Depuis les dernières élections municipales, le maire de Grenoble Éric Piolle se présente partout dans les médias comme le héros de « l’arc humaniste », censé rassembler tous les gentils pour combattre tous les méchants. Mais son « arc humaniste » n’en finit pas de tirer des flèches contre son camp. Dernièrement, une des plus acérées est certainement la coupure des fluides pour l’immeuble occupé du quartier de l’Abbaye à Grenoble. Le 12 décembre, une manifestation organisée par le Dal (Droit au logement) s’est conclue par l’occupation d’un des immeubles vides des « volets verts » dans le quartier de l’Abbaye. Le but était de loger une cinquantaine de personnes dans ce bâtiment chauffé alors qu’il était vide depuis plusieurs années. Mais quelques jours plus tard, tous les fluides (chauffage, électricité et eau) ont été coupés, alors que tous les réseaux distribuant ces fluides sont présidés par des élus verts et rouges. Tout comme le bailleur social Actis, propriétaire des bâtiments et présidé par la première adjointe grenobloise Élisa Martin, pilier de la France insoumise locale.
Tous ces élus se défendent en expliquant que cette coupure des fluides était programmée depuis longtemps, le dernier locataire de ce pâté d’immeubles étant parti le matin même de l’occupation. Si cette version semble plutôt plausible, le non-rétablissement de ces fluides (toujours effectif au 1er février) confirme qu’il ne s’agit pas d’une erreur mais d’un choix politique. Celui de rendre les conditions de vie impossibles dans ce bâtiment pour pousser au départ les occupants avant même que la procédure d’expulsion qu’ils ont lancée n’ait aboutie.
Car oui, tous ces élus de l’arc humaniste veulent la fin de cette occupation, qui ne rentre pas dans les cases de leurs procédures. Le piège qu’ils ont tendu au Dal et à leurs soutiens, c’est de placer le débat uniquement sur la situation personnelle des occupants, les élus assurant que les occupants sont principalement des personnes « en demande de mutation » de logement social (c’est-à-dire qu’elles ont déjà un toit donc qu’ils ne les laissent pas vivre dans le froid et le noir). Par ailleurs, ces mêmes élus prétendent pouvoir trouver des solutions pour les quelques personnes « vraiment » à la rue, au moins dans le cadre de l’hébergement d’urgence. Et c’est au moins en partie vrai : à l’intérieur des procédures, ces élus font tout ce qu’ils peuvent pour aider les mal-logés, les migrants et quantité de galériens. Le problème, c’est que :
1) ces procédures ne permettent pas de résoudre les situations humaines dramatiques, 1 700 personnes étant toujours à la rue, selon un comptage de la Métropole de 2019.
2) Les élus verts et rouges n’aiment pas du tout quand on sort du cadre. Et pourtant, quand on s’échappe de ce règne permanent de la procédure omnipotente, ça permet de poser plein de questions politiques des plus pertinentes. L’occupation de l’Abbaye permet non seulement de mettre sur la place publique le scandale de ces centaines de logements vides dans l’agglomération, dont beaucoup sont même chauffés pour rien. Mais aussi d’ouvrir le débat sur le futur de ces immeubles des « volets verts », construits dans les années 1930 et qui figuraient parmi les premiers logements sociaux de Grenoble. Après le projet de réhabilitation porté par la mairie et l’EPFL (établissement public foncier local), seulement 30 % des futurs logements seront sociaux, et même pas de la tranche des plus accessibles. Ce qui fait que quantité d’anciens habitants de ces « volets verts » ne pourront pas revenir habiter une fois les travaux terminés, contrairement au souhait de nombre d’entre eux. Les anciens « voyageurs » sédentarisés, autrefois majoritaires dans le quartier, vont donc laisser la place à des populations plus fortunées, dans un quartier en plein dynamisme immobilier, idéalement situé entre le campus et le centre-ville. Voilà pourquoi il faut défendre l’occupation de l’Abbaye, en dehors des cas personnels des occupants et de leur possibilité de sortir gagnants du dédale des procédures. La procédure n’est pas un outil neutre mais un projet politique : celui d’un monde bien rangé et tout froid. Comme un immeuble auquel on a coupé le chauffage.