Si vous êtes pour l’intelligence artificielle, c’est évidemment une excellente nouvelle.
La voilà enfin, la récompense suprême pour le « laboratoire grenoblois » ! Voilà des décennies qu’ici on crée, on innove, on disrupte pour réduire toujours plus la place des humains et augmenter celle des robots. Des décennies qu’ici on invente des machines qui remplacent les humains, des machines qui font à la place des humains, des machines qui deviennent des prothèses indispensables aux humains. Des décennies qu’on tente de réduire à néant la part d’incontrôlable, de sauvage, de singulier qu’ont par essence les vies humaines pour les faire rentrer dans de grands moules où tout est sous contrôle.
Depuis un demi-siècle, on a ici de prestigieuses universités, des labos renommés et même le plus grand centre de recherche français en électronique et technologies de l’information. Le CEA-Leti a pondu ou accompagné quantité de start-ups, éternelles jeunes pousses ou futures multinationales, créant des milliers d’emplois œuvrant tous vers cet horizon glorieux : remplacer les humains par des robots, par des machines.
La récompense de tous les efforts réalisés par le territoire est arrivée avec l’annonce en grande pompe de cette implantation dans la Cuvette du plus grand supercalculateur d’Europe en intelligence artificielle. L’IA représente l’emballement actuel de cette course de fond vers la domination sans partage des robots. Avoir le « plus grand supercalculateur d’Europe » est donc un honneur, d’autant que ses performances sont éloquentes. Ce centre nécessitera 800 millions d’euros d’investissement et créera… vingt emplois. 99,9 % de l’argent ira donc aux machines, aux robots, aux centres de données : quelle éclatante razzia face aux humains.
Déjà, à l’été 2022, les robots avaient marqué de précieux points avec l’annonce par le président Macron de l’extension de STMicroelectronics, avec 7,5 milliards d’investissement (dont 2,9 milliards d’argent public) pour la création de 1 000 emplois. 7,5 millions d’euros par emploi créé : le ratio était déjà assez satisfaisant. Mais là, pour le supercalculateur, c’est 40 millions d’euros pour un emploi, soit 1 600 années au Smic. Victoire incontestable ! Les machines ont tout pris, il ne reste plus rien pour les humains. Chers partisans du déferlement numérique et de l’intelligence artificielle, savourez votre victoire !
Si vous êtes contre l’intelligence artificielle, c’est aussi (paradoxalement) une excellente nouvelle.
Si vous suivez encore un peu l’actualité, vous avez dû remarquer que la période est un poil étouffante. Il y a – bien entendu – les outrances des divers politiciens (français, américains, israéliens, etc.) mais ces dernières semaines ont surtout été marquées par une présence de plus en plus invasive de l’« intelligence artificielle ». Le sommet mondial pour l’action sur l’intelligence artificielle, organisé à Paris début février, a été l’occasion d’une intense propagande pour cette nouvelle forme d’automatisation, dans laquelle il faudrait foncer sans retenue. La plupart des politiciens et des médias euphoriques ont surtout milité pour que la France investisse massivement et devienne un « champion de l’IA ». Les quelques voix critiques ont insisté sur la fable d’une « IA durable » voire bonne pour la planète, ce qui est à peu près aussi crédible que l’avènement d’une roue carrée. Quant à toutes les volontés de rendre l’IA plus inclusive, féministe, émancipatrice, etc. elles paraissent aussi vaines que risibles.
Évidemment, la seule chose à faire, c’est de tout arrêter. En-dehors de ses applications « fun », l’IA ne sert absolument à rien, si ce n’est à augmenter le contrôle généralisé et le pouvoir des puissants, notamment de ceux à la tête des États-Unis. Le récent salut nazi du milliardaire Elon Musk a eu au moins le mérite de clarifier l’horizon fasciste de cette accélération technologique. L’IA va encore resserrer les mailles du filet du totalitarisme technologique : pour celles et ceux qui ne veulent pas de ce futur, il n’y a pas d’autre choix que de s’opposer à tout développement de l’IA.
C’est pour ça que l’implantation du « plus grand supercalculateur d’Europe » dans la Cuvette est une bonne nouvelle. Alors qu’on a l’impression de n’avoir aucune prise sur la déferlante d’IA, voilà une pierre posée à cet édifice juste à côté de chez nous. Cette proximité nous offre une cible à contester, alors que ce projet est absolument indéfendable, que ce soit pour le nombre ridicule d’emplois créés ou sa gigantesque consommation électrique, en plus du parcours répugnant de ses promoteurs (voir page suivante). Les débuts de ce supercalculateur sont prévus pour le mois de juin, avec une montée en puissance à venir dans les années suivantes. À moins que…
Tech & la fête est finie
L’année dernière, pour la première édition du Tech&Fest, le gigantesque salon de la noix connectée qu’il organise, Le Daubé (31/01/2024) voulait porter un « message positif, joyeux et festif » en « faisant le pari d’un progrès au service de l’Humain, de la planète et de la protection des espèces ». « Parce que demain s’écrit ici » et face à « la multiplicité des crises – environnementales, économiques, géopolitiques », les patrons du journal local voulaient « retrouver cette envie de futur et d’action » grâce aux innovations technologiques.
Pour la seconde édition, le ton de Christophe Victor, le patron du Daubé, est bien moins « positif, joyeux et festif » (Le Daubé, 5/02/2025) : « Lors de l’investiture de Donald Trump, une certaine tech américaine offrait un bien sombre visage. Tous alignés derrière le futur président des USA, les Musk, Zuckerberg, Thiel, assistaient au triomphe du libertarianisme et à l’enterrement du projet d’un web libérateur au service de la connaissance et de la démocratie. Dérégulation, utilisation effrénée des datas, remise en cause de la vérité (y compris scientifique), voilà le visage qu’offraient ceux qui, il y a quelques années, promettaient l’éducation de masse et l’information partagée, ciment d’un nouvel humanisme. Il est urgent de s’interroger sur le sens de la tech. » On voit ici poindre la fameuse schizophrénie des partisans de l’accélération technologique qui, après avoir promu pendant des années tous les développements de la vie connectée, se rendent compte effarés qu’en fait elle sert principalement des idées nauséabondes. Pour l’instant, cette schizophrénie n’entraîne aucun changement de ligne : cette année, le salon Tech&Fest du Daubé continuait à présenter sans la moindre trace d’esprit critique tout un tas d’innovations œuvrant à la « dérégulation », « l’utilisation effrénée des datas » et au « triomphe du libertarianisme ». N’empêche qu’on commence à percevoir que de plus en plus, même pour les plus fervents partisans de la tech, et notamment pour ceux défendant la fable qu’elle pouvait servir à la liberté et l’émancipation, la fête est finie… Reste à passer aux actes.
L’année dernière, pour la première édition du Tech&Fest, le gigantesque salon de la noix connectée qu’il organise, Le Daubé (31/01/2024) voulait porter un « message positif, joyeux et festif » en « faisant le pari d’un progrès au service de l’Humain, de la planète et de la protection des espèces ». « Parce que demain s’écrit ici » et face à « la multiplicité des crises – environnementales, économiques, géopolitiques », les patrons du journal local voulaient « retrouver cette envie de futur et d’action » grâce aux innovations technologiques.
Pour la seconde édition, le ton de Christophe Victor, le patron du Daubé, est bien moins « positif, joyeux et festif » (Le Daubé, 5/02/2025) : « Lors de l’investiture de Donald Trump, une certaine tech américaine offrait un bien sombre visage. Tous alignés derrière le futur président des USA, les Musk, Zuckerberg, Thiel, assistaient au triomphe du libertarianisme et à l’enterrement du projet d’un web libérateur au service de la connaissance et de la démocratie. Dérégulation, utilisation effrénée des datas, remise en cause de la vérité (y compris scientifique), voilà le visage qu’offraient ceux qui, il y a quelques années, promettaient l’éducation de masse et l’information partagée, ciment d’un nouvel humanisme. Il est urgent de s’interroger sur le sens de la tech. » On voit ici poindre la fameuse schizophrénie des partisans de l’accélération technologique qui, après avoir promu pendant des années tous les développements de la vie connectée, se rendent compte effarés qu’en fait elle sert principalement des idées nauséabondes. Pour l’instant, cette schizophrénie n’entraîne aucun changement de ligne : cette année, le salon Tech&Fest du Daubé continuait à présenter sans la moindre trace d’esprit critique tout un tas d’innovations œuvrant à la « dérégulation », « l’utilisation effrénée des datas » et au « triomphe du libertarianisme ». N’empêche qu’on commence à percevoir que de plus en plus, même pour les plus fervents partisans de la tech, et notamment pour ceux défendant la fable qu’elle pouvait servir à la liberté et l’émancipation, la fête est finie… Reste à passer aux actes.