DataOne : magouilles & paradis fiscaux
DataOne est un petit montage de quatre sociétés françaises créées fin 2024 et rattachées à une holding du même nom inscrite au Luxembourg (paradis fiscal). Toutes les quatre ont leur siège social dans les locaux de BSO Network solutions à Paris. Mais BSO est une société basée en Irlande (autre paradis fiscal) et possédant des bureaux un peu partout dans le monde. Cet « opérateur international de solutions et d’infrastructures » numériques a été créé par Charles-Antoine Beyney en 2004 alors qu’il n’avait que 22 ans. C’est également lui qui a créé les quatre DataOne. Ce serial entrepreneur ne manque pas de moyens car sa famille possède un grand cru du vin Saint-Émilion. En étant toujours codirecteur du « Château Clos de la Sarpe », il a aussi fondé la start-up Etix, domiciliée également au Luxembourg, elle aussi spécialisée dans la construction de centres de données.
Pour ce coup-ci, Data One Grenoble et Data One Lyon, tout juste créées, ont racheté le 6 décembre dernier les anciens centres de données de DXC Technology, une société détenue à 50 % par HPE (Hewlett-Packard Entreprises). À Eybens, juste derrière Alpexpo, ces centres de données sont situés dans d’anciens locaux d’HP et vont être entièrement « restructurés » pour en faire des « infrastructures entièrement dédiées à l’IA ». Pour installer les dizaines de milliers de GPUs (Graphics Processing Unit ou « unité de traitement graphique ») indispensables au calcul génératif qu’on appelle indûment intelligence artificielle, il faut beaucoup d’argent. C’est pourquoi DataOne s’est associée avec deux grands acteurs internationaux : AMD et G42.
AMD partenaire du CEA
Le fabricant historique de semi-conducteurs Advances Micro Devices (AMD), fournira les GPUs pour les nouveaux centres de données grenoblois annoncés le 12 février. Un jour avant, AMD a signé une lettre d’intentions avec le CEA (commissariat à l’énergie atomique) lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle. Le but de leur collaboration est de « de développer des solutions de rupture qui façonneront le futur du calcul IA en Europe et au-delà » explique Julie Galland, la directrice grenobloise de la recherche technologique du CEA (Le Daubé 12/02/25) qui ne précise pas à cette occasion que les supercalculateurs sont aussi beaucoup utilisés pour la défense. EXA1, un supercalculateur développé par le CEA et Atos en 2021, avait ainsi pour but de répondre « aux besoins du programme Simulation de la direction des applications militaires du CEA, dont le but est de garantir la sûreté et la fiabilité des armes nucléaires françaises » (Lettre d’actualité du CEA 17/11/21). L’IA, c’est avant tout la guerre..
G42, spécialiste des outils d’espionnage et de surveillance
Pendant le sommet mondial pour l’IA, Macron a annoncé « un projet de 30 à 50 milliards d’euros pour mettre en place un consortium de champions franco-émiratis ». Le principal acteur émirati en question est la société G42, « dirigée et présidée par le Sheikh Tahnoon bin Zayed, conseiller à la sécurité nationale des Émirats Arabes Unis et frère cadet du dirigeant du pays », dont une des filiales, Core42, est l’autre partenaire du projet grenoblois. Cet automne, G42 a annoncé une alliance avec Microsoft pour construire une « IA inclusive et durable ». Une bonne blague quand on s’intéresse aux principaux faits d’armes de G42. Le média Next (13/02/1984) nous apprend ainsi : « En 2019, un an seulement après la création de cette entreprise émiratie, une enquête du New York Times révélait qu’une application d’appels audio et vidéo nommée ToTok et téléchargée sur des millions de smartphones était en réalité un outil d’espionnage émirati. » Le Monde informatique (12/01/2024) raconte que le « CEO de G42 est également directeur exécutif de Pegasus Technology, une filiale de DarkMatter. Il développe des logiciels espions et des outils de surveillance que les gouvernements peuvent utiliser pour espionner et cibler illégalement les dissidents, les journalistes, les hommes politiques et les entreprises. » Des faits qui n’empêchent donc pas des acteurs américains et français de s’allier avec cette société. Le pouvoir de l’argent illimité du pétrole excuse tout.
La consommation d’un réacteur de centrale nucléaire
La consommation d’électricité annoncée pour le seul data center de Grenoble est pharaonique : 15 MW pour son ouverture l’été prochain, 250 MW d’ici deux ans et… « à moyen terme, soit 5/7 ans, l’objectif est d’atteindre 1 GW à Grenoble comme à Villefontaine » (Le Daubé, 12/02/2024). 1 GW ça équivaut à la puissance électrique moyenne produite par un réacteur d’une centrale nucléaire moderne... Comme Charles-Antoine Beyney a annoncé s’installer à Grenoble à cause de « sa proximité avec les Alpes et ses équipements hydroélectriques » et son souhait de n’utiliser que de « l’énergie verte », cela représentera plus que la production réunies des quatre grands barrages (Monteynard, Notre-Dame-de-Commiers, Sautet) du Drac (700 MW), du Chambon (116 MW) et de Romanche Gavet (97 MW).
L’arnaque de la chaleur fatale
Pour faire passer la pilule anti-écolo, Le Daubé a beaucoup mis en avant l’eau chaude gratuite potentiellement mise à disposition de la collectivité par le futur supercalculateur qu’il a estimée, on ne sait pas trop comment, d’une valeur de 15 millions d’euros (par an ?). Vu que ces machines ont besoin de beaucoup d’eau pour être refroidies, elles produiront une eau à 65°, disponible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. C’est ce qui s’appelle la « chaleur fatale ». D’où l’idée de l’utiliser pour – par exemple – chauffer des bâtiments. La loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021, entrée en vigueur le 15 mai 2024, imposerait d’ailleurs de valoriser la chaleur fatale produite par le numérique. La chose ne semble néanmoins pas être très contraignante même si de l’argent public est déjà disponible à travers des subventions de l’ADEME. Mais, là aussi, malgré de multiples effets d’annonce, notamment de la part de Charles-Antoine Beyley (avec, en 2010, un projet de Carinae Group dans la banlieue parisienne), il semble que cette réutilisation n’ait jamais véritablement fonctionné pour l’instant. C’est qu’elle nécessiterait de gros investissements de la collectivité pour raccorder cette eau chaude au réseau et pouvoir l’utiliser à bon escient. Si un jour on parvient à chauffer quoi que ce soit avec les centres de données, ça sera grâce à des fonds publics.
Pas de débat possible
Normalement, ce genre de projet entraînant une telle consommation d’électricité devrait être soumis à la consultation par le biais de la Commission nationale du débat public (CNDP). Les annonces faites par Macron début février permettent de passer outre, avec une « exclusion du champ de la CNDP » des « projets de centres de données ». Tout est fait pour accélérer les implantations : les « procédures contentieuses contre les projets de centres de données » vont être simplifiées et les centres de données pourront avoir le statut PINM (projet d’intérêt national majeur) « adaptant (si nécessaire) les règles d’urbanisme local » et sécurisant « les dérogations à la protection des espèces (si nécessaire) ». Le développement de centres de données ne peut donc pas se débattre : reste à le combattre.