Accueil > Printemps 2025 / N°76

Location fait le larron

Les multinationales de la location courte durée, comme Airbnb, Booking ou Abritel, surfent sur le mythe que cette soi-disant « économie du partage » permettrait avant tout à des personnes modestes d’arrondir leurs fins de mois quand ils partent en vacances. Ce qui était peut-être un peu vrai il y a une quinzaine d’années ne l’est plus du tout aujourd’hui. La location courte durée est devenue un eldorado pour des riches multi-propriétaires, bien plus rentable que de la location moyenne ou longue durée. Pour ne pas avoir à gérer la contrepartie de cet argent facile (réservation, accueil des voyageurs, ménage), ces nantis font maintenant appel à des « conciergeries », un business en plein développement. Le Postillon est allé rencontrer quelques concierges des temps modernes.

Après avoir bossé dans la sécurité « au service de la nation », voilà maintenant qu’il se définit comme étant « au service des investisseurs immobiliers ». Jérôme Charnot est le patron de Capsule Corp, une agence immobilière faisant également office de « conciergerie ». Elle s’occupe de la gestion (ménage, remise des clefs, etc.) des appartements mis en location sur des applications de location courte durée comme Airbnb.
Pendant 19 ans, Jérôme Charnot a été gendarme, ce qui lui a aussi laissé le loisir de s’adonner à sa « seconde passion » : l’immobilier. Le statut de militaire permettant de bénéficier d’un logement de fonction gratuit, les gendarmes sont nombreux à investir dans l’immobilier pour s’assurer des revenus parallèles. Après avoir fui la gendarmerie « face à des choix politiques qui allaient à l’encontre de [ses] valeurs », Jérôme Chanot a fondé Capsule Corp Immobilier en mai 2020, une «  société créée par un investisseur pour les investisseurs ». Ces derniers sont avant tout ses anciens collègues gendarmes, Capsule Corp composant avec une clientèle « d’environ 75% de gendarmes » selon une employée de la structure rencontrée au siège de la société rue général Ferrié. Jérôme Charnot a écrit un guide pour démarrer dans l’investissement immobilier. 100% gratuit, il nous dévoile secrets et techniques (lois de défiscalisation et autres joyeusetés) qui font, selon lui, de l’immobilier un marché encore plus rentable que la bourse.
 
Les professionnels de l’immobilier ont un point commun avec les dealers : ils n’aiment pas parler avec les journalistes. Toutes nos tentatives de prise de contact en tant que Postillon s’étant soldées par des échecs, je suis allé à la rencontre de quelques acteurs des conciergeries grenobloises en tant qu’étudiant. À Capsule Corp, j’ai donc appris par un des trois employés qu’ils font « majoritairement de l’investissement » et non de la location de résidence. Les particuliers ayant recours aux services des conciergeries ne sont pas des « petits » proprios louant leur logement quand ils partent en vacances, mais des investisseurs achetant des biens dans le seul but de les louer le plus cher possible : selon une employée de Capsule Corp, le taux d’occupation de leurs logements est d’environ 80%. Pour maximiser les revenus, les appartements achetés sont souvent divisés en plusieurs, avec un sas d’entrée et plusieurs loyers à la clé. Selon l’employé appelé « sergent-chef » par Jérôme Chanot, cela permet « de compenser le prêt plus rapidement afin d’investir plus rapidement également ». Quant aux éventuelles nuisances créées par ces habitants temporaires, cela ne regarde pas la conciergerie car il y a peu de « contrôle des locataires » du fait des «  réservations instantanées  » faites sur Airbnb. Mais que fait la gendarmerie ?
 
Orphée, lui, n’a jamais travaillé dans les forces de l’ordre. Comme tout bon diplômé d’école de commerce, le jeune homme est avant tout intéressé par l’argent. Dans son bureau de La Tronche, il me confie une de ses grandes sources d’inspiration : Père riche, Père pauvre de Robert Kiyosaki. Dans ce bouquin, l’entrepreneur américain parle du père de son ami qui, contrairement au sien qui est prof et pauvre, fait travailler son argent afin de devenir riche. C’est dans cette même ambition qu’Orphée, après avoir tenté des business dans les fringues et le «  dropshiping  » (soit la vente directe) a choisi l’immobilier pour lui permettre de « s’élever  ». Tout a commencé en 2020 avec « l’appartement locatif  » de sa mère, un T3 en banlieue grenobloise, qu’il a « rénové avec [son] père » : «  La volonté première était de le mettre en colocation mais quand on a découvert les chiffres qu’il était possible de faire avec Airbnb nous nous sommes inscrits dans ce modèle.  » En 2021, à 20 ans, «  grâce aux bénéfices en auto-entreprise », il crée avec un collègue sa conciergerie « Premier hôte » en comprenant vite « sur quel créneau nous devons nous positionner : le standing ».

Depuis, en gérant des chalets à la montagne et une vingtaine d’appartements dans l’agglomération grenobloise, il fait primer la qualité sur la quantité en visant une clientèle haut de gamme. Selon son compte Airbnb, le plus inutile de ses talents est de « vous servir du champagne ». Il propose à la location deux villas, l’une à Biviers et l’autre à Meylan pour « s’amuser en famille dans [un] endroit élégant  ». Au prix de 200 euros la nuit pour faire un plongeon dans la piscine et une sieste dans le jacuzzi, son véritable propriétaire, Dominique, doit être content des retombées d’argent pour vivre paisiblement à Corenc. Il prend l’exemple d’un pote à lui qui a «  presque 30 apparts » et qui se plaint sur la « qualité » de sa clientèle. Selon Orphée, « quand t’es sur du bas de gamme, t’as une clientèle bas de gamme ». Lui est le seul salarié de son entreprise, le ménage et autres tâches ingrates étant délégués à des prestataires.

Malgré ses clients qu’il juge de « qualité  », Orphée pense déjà à sa reconversion. Il m’assure être fortement intéressé par le « e-com  », soit le commerce en ligne, car « un produit qui répond à un besoin qui n’existe pas forcément, c’est rentable  ».

Le besoin de locations courte durée existe bel et bien, à Grenoble comme ailleurs, même s’il est beaucoup moins important que celui de logements décents pour les habitants à l’année. Mais comme c’est un business florissant, les conciergeries fleurissent dans la cuvette depuis quelques années, aux noms toujours clinquants : outre Capsule Corp et Premier Hôte, on trouve Golden Gestion, Majordome Privé (qui vient d’être racheté par Golden Gestion), Merveilles conciergeries, Happy Conciergerie, la Conciergerie du Dauphiné. Pour se distinguer et attirer les clients (aussi bien les propriétaires que les locataires), elles rivalisent de créativité pour transformer de simples appartements en « expériences » uniques et sensationnelles. Ainsi les appartements sont souvent nommés avec des appellations plus ou moins fantaisistes. Golden Globe propose ainsi l’Évasion thaïlandaise (qui est en fait à Saint-Egrève mais qui a des oreillers gorilles et tigres, des corbeilles en osier et paille, des plantes murales qui tentent de reproduire la jungle en intérieur et le visage de Bouddha sculpté) ou La Petite Savane (qui est à Seyssinet-Pariset mais qui semble proposer plusieurs œuvres d’art africaines). À noter qu’il est précisé que le premier est laptop friendly (« ordinateur compatible » en français), soit en présence d’un bureau. Si l’exotisme ne vous convient guère, la conciergerie vous propose également des loverooms. Ces « chambres d’amour », s’intitulent Âme étoilée ou Love Room Altitude. La première est une « suite intime et luxueuse » de 35 m2 avec balnéothérapie, sauna, fausses peaux d’animaux au sol et lumières tamisées mêlées à celles des néons romantiques pour seulement 141 euros la nuit. La seconde voit les choses encore plus grandes avec, pour 250 euros par nuit, 70 m2 de carrelage marbré, une barre de pole dance, un immense bain à remous et une distance raisonnable des hauts lieux de Grenoble comme Alpexpo et le World Trade Center local comme l’indique la description Airbnb.
 
Les concierges sont nés au Moyen-Âge pour assurer la sécurité des palais des seigneurs ou l’administration des services domestiques. Aujourd’hui, nos villes se remplissent peu à peu de nouveaux palais accessibles uniquement aux plus aisés des voyageurs.