Accueil > Octobre 2011 / N°12

Édito

Gloire aux pseudos

Cela fait partie du Top 5 des reproches qui nous sont adressés : «  vous ne signez pas vos textes  » ou «  vous utilisez des pseudos  ». Pour ces seules raisons, certains refusent d’acheter Le Postillon. D’autres les utilisent pour tenter de discréditer nos écrits. Suite à la diffusion de notre article «  Tension autour de la station de trail  » (paru dans Le Postillon n°11) sur le site de La Voix des Allobroges, Benoît Laval, président de Raidlight (entreprise mise en cause dans cet article), a tenté de contre-attaquer sur le forum du site en se focalisant sur l’absence de signature. Dans un mélange de finesse et d’élégance, il a asséné  : «   Quel manque de courage, il est si facile d’attaquer au chaud derrière un pseudo... Un peu de courage voyons... Comme on dit un peu dans la Savoie un peu plus Haute, « si vous avez des couilles, il faudra le montrer ! » (refrain du 27ème bataillon de chasseurs alpins...)  ».
Notre refus de signer nos articles serait-il dû à une absence de testicules ? Voire. En tout cas, c’est un acte des plus impopulaires. En d’autres temps (troublés) ou sous d’autres latitudes (troublées également), passe encore. Quoique certains aient certainement regretté que Rex ou Slim404 n’aient pas eu ce qu’il fallait entre les jambes pour utiliser dans le feu de l’action leurs véritables noms - Jean Moulin et Slim Amamou (activiste du «  printemps arabe  » tunisien). Mais sous des régimes explicitement dictatoriaux et policiers, l’utilisation de noms d’emprunts est généralement tolérée et comprise. Une place grenobloise porte même le pseudo d’un ancien résistant grenoblois  : Paul Vallier.
En revanche, dans nos si charmantes démocraties occidentales, personne ne comprend. Il est vrai que chez nous aucun fichier ne recense les faits et gestes des auteurs d’écrits critiques, qu’une dérive totalitaire est absolument exclue et que les employeurs ne s’intéressent pas du tout au passé et aux idées de leurs potentiels futurs employés. D’ailleurs on ne comprend pas pourquoi tout-un-chacun n’appose pas au bas de chacun de ses écrits ses n° de sécurité sociale, date et lieu de naissance, orientation sexuelle, couleur de peau, empreintes digitales et photo d’identité biométrique. De quoi ont-ils peur, tous ?
Ce n’est pas tout. En fait, nous ne nous cachons pas, répondons aux demandes de rencontres, diffusons Le Postillon à tête découverte, et quelques vrais noms se glissent même dans notre ours. Si nous ne signons pas nos textes, ce n’est pas tant pour compliquer le travail de fichage des limiers de l’Etat (qui de toute façon ont tout le loisir de scruter nos boîtes mails et répondeurs), que pour prendre le contre-pied d’une époque qui use et abuse de la personnalisation. Pour être pris au sérieux, il suffit presque de brandir son patronyme en étendard – et peu importe que vous ayez des choses à dire ou pas. Et les personnes respectables de préférer les textes creux et plats signés par de respectables scribouillards que les reportages, enquêtes ou prises de position écrits par de détestables anonymes. Demandez-donc aux bibliothécaires grenoblois pourquoi ils refusent toujours - deux ans après notre demande – de mettre Le Postillon en libre consultation pour leurs usagers. Vous avez deviné : oui, c’est - entre autres raisons - parce que nous utilisons des pseudos alors qu’à 20 minutes, au moins, ils ont le courage de signer la moindre merde-reprise-de-communiqué-de-trois-lignes-et-demi.
Si Francis Cabrel se pose encore la question «  est-ce que ce monde est sérieux ?  », nous y répondons sans hésiter par la négative. Dès lors, ne pas signer nos textes répond à notre besoin frénétique de se différencier, et fait office de cordon sanitaire entre nous et les plus zélés promoteurs de la société du spectacle. Et puis l’anonymat est la source d’une petite joie simple et puérile : ne pas ressembler à tous ceux qu’on n’aime pas.

Vincent Peyret
N° INSEE : 111027410266638

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