de cette reconnaissance. Il s’inscrit dans les pas des précédents directeurs », estime Romane. La MC2 est en effet considérée comme un marchepied vers des postes de pouvoir. Une ancienne directrice a été nommée au CSA, une directrice adjointe est passée au cabinet du ministre de la Culture, un autre a longtemps dirigé le prestigieux théâtre de l’Odéon. Orier, lui, est passé par le ministère comme haut fonctionnaire avant de devenir directeur de la musique et de la création culturelle à Radio France. « À la place d’Angot, moi aussi j’essayerais de faire un autre mandat. Avec le niveau de salaire qu’il a, il aurait tort de s’en priver  », sourit ironiquement Isabelle . Il serait de l’ordre de 8 000 € mensuels.

En tout cas, Angot a pris un virage pour cette saison 2019-2020 et tente de mettre le paquet sur la communication, à grand renfort de pubs affichées sur les trams. Il renoue aussi le dialogue avec ses salariés, au moins par mail. « Il nous signale que telle compagnie viendra répéter ici, et nous transmet des mails de remerciements de certains artistes accueillis à la MC2. Mais on a l’impression qu’il essaie de renouer des liens avec son équipe parce qu’il est en campagne pour sa prochaine réélection. Cela s’arrêtera sûrement s’il est réélu  », estime Patricia [9], qui rapporte que les salariés sont loin de se mobiliser comme en 2017. Si elle est désabusée, les salariés partis sont eux très inquiets. « Ce serait incroyable avec toutes les casseroles – avec les rapports de l’inspection du travail, ou encore la grève – qu’il reparte pour trois ans. Ou alors, il est vraiment bien protégé », déplore une ex-salariée, Salima [10]. Clothilde confirme : « En étant au Syndéac et à l’ASN, on sait qu’Angot a beaucoup d’amis, qu’il est protégé et qu’il a du dossier sur pas mal de monde. Personne ne veut qu’un tel directeur ne parte avec fracas.  » Angot quittera-t-il le Cargo avant le naufrage ?

Celles qui ont quitté le Cargo

« Cela n’a pas été évident d’arriver avec une équipe qui fonctionne bien, soudée et solidaire. Alors pour marquer de sa patte la MC2, il entreprend la déconstruction de l’équipe. Chacun de nous devait tout recommencer à zéro. Nous devions tous refaire nos preuves face à la défiance du directeur.  » C’est ce que nous explique Juliette (1), une ex de la MC2. La suspicion face à ses salariés (peu de réunions ou de contacts) prend aussi la forme de « réorganisations concentrées pendant quelques années au niveau du secrétariat général, et ce jusqu’à aujourd’hui. Mais les chamboulements touchent d’autres services suite à de nouveaux départs. Beaucoup de salariés partis étaient compétents et aimaient leur travail  », assure Patricia. En défense d’Angot, Romane (1) assure que « parmi les personnes parties, il y a des salariés qui ont été épuisés, car une telle maison demande de l’engagement. C’est un rythme qu’on connaît dans les compagnies.  »

La situation n’a pas l’air si classique que ça. Dans son rapport, le cabinet Garance alerte par sa formulation : « Nous avons renoncé à produire l’ensemble des très nombreux documents et témoignages consultés sur les alertes répétées, mais restées vaines, des personnels, des élus du comité d’entreprise, du CHSCT, du Synptac CGT, des représentants du personnel au conseil d’administration, de l’inspection du travail et de la médecine du travail.  » D’après nos calculs, depuis qu’Angot est arrivé, une vingtaine de salariés ont quitté la MC2, surtout dans l’équipe administrative (une soixantaine de permanents) quand le service technique est plutôt préservé. Cette épidémie de départs touche des salariés aux profils variés. « Sur la période 2004-2017 le nombre de départs, quelles qu’en soient les conditions (licenciements, transactions, démissions), est tel que cela en devient dramatique », note le rapport Garance.

Comme Françoise (1) : « J’ai quitté un CDI stable que j’aimais pour des CDD. Maintenant, je suis au chômage. » Elle se plaisait à la MC2, jusqu’à ce que Jean Paul Angot arrive. Pour elle, les premiers signes sont arrivés rapidement : « J’ai commencé à péter un câble moralement et professionnellement. Un matin, je n’ai pas pu me lever et j’ai pris trois mois d’arrêt. » Sa tentative de retour échoue devant l’hostilité d’Angot : elle fuit la MC2 en démissionnant.

Salima (1) est elle aussi partie car Angot l’a changée de poste alors qu’elle n’était pas formée. Quand elle demande une rupture conventionnelle, l’administrateur lui oppose un refus. Elle démissionne sèchement.

Pour les salariés, c’est un crève-cœur : « Je quitte un boulot que j’adore et lui est toujours là. C’est une injustice profonde  », conclut Françoise. « À la MC2, on prône des discours sur l’humanité et la bienveillance, sur l’art qui est le véhicule de tout cela, alors qu’on vit tout l’inverse dans la structure. Les salariés pètent un plomb face à l’écart entre les deux. Je ne trouvais plus de sens à rien dans cette maison » tranche Vincent (1).

(1) Il s’agit de pseudonymes.

Notes

[1Pseudonyme

[2« Compte tenu de la phase de renouvellement qui n’est pas terminée, je ne souhaite pas répondre pour le moment. Une fois cette phase achevée [lors du conseil d’administration du 18 décembre 2019, ndlr], je serai ouvert à toutes les questions », nous a livré Jean-Paul Angot qui a dans un premier temps souhaité répondre à nos questions, avant de se rétracter à l’annonce de la date de parution.

[3Pseudonyme

[4Pseudonyme

[5Pseudonyme

[6Pseudonyme

[7Pseudonyme

[8On appelle report à nouveau le fait de remettre à une prochaine assemblée générale une décision concernant la façon dont le résultat sera affecté au moment de la clôture des comptes, qu’il s’agisse de bénéfices ou de pertes.

[9Pseudonyme

[10Pseudonyme